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Le Chant de la Terre – John Neumeier dans sa zone de confort

Il y a une expression qui revient souvent en ce moment sur les florissants sites de développement personnel : la zone de confort. Cette zone où faire ce que l’on fait n’est pas compliqué car on le maîtrise parfaitement. Cette sécurité rassure et n’empêche pas de créer de belles choses (car on les maîtrise), à tel point que l’on peut oublier que l’on s’y ennuie ferme. Avec Le Chant de la Terre, sa dernière création pour le Ballet de l’Opéra de Paris, John Neuemeier est un peu dans sa zone de confort. Il prend un compositeur qu’il vénère (Gustav Mahler), il sort une belle chorégraphie néoclassique, il prend ses interprètes préféré-e-s. Il fait ce qu’il sait faire. Comme il est un chorégraphe génial et profondément musicien, les instants de fulgurance sont là, pas assez pour masquer un certain ennui.

Le Chant de la Terre de John Neumeier

Le Chant de la Terre de John Neumeier

La Troisième Symphonie de Gustav Mahler de John Neumeier, entrée au répertoire de l’Opéra de Paris il y a quelques années, allait du chaos à la création. Le Chant de la Terre pourrait être le chemin inverse, de l’humanité à la mort. La partition commence d’ailleurs d’une façon abrupte et plutôt surprenante, effet malheureusement gâché par un prologue qui n’a visiblement d’autre utilité que de faire passer la durée du spectacle d’1h05 à 1h25. Dans La Troisième Symphonie, tout était typé année 1970 (bonjour les académiques), ce qui n’empêchait pas une force mystique de s’emparer de l’oeuvre. Le Chant de la Terre est tout aussi typé 2010 (bonjour les jeans bruts et les robes fluides), mais n’arrive pas à décoller.

Lorsque Gustav Mahler compose Le Chant de la Terre, sa fille vient de mourir. Lui-même décèdera quelques mois après avoir fini cette symphonie (qu’il ne voulait pas appeler « Symphonie » car c’était sa neuvième, et les compositeurs ont une forte tendance à mourir après leur neuvième) (preuve en est). L’oeuvre porte un certain regard désabusé sur le monde (qui se ressent d’autant plus en lisant les textes des six lieder composant cette symphonie), une vision de lassitude sur les plaisirs de la vie. Le début fracassant se teint de noir au fur et à mesure, pour un final qui prend parfois des couleurs d’un profond désespoir.

Le Chant de la Terre de John Neumeier - Mathieu Ganio et Karl Paquette

Le Chant de la Terre de John Neumeier – Mathieu Ganio et Karl Paquette

Mathieu Ganio semble être comme le compositeur faisant le bilan de sa vie. Il regarde d’un air désabusé la jeunesse, l’ivresse, l’automne. Peut-être a-t-il parfois l’envie de s’y plonger à nouveau, peut-être n’espère-t-il que la mort. Il la cherche, l’apprivoise, avant que cette dernière ne l’emporte dans un superbe pas de deux final. Laëtitia Pujol pourrait être cette mort, froide et vibrante. Peut-être est-elle parfois la fille de Mahler, le souvenir d’un grand amour, avant d’installer la pénombre.

Et si finalement, Le Chant de la Terre était ainsi moins abstrait que prévu ? Les moments de fulgurance évoqués plus haut apparaissent surtout quand une sorte d’histoire se met en place, essentiellement lors des duos entre Mathieu Ganio et Laëtitia Pujol. La scénographie géométrique épurée est on ne peut plus typée 2010, mais réellement sublime et portant le couple vers un ailleurs étrange. Le noir emplit la scène lors du dernier pas de deux, découpant les gestes dans une pureté froide et fascinante.

Le Chant de la Terre de John Neumeier - Laëtitia Pujol et Mathieu Ganio

Le Chant de la Terre de John Neumeier – Laëtitia Pujol et Mathieu Ganio

Mais les passages à vide, surtout les ensembles, sont finalement trop nombreux. John Neuemeier étale sa zone de confort, une danse superbe en soi, abstraite, mais qui ne va pas chercher bien loin. L’histoire se délite dans une danse qui n’est pas plus qu’agréable à l’oeil. Et les interprètes de tomber dans leur plus grand défaut : celui de chercher d’abord à danser beau plutôt que de danser vrai.

Le chorégraphe semble ainsi être constamment hésitant entre l’abstraction et l’illustration, parfois très premier degré de la partition. Le solo de Vincent Chaillet semble le plus souffrir de cette ambivalence. Dansé sur le cinquième chant, « L’homme ivre au printemps« , la chorégraphie cherche son équilibre entre profondeur pure et grotesque plus illustratif du lied. Le point d’équilibre tiède, cette zone de confort qui a été choisie, ne peut pas être la bonne solution. Il reste ainsi une impression tenace d’être passé à côté de l’oeuvre musicale. Sentiment étrange car on ne peut ni reprocher à John Neuemeier d’être un chorégraphe anti-musical, ni de ne pas connaître la partition sur le bout des doigts.

Le Chant de la Terre de John Neumeier

Le Chant de la Terre de John Neumeier

 

Le Chant de la Terre de John Neumeier, par le Ballet de l’Opéra de Paris, au Palais Garnier. Avec Mathieu Ganio, Laëtitia Pujol, Karl Paquette, Nolwenn Daniel, Fabien Révillion, Laura Hecquet, Vincent Chaillet, Muriel Zusperreguy, Audric Bezard, Burkhard Fritz (ténor) et Paul Armin Edelmann (baryton). Mardi 24 février 2015 (création).

 

Commentaires (9)

  • alena

    Avec tout le respect que j’ai pour les danseurs (très réel, sans ironie), mais avec la distrib que j’aurai, à vous lire, je crains le pire.

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  • alena

    Mais j’ai bien ri à la parenthèse : (preuve en est)

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  • Joelle

    « Zone de confort » ou « zone de fatigue » ???

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  • Georgia

    J’ai assisté à la première. Le duo Ganio-Pujol a été magnifique comme toujours. J’ai beaucoup aimé la mise en scène. Le tout était beau, mais à mon avis, il manquait un sentiment plus profond, des moments extraordinaires et surtout il manquait de coordination aux ensembles (pas assez de temps pour les répétitions?). J’ai passé un beau moment, mais je n’y ai pas beaucoup réfléchi après, comme j’ai fait par exemple pour AndréAuria que j’ai adoré.

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  • Vu avec la distrib Magnenet/Gilbert. Ce n’était pas beaucoup enthousiasmant. Ce ballet sera vite oublié. Dommage, il y avait possibilité de faire de grandes choses.

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  • Cyril

    Vu vendredi. Ennuyeux… Très ennuyeux. Mais il faut dire que je ne goûte pas tellement Malher

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  • alena

    eh bien, je vais me faire avocat du diable : je ne trouve pas ce ballet raté. Je le trouve même très fin, tout a un sens, qui, perso, m’a paru évident (euh, oui, je sais, ça a l’air très très très prétentieux dit comme ça, ce qui n’est pas mon intention du tout).
    La seule chose qui manque c’est un fil conducteur, ce que D. Gilbert s’est efforcée de faire. Mais je crois que le fil conducteur c’est le texte. Quand je lis à droite à gauche que les spectateurs n’ont rien compris pcq ils n’avaient pas lu le texte d chant… eh bien, je m’étonne! Ils n’avaient qu’à le lire! 🙂

    Donc le reproche qu’on peut faire à ce ballet c’est de ne pas pouvoir se suffire à lui-même, de n’être pas du tout indépendant de la musique, ni du texte. Mais on ne peut pas dire qu’il est raté.

    Et malgré ce que j’ai pu en dire : Dorothée Gilbert y était très belle, de retenue et de présence à la fois. Je trouve qu’elle a bien saisi le sens de ce « personnage », si on peut dire cela ainsi.

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  • alena

    Alors que les garçons étaient … hem… trop scolaires…

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