TOP

Le Lac des cygnes du Bolchoï : un conte conceptualisé par Youri Grigorovitch

Un voile descend sur scène. Derrière le filigrane, une nuée de cygnes blancs disposés en triangle. Odette est parmi ces ailes qui battent avec majesté. L’exutoire salvateur de Siegfried se matérialise dans cet univers onirique. Alors que Moscou s’enneigeait, au Bolchoï, Anna Nikoulina et Semen Tchoudine ont livré une jolie interprétation du Lac des cygnes, sous la baguette de Pavel Sorokine qui a magnifié la partition puissante de Tchaïkovski. Un prélude prometteur pour la soirée du dimanche 25 janvier qui réunira Svetlana Zakharova et Denis Rodkine (à suivre en direct au cinéma)

Le Lac des Cygnes

Le Lac des Cygnes

Dans Le Lac des cygnes de Youri Grigorovitch, Siegfried ne porte plus d’arbalète et il n’y a pas plus de chasse nocturne que de fin arrêtée. Fidèle à l’esprit de Petipa et comme dans la plupart de ses versions, Youri Grigorovitch a éliminé la pantomime au profit de la chorégraphie. D’aucuns ont pu décrier le manque de lisibilité de l’argument dans cette version. Mais le Lac des cygnes du Bolchoï est moins l’interprétation d’un conte que la conceptualisation d’une opposition entre le monde matériel des sens et le monde immatériel de l’esprit. Il n’y a aucune trace d’une lecture au premier degré du conte allemand qui a fondé le légendaire ballet en 1877, devenu emblématique de la danse classique russe. Rothbart (magnétique Artemy Belyakov) n’est plus un sorcier mais une force ténébreuse appelée Mauvais Génie, qui vient rappeler la dualité de l’âme humaine. En ce sens, ce Lac des cygnes est plus universel que ses homologues étrangers.

Anna Nikoulina est connue en Occident dans des rôles de jeune fille (la princesse Shirine dans Légende d’amour, Marie dans Casse-Noisette), j’en attendais donc une interprétation guillerette. Mais elle a campé une Odette convaincante. Le rêveur et délicat Semen Tchoudine a incarné un prince empli de bonté et de naïveté juvénile. En retrait au premier acte, il ne revêt pas l’expression traditionnellement torturée que l’on retrouve notamment dans la version de Noureev. Il ne semble pas plus blasé par ces fiançailles forcées que le protocole lui impose. Son œil semble même s’enflammer à la vue de ces jeunes filles gracieuses qui défilent sous yeux.

Le Lac des cygnes - Anna Nikoulina

Le Lac des cygnes – Anna Nikoulina

Les couleurs de la cour du 1er acte évoquent l’automne, époque transitoire où tout s’ankylose. Les danseuses portent de longs tutus corsetés ocres et brodés de feuilles d’or. Les lustres rutilants d’un faste désuet côtoient des tableaux abstrait. Ces barres horizontales bronze et noires modernisent les décors d’inspiration néo-gothique. L’excellent Igor Tsvirko, en bouffon pétri d’auto-dérision, démontre une technique qui suscite admiration et applaudissements. A la cour du deuxième acte, le décor s’assombrit, bariolé de bleu marine et de rose pâle. Fait rare dans Le Lac des cygnes, les danses de caractère sont toutes sur pointes. Parmi celles-ci, la fiancée espagnole se distingue grâce à l’interprétation passionnelle d’Anna Tikhomirova, danseuse racée et remarquée dans La Mégère apprivoisée. D’ibérique, il ne reste qu’un éventail blanc dans cette variation mais la chorégraphie suit parfaitement la partition musicale.

En Odile, sournois cygne noir, Anna Nikoulina resplendit dans un registre qui ne lui est pas forcément familier. Cette sensation est amplifiée par un aménagement astucieux de ce Lac des cygnes. Odile y est entourée de six autres cygnes noirs. A la fin, dans la tourmente, alors que la musique s’emporte et tient le public en haleine, les cygnes noirs se mêlent aux cygnes blancs pour un effet esthétique des plus réussis. Semen Tchoudine confère alors plus de profondeur à son personnage que l’on sent déchiré par l’ambivalence de sa psyché.

Le Lac des Cygnes - Anna Nikoulina et Semen Tchoudine (saluts)

Le Lac des Cygnes – Anna Nikoulina et Semen Tchoudine (saluts)

Quand Youri Grigorovitch a créé sa première version du Lac des cygnes, en 1969, il a dû respecter les critères du ballet soviétique (danse pour la paix et message d’espoir), composant ainsi une fin heureuse. Les œuvres du Bolchoï étaient à la fois vectrices de diplomatie culturelle et fondatrices d’un imaginaire collectif populaire. En 2001, le chorégraphe quasi-officiel du Bolchoï a remonté une version concordant avec ses aspirations premières. Aujourd’hui, il n’y a pas  d’acte final narratif. Le Cygne blanc meurt sous l’emprise du Mauvais Génie et Siegfried est laissé seul à ses désillusions. Implacablement.

 

Le Lac des cygnes de Youri Grigorovitch par le Ballet du Bolchoï, au théâtre du Bolchoï. Avec Anna Nikoulina (Odette/Odile), Semen Tchoudine (Siegfried), Artemy Belyakov (Mauvais Génie), Igor Tsvirko (le Fou), Angelina Karpova (la fiancée hongroise), Anna Rebetskaya (la fiancée russe), Anna Tikhomirova (la fiancée espagnole), Daria Khokhlova (la fiancée napolitaine), Maria Semenyachenko (la fiancée polonaise), Anna Voronkova, Julia Lunkina, Svetlana Pavlova et Margarita Shrayner (les quatre cygnes). Vendredi 23 janvier.

 

Commentaires (1)

  • claude rozsa

    piètre chorégraphie typiquement russe qui n’arrive pas à se démarquer des poncifs des versions du 19e siècle. Il faut avoir vu l’intelligence de la production Noureev à l’opéra de Paris pour savoir ce que des danseurs acteurs comme les Letestu, Paquette et Legris sont capables de faire d’un ballet classique un sommet de l’art du ballet et du théâtre réunis.. Quand on a 89 ans Monsieur Grigorovitch, on prend sa retraite depuis belle lurette!

    Répondre

Poster un commentaire