Le Lac des Cygnes – Héloïse Bourdon, Josua Hoffalt et Florimond Lorieux
La série 2015 du Lac des Cygnes à l’Opéra de Paris est celle du renouveau. Non pas celui de la chorégraphie (la version psychanalytique de Rudolf Noureev), un peu celui de la production (même si l’on se serait bien passé des robes délavées du premier acte franchement cheaps), un peu celui des apparences (des cygnes noires dans les actes blancs, cela s’était-il déjà produit à Paris ? Que les rétrogrades se rassurent, cela ne change rien). Surtout, cette série est d’abord le renouveau des interprètes. Et en particulier celles d’Odette/Odile, rôle mythique du répertoire. Plusieurs Sujets sont ainsi titulaires, dont Héloïse Bourdon, qui au jeu des distributions est finalement la danseuse qui assure le plus de représentations. Une prestation très attendue pour la ballerine, qui travaille depuis longtemps ce personnage. Et pari réussi sur scène. D’autant plus que le trio de ce soir – Héloïse Bourdon, Josua Hoffalt et Florimond Lorieux – était sur la même longueur d’onde.
Héloïse Bourdon est-elle la grande Étoile du Ballet de l’Opéra de Paris ? Je ne sais pas. Mais cette danseuse est en tout cas une soliste dans l’âme. Dès que le rideau se lève pour le prologue, elle est présente, vivante, attirant la lumière. Son Cygne est réfléchi, pensé, construit, peut-être parfois maladroit mais rempli de poésie et de justesse. Son travail de bras est déjà (parce que n’est après tout que sa troisième représentation) admirable, entre la femme et l’oiseau. Le Cygne de retour à l’Opéra de Paris ? Depuis le départ d’Agnès Letestu, cela semblait presque mission impossible. Héloïse Bourdon est là pour assurer la relève.
Ce Lac des Cygnes se conduit en mode diesel : cela met du temps à partir, mais l’apogée est un quatrième acte superbe de justesse et de désespoir. Avant cela, il faut démarrer dans la cour imposante de la reine. La valse fait penser que Rudolf Noureev était plus un grand metteur en scène qu’un grand chorégraphe. Sa manie « un pas par note » rend cette superbe valse de Tchaikovsky singulièrement anti-musicale, poussant le corps de ballet au brouillon (le tempo n’était pourtant pas particulièrement rapide). Mais les mouvements des ensembles sur scène dessinent le personnage de Siegfried. Le Prince se trouble dans les ensembles, les retrouvent, se remet à rêvasser. On le perd de l’oeil parmi les couples qui tournent, avant que ces derniers ne le dévoilent adossé à une colonne.
Josua Hoffalt y dessine un beau Siegfried un peu perdu, en quête de sens sans vraiment savoir ce qui lui manque. Florimond Lorieux ne joue pas vraiment un précepteur, plutôt un ami singulier, un confident. L’ambivalence sexuelle du Prince se dessine par ce duo, Wolfgang apparaissant comme l’initiateur. Il lui propose ainsi de danser la polonaise de ces messieurs, presque comme une invitation au fruit défendu (intéressant au passage de voir les multiples formes que peut prendre Wolfgang/Rothbart. Vu lors de la dernière série avec Stéphane Phavorin face à Mathias Heymann, cela tirait plus vers l’image paternelle incestueuse).
Le deuxième acte n’est qu’une rêverie de Siegfried, à la recherche de la femme inaccessible, accentué par un décor qui ne bouge presque pas. La longue variation lente sert de transition. Josua Hoffalt y apparaît parfois crispé, mais la poésie est là. Le prince n’est pas juste un rêveur, il est à la recherche de lui-même.
L’arrivée d’Héloïse Bourdon, cygne évanescent et apeuré dès sa première apparition, replonge le ballet dans un univers plus proche du conte. Le personnage que dessine la danseuse n’est pas qu’une vision. C’est un être fait de pleurs et de peur, de chair et de sang, on ne peut plus vivant (et donc émouvant). Aussi crispée que son compagnon dans sa variation et parfois un peu en sur-jeu, la danseuse compense par une musicalité hors-pair et un sens profond de la poésie. Le pas de deux est en très jolie harmonie entre deux personnages bien dessinés, au son des si tristes violon et violoncelle. Le corps de ballet joue cet étrange décor humain. Les lignes sont en ligne, les gestes sont tous les mêmes. Mais les bras ne veulent pas dire grand-chose, privés de vie et de spiritualité, se contenant de faire joli sur scène. Il faut attendre les Grands Cygnes (et notamment la superbe Letizia Galloni) pour avoir un peu de magie.
L’acte trois, même défaut que le un, met un peu de temps à démarrer, et les danses de caractère ne semblent être là que pour laisser au couple le temps de souffler. Après Casse-Noisette, la non-inspiration de Rudolf Noureev pour ces genres de danse se fait là encore cruellement sentir, elles sont dépourvues de musicalité et interprétées sans grande finesse. Josua Hoffalt-Siegfried navigue entre toutes ces jeunes filles, aussi passionné que ne l’est le public.
Tout redémarre vraiment avec l’arrivée d’Odile et Rothbart. Un éclair, un accent noir dans la musique, l’ambiance change du tout au tout. Ce pas de trois entre les trois personnages est une savante montée en puissance. Odile teste Siegfried, se dérobe, l’attise et le titille d’autant plus. Héloïse Bourdon s’est transformée en bitch de première, allumeuse et briseuse de coeur aux équilibres vertigineux. Josua Hoffalt joue un Siegfried qui se sent pousser des ailes, pensant trouver ce qu’il cherche dans ce cygne mystérieux. Avec beaucoup d’autorité (et une certaine dextérité dans l’art de manier la cape), Florimond Lorieux les éloignent et les attirent, en bon entremetteur. Les trois se courent après pour mieux se retrouver dans une superbe coda, où chacun déploie toute sa technique. Les fouettés s’envolent, la tête tourne, la chute n’en est que plus brutale. Odile se transforme en sorcière grimaçante qui n’a plus rien de joli, le sort en est jeté.
Si l’acte II est une reprise de Marius Petita, l’acte IV est du Rudolf Noureev pur jus, façonné pour l’Opéra. Est-ce pour cela que le corps de ballet y trouve enfin tout son sens ? Le conte fait son retour mais nous ne sommes dans ceux des fées. Les cygnes pleurent en silence, dans leur marche de résignation. Les bras se ploient sous la tristesse, les marches se plient face au destin, les mains ondulent de désespoir. Les corps protègent la grande soeur si triste. Le décor humain n’est jamais plus émouvant que lorsqu’il raconte une histoire, et qu’il ne se contente pas justement de planter le décor. Rien n’est de trop dans cette longue danse d’ensemble qui sert le coeur sur la musique plaintive du compositeur russe.
Héloïse Bourdon et Josua Hoffalt ont aussi oublié leurs crispations pour un pas de deux déchirant d’amour et de fatalité. Ce n’est plus le songe, mais vraiment le couple qui se désunit face à l’injustice. Pas de happy-end (mais comment faire une fin heureuse sur une telle musique ? Oui, ça existe, mais quelle idée). Les deux cygnes s’envolent dans le ciel, laissant Siegfried à terre et sans force. Le décor s’estompe, laissant voir les murs du château. Le songe est parti, retour à la réalité.
Le Lac des Cygnes de Rudolf Noureev par le Ballet de l’Opéra national de Paris, à l’Opéra Bastille. Avec Héloïse Bourdon (Odette/Odile), Josua Hoffalt (Siegfried), Florimond Lorieux (Wolfgang/Rothbart), Juliette Gernez (la Reine), Germain Louvet, Hannah O’Neil et Fanny Gorse (pas de trois du premier acte), Myriam Kamionka, Marion Barbeau, Julianne Mathis et Lydie Vareilhes (les quatre petits cygnes), Laure-Adélaïde Boucaud, Émilie Hasboun, Letizia Galloni et Ida Viikinkoski quatre grands cygnes). Jeudi 19 mars 2015.
barbara
J’ai lu un tweet ce matin qui daisait: Héloïse Bourdon nommée étoile par la voix du peuple. C’est exactement ce que j’ai ressenti Jeudi soir en assistant au standing ovation réservé au trio Bourdon Hoffalt Lorieux qui couronnait ce spectacle magistral du lac. Une ballerine en état de grâce et une osmose parfaite entre les partenaires Le public ne se trompe pas qui s’est levé pour applaudir cette performance rarement vécue à l’opéra Bastille. Un spectacle du lac enfin de niveau international, je confirme. Avec une mention spéciale pour Héloïse Bourdon pour l’intelligence de son travail sur les personnages de Odette/Odile et une performance technique qui laisse sans voix. Une soirée exceptionnelle où l’émotion était palpable aussi bien du côté du public qui a manifesté son enthousiasme que de celui des danseurs totalement habités par leur rôle. Un pur moment de magie.
Joelle
Que dire de plus ? Je souscris pleinement aux propos de Barbara !!!
Delphine
J’ai pour ma part trouvé ravissantes et très réussies les robes du premier acte ! Moi qui n’aie pas apprécié plus que ça cette version du Lac, je suis décidément à contre courant de l’avis général. Toutefois je te rejoins sur le fait que la prestation s’est sensiblement améliorée au fil de la représentation.
Estelle
Mon dieu, j’espère sincèrement qu’il y a des petits fraudeurs bien intentionnés qui ont eu l’idée de prendre quelques vidéos de cette performance et de les poster sur le net. J’aimerai tellement la voir !
Christophe
Représentation du lac des cygnes du 30 mars 2015, pas à la hauteur !! Quelle déception, la magie de ce grand classique n’a pas opérée !! Manque d’énergie, de synchronisation de la part des danseurs de premier plan. J’ai eu l’impression d’assister encore à des répétitions. L’interprétation du couple de danseurs manquait de maturité. La danseuse Sae Eun Park joue de sa technique, mais ne dégage aucune émotion, l’expression du visage dans les 2 premiers actes est complètement absent, l’interprétation n’est vraiment pas son point fort. Sa gestuelle était souvent trop molle, aucune force ne se dégageait de ce cygne. Lorsque l’on se souvient de l’interprétation d’Agnès Letestu dans ce rôle, qui est la perfection même, et bien nous avons de quoi être déçu avec l’interprétation de Sae Eun Park à l’opéra Bastille, il lui reste beaucoup de chemin à parcourir avant d’arriver à un tel niveau d’excellence.
Amélie Bertrand
Merci à tous et toutes pour vos avis !
@ Christophe : Agnès Letestu était une Étoile accomplie, qui a dansé ce rôle de nombreuses fois. Sae Eun Park ne l’a dansé que deux fois, c’est son premier grand rôle à l’Opéra de Paris. On ne peut pas les comparer.
Hélène
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Has
Personne ne pourra jamais oublier la prise de rôle de Heloise Bourdon dans cette série 2015 du Lac des Cygnes qui restera pour toujours dans les mémoires comme un pur moment de grâce incomparable