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Le Lac des Cygnes – Laura Hecquet et Audric Bezard

Lorsque Le Lac des Cygnes est évoqué, la première chose qui vient à l’esprit est le travail de bras. Et si la magie de ce ballet venait plutôt (ou aussi) de l’inclinaison d’une tête ? Pencher délicatement la tête peut prendre mille et une facettes, que ce soit de timidité, de tendresse, d’amour, puis de manipulation, de méchanceté, enfin de désespoir et de résignation. Montrer autant de chose dans l’inclinaison d’une tête relève du détail pointilleux. C’est en cherchant justement dans ces détails que Laura Hecquet trouve son Cygne, dans ces infinies petites choses que le public ne voit pas forcément consciemment, mais qui font un personnage aux multiples facettes.

Le Lac des Cygnes - Laura Hecquet et Audric Bezard

Le Lac des Cygnes – Laura Hecquet et Audric Bezard

Tout juste nommée Étoile, Laura Hecquet n’en est ce soir-là qu’à son troisième Lac des Cygnes. L’information étonne, tant son double personnage d’Odette/Odile est déjà fouillé et construit. La danseuse n’est pas forcément tout feu tout flamme. Elle trouve sa danse dans les petits détails, les infinies précisions de la chorégraphie, une certaine complexité du geste. Ses expressions évoluent de la peur à l’amour sans jamais sombrer dans le caricatural au deuxième acte. Sa façon de bouger le dos se transforme selon qu’elle soit face à Siegfried ou Rothbart, rendant l’histoire d’une grande clarté. Au quatrième, elle est le désespoir incarné. Son dos se courbe délicatement sous le poids du malheur, puis de la résignation. Ce ne sont décidément pas ses bras qui frappent chez elle, mais ses expressions, sa subtilité, sa façon d’être au plus juste sans jamais chercher l’esbroufe.

Son Odile ne joue ainsi pas la facilité. Elle n’est pas le sombre maléfique d’Odette, elle n’essaye pas d’en mettre plein la vue (même si les 32 fouettés furent parfois doubles). Laura Hecquet joue un être ambivalent, qui rappelle parfois Odette dans ses attitudes, sans jamais être complètement elle. L’inclinaison de la tête semble être la même, mais non, il y a une pointe de sécheresse, un soupçon de sombre malice qui en font un autre personnage.

Le-Lac-des-Cygnes_Laura-Hecquet_Odette

Le Lac des Cygnes – Laura Hecquet

Il y a ensuite l’émotion, qui ne se commande pas. Sans vouloir relancer la guéguerre inutile Team Héloïse vs Team Laura, l’honnêteté me pousse à écrire que la première m’a bien plus émue que la seconde, sans d’ailleurs que j’arrive véritablement à mettre le doigt sur le pourquoi du comment. Un frisson électrique avait emmené le pas de trois du troisième acte dans un autre monde pour la première. Néanmoins, Laura Hecquet a mené un quatrième acte magistral, proprement bouleversante dans un final qui serre terriblement le coeur, là encore sans jamais avoir besoin d’en faire trop. Lors de son interview, elle confiait rêver de L’Histoire de Manon. Et si les grands rôles dramatiques devenaient sa marque, plutôt que les purs classiques ?

Audric Bezard est un Siegfried si l’on peut dire un peu à l’ancienne, permettant d’abord à la ballerine de briller. Partenaire très attentif, il joue un Prince attendu mais crédible et touchant, même si les longues variations lentes ne sont pas là où il brille le plus.

Stéphane Bullion apporte pour sa part une vision très personnelle de Rothbart/Wolfgang, montrant encore une fois que ce personnage renforcé par Rudolf Noureev réserve des surprises. En retrait au premier acte, il ne joue pas l’ami du Prince, mais véritablement le précepteur distant. Il n’est pas un Wolfgang manipulateur, mais un précepteur soucieux de son élève, tout en cachant son lourd secret : être attiré par le prince, et plus généralement son homosexualité. Le duo avec Siegfried est lourd de sens, Wolfgang semblant comme montrer sa véritable personnalité. Et loin du personnage vicieux, Stéphane Bullion en fait un être torturé, et finalement touchant.

Le Lac des Cygnes

Le Lac des Cygnes

Tout comme Laura Hecquet, Stéphane Bullion ne joue pas au docteur Jekyll et de M. Hyde. À l’acte trois, son Rothbart n’est pas l’opposé de Wolfgang, mais un être qui lui ressemble. La façon de prendre son élève par les épaules est ainsi presque la même. Un détail dans le regard, une façon de se tenir, une légère force de plus dans la main font la différence. Un peu comme un rêve peuplé de personnages familiers, sans vraiment ressembler à ce qu’ils sont dans la réalité.

Cette certaine distance empêche toutefois le trio de véritablement de former. Si le couple Laura Hecquet/Audric Bezard montre une grande complicité, Stéphane Bullion apparaît plus comme l’élément perturbateur que comme un être à part entière du trio. D’où peut-être un pas de trois manquant de point culminant.

La dernière série du Lac des Cygnes semblait montrer un corps de ballet déjà épuisé au bout de la cinquième représentation. En 2015, c’est l’effet inverse, tout est plus beau au fur et à mesure des représentations. Malgré ses lourdeurs chorégraphiques, la grande valse du premier acte déploie sa magnifique mise en espace, parfaitement suivie par un superbe pas de trois. Daniel Stokes, et surtout Marine Ganio et Éléonore Guérineau, donnent en quelques minutes une leçon de style et d’intelligence de la danse. Une chance future pour ces deux danseuses d’avoir un jour la chance d’un premier rôle ? La dernière montre également beaucoup de personnalité et de charme dans la napolitaine du troisième acte, réveillant des danses de caractères qui se ressemblent toutes.

Le Lac des Cygnes

Le Lac des Cygnes

Les 32 Cygnes déploient leurs ailes avec grandeur dans les deux actes blancs. Là encore, tout est une question de détails, comme ces visages se penchant toutes délicatement sur la dernière note de l’adage. Ou ces cous qui s’abaissent légèrement dans la longue marche de résignation du dernier acte, décidément hypnotisant.  Tout est décidément une question d’inclinaison.

 

Le Lac des Cygnes de Rudolf Noureev par le Ballet de l’Opéra national de Paris, à l’Opéra Bastille. Avec Laura Hecquet (Odette/Odile), Audric Bezard (Siegfried), Stéphane Bullion (Wolfgang/Rothbart), Marie-Solène Boulet (la Reine), Daniel Stokes, Marine Ganio et Éléonore Guérineau (pas de trois du premier acte), Marine Ganio, Myriam Kamionka, Marion Barbeau et Lydie Vareilhes (les quatre petits cygnes), Hannah O’Neil, Laure-Adélaïde Boucaud, Letizia Galloni et Émilie Hasboun quatre grands cygnes). Mercredi 1er avril.

 

Comments (7)

  • Delphine

    Il y a une petite coquille : « Team Héloïse vs Team Bourdon », L’un des deux doit être Laura ou Hecquet

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  • hervé

    Merci Amélie pour votre compte-rendu que j’attendais avec impatience. Les qualités que vous reconnaissez à Laura Hecquet sont exactement celles que je chéris chez cette danseuse : pureté, précision et style infaillibles, peut-être même une forme de radicalité, qui ne sont peut-être pas immédiatement séduisants, mais qui personnellement me fascinent et me transportent.
    Mais je conçois tout à fait que vous puissiez préférer le cygne plus sensuel et voluptueux d’Héloïse Bourdon. Votre lapsus (vous parlez de « Team Héloïse vs Team Bourdon », mais je pense que vouliez dire « Team Héloïse vs Team Laura ») ne laisse en tout cas aucun doute sur votre inclination 🙂 .

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  • alena

    Donc, je n’aurai rien vu de cette série… alors qu’elle semblait un renouveau dans la lecture du ballet. Ce que je retiens des critiques de Danses avec la plume, ce sera donc cette belle multiplicité de lectures. Merci !

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  • Annso

    Merci Amélie pour ce bel article, j’ai l’impression de revoir ma soirée ! A part que je l’avais vu avec Carl Paquette, et le pas de trois ne pas laissé la même impression. Il est certain qu’Héloïse et Laura sont toutes les deux superbes, le reste est une question de préférence subjective. Moi j’avoue que sur ce coup j’ai préféré Laura à Héloïse. Je suis tellement contente d’avoir eu droit à ses deux distribution, c’était vraiment les deux à voir. En tout cas une très belle série qui laisse de belles promesses pour la suite !! J’espère qu’Héloïse sera la prochaine à monter, la bataille s’annonce rude vue le nombre de sujets qui ont eu leur chance dans un premier rôle cette année.

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  • hervé

    très bel article en effet, qui restitue avec beaucoup d’acuité ce qui faisait le sel de cette soirée, et qui nous y replonge, l’espace d’un instant…

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  • Dhaisne

    J’adore ce ballet mais je ne l’ai pas encore vu avec cette danseuse!

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