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Le San Francisco Ballet aux Étés de la Danse – Balanchine et Robbins au sommet

Après un gala éclectique et prometteur, il était temps de découvrir le San Francisco Ballet avec un programme à part entière. Le choix (il y en aura trois autres) s’est porté sur un mix Helgi Tomasson/George Balanchine/Jerome Robbins. Intuition judicieuse (je me permets de m’auto-complimenter) car la soirée fut enthousiasmante. Bombes techniques, personnalités balanchiniennes et énergie du corps de ballet : cette soirée permit de découvrir de multiples facettes de la compagnie.

Glass Pieces de Jerome Robbins

Glass Pieces de Jerome Robbins

Directeur du San Francisco Ballet depuis bientôt 30 ans, Helgi Tomasson fut un grand interprète de George Balanchine. Et cela se voit dans ses chorégraphies, Caprice en étant un parfait exemple. Ballet abstrait se reposant sur une technique classique, l’oeuvre joue avec la musique de Camille Saint-Saëns et permet à ses interprètes de briller. Le corps de ballet répond aux solistes en canon, des fugues dansées se mettent en place au fur et à mesure du thème et de la partition. L’art de l’adage, où la ballerine en est la reine incontestée, n’est pas oublié avec deux adagios.

Le Maître n’est toutefois pas dépassé par l’élève, Helgi Tomasson étant loin d’avoir la modernité de Balanchine. Mais Caprice n’a pas cette prétention. Le chorégraphe sait visiblement ce qui marche et fait de l’effet. Il connaît les goûts du public et ne cherche qu’à lui faire plaisir à travers cette chorégraphie, intention somme toute louable. Exercice d’école sans aucun doute, mais les danseurs et danseuses y trouvent beaucoup de matière à danser, le sublimant avec un grand lyrisme, une technique à l’épreuve de tout et un charme indéniable.

Caprice de Helgi Tomasson

Caprice de Helgi Tomasson

Maria Kochetkova, absolument délicieuse, garde un sourire désarmant au visage, comme passionnée par chacun des moindres petits mouvements qu’elle doit faire. Des bras d’une impeccable musicalité, un ballon formidable et une virtuosité fabuleuse, l’Étoile a ce charme irrésistible des grandes ballerines. Dans un tout autre genre, Yuan Yuan Tan apparaît comme une impératrice, plus femme que jeune fille en fleur, superbe dans un adage où elle règne sur trois danseurs. La forme du pas de quatre donne d’ailleurs un relief particulier à l’adage. Le deuxième, plus classique (un gars une fille comme au bon vieux temps) s’essouffle beaucoup trop vite et la scène semble bien grande pour le couple, malgré l’investissement sans faille de Davit Karapetyan.

Le dernier mouvement reprend de l’énergie avec une utilisation intelligente des ensembles. Helgi Tomasson sait comment occuper l’espace avec ses danseurs et danseuses, sait les mettre en valeur, sait ce qui va être brillant et efficace. Rien de plus rien de moins, mais le contrat est rempli. Présenté en fin de soirée après les deux chefs-d’oeuvre qui vont suivre, Caprice aurait cruellement souffert de son manque d’originalité. Mais montré en début de soirée, il apparaît comme une sympathique – et plutôt agréable – mise-en-bouche. Le plan de résistance de la soirée fut bien la suite, deux pièces sublimes des maîtres américains Balanchine et Robbins.

Agon de George Balanchine

Agon de George Balanchine

Agon de George Balanchine est parfois tellement donné qu’on en oublie de regarder son essence. Le San Francisco Ballet lui rend honneur en le montrant justement dans toute sa modernité et son universalité. Agon est né d’une blague, un combat (« Agon » en grec) que se sont livrés le compositeur Igor Stravinsky et le chorégraphe George Balanchine. « – Chiche de me faire une chorégraphie sur une musique dodécaphonique inspirée de danses de la Renaissance ?Pfff, chiche ! » (Dialogue non contractuel entre les deux artistes). Dès lors, danse et musique se répondent comme jamais. La chorégraphie semble trouver de nouvelles aspérités à la partition, qui n’en sort que plus grandie au fur et à mesure des thèmes.

Et c’est bien une sorte de combat à laquelle semblent se prêter les douze interprètes. Une petite révérence au public suivi d’un regard de tueur-se à son voisin. On n’est pas là pour rigoler, mais chut, le public ne doit y voir que du feu. Au fur et à mesure des pas de trois, le combat dévie. Les danseurs et danseuses se rassemblent pour affronter l’orchestre. Ennemi, pas vraiment, mais il s’agit de ne pas se laisser faire. Un poignet cassé répond à une note dissonante, un solo à une phrase musicale, un dos qui se courbe à un legato… Un superbe jeu de questions-réponses s’instaure entre la danse et la musique. Mais au final, match nul la balle au centre (et pas de tir au but), chacun en sort grandi par l’autre.

Sofiane Sylve (avec Anthony Spaulding - Agon

Sofiane Sylve (avec Anthony Spaulding) – Agon

Les douze interprètes se fondent dans l’univers de Balanchine comme si tous et toutes sortaient de l’American Ballet School, ne mettant que plus en valeur ce qui surprend dans la chorégraphie. Pascal Molat brille dans le premier pas de deux dans une superbe et puissante variation. Frances Chung tourne les poignets avec un charme enivrant dans le deuxième pas de deux. Sofiane Sylve, reine balanchinienne, impose toute sa personnalité atypique dans le pas de deux magistral. Le San Francisco Ballet est peut-être la plus européenne des troupes outre-Atlantique. Mais elle n’en oublie pas pour autant les fondamentaux de la danse classique américaine.

Preuve de plus pour conclure la soirée avec Glass Pieces, formidable ballet de Jerome Robbins d’une énergie galvanisante, où le corps de ballet est à l’honneur. Filles et garçons pressé-e-s, se croisant sans se regarder, nous sommes dans les rues de New York. La toile de fond rappelle d’ailleurs le quadrillage des rues de la Grosse Pomme (finalement, dans Jerome Robbins, il y a toujours un moment qui ramène à West Side Story). L’énergie, froide et saccadée, en devient presque angoissante. C’est d’ailleurs ce que ressent un couple qui émerge de la foule, Tiit Helimets et Kristina Lind.

Kristina Lind (avec Vito Mazzeo) - Glass Pieces

Kristina Lind (avec Vito Mazzeo) – Glass Pieces

Elle a un charme un peu à l’ancienne, celle d’une blonde délicate, un peu romantique. Que fait-elle dans cette grande ville bien trop vaste pour elle ? Elle n’est sûrement pas là par choix, mais elle doit bien s’y faire. C’est la rencontre avec Tiit Helimets qui va l’aider à se fondre dans l’énergie de la ville. Moment de respiration au milieu du bruit incessant de la foule, ce pas de deux est d’une grande poésie, rêveur, hors du temps. Aux gestes saccadés répond un relâché dans les mouvements, de grands legatos dans les bras (et quelques références à Agon vu plus haut, dont les pirouettes-plié sur pointes). Le monde n’est pas loin, au fond, mais le couple arrive à le mettre de côté pour se créer son propre univers.

La ville n’est toutefois pas un élément sombre. Une fois que la jeune fille apprend à la connaître, elle s’en sert. Et l’énergie un peu inquiétante du début se transforme en quelque chose de formidablement positif et contaminant. Blancs, noirs, aux yeux bridés, grands élancés ou petites athlétiques, la diversité des corps du San Francisco Ballet ne fait que renforcer l’énergie de groupe de ce dernier mouvement. Car la force de la ville ne vous fait pas perdre votre personnalité si vous savez la maîtriser. Le rythme s’accélère, porté par l’efficace musique de Philip Glass (oui, encore lui, déjà en 1983). Les danseurs et danseuses se fond bondissants, toujours plus haut, toujours plus loin, dans un mouvement enthousiasmant et contagieux qui ne semble plus pouvoir s’arrêter, si ce n’est par l’obligatoire baisser de rideau.

Glass Pieces de Jerome Robbins

Glass Pieces de Jerome Robbins

 

Le San Francisco Ballet au Théâtre du Châtelet, dans le cadre des Étés de la Danse. Caprice de Helgi Tomasson, avec Maria Kochetkova, Davit Karapetyan, Yuan Yuan Tan et Luke Ingham ; Agon de George Balanchine, avec Pascal Molat, Grace Shibley, Jennifer Stahl, Frances Chung, Thomas Bieszka, Shane Wuerthner, Sofiane Sylve et Luke Ingham ; Glass Pieces de Jerome Robbins, avec Sasha De Sola, Luke Willis, Shannon Rugani, Thomas Bieszka, Grace Shibley, Sean Orza, Tiit Helimets et Kristina Lind. Mardi 15 juillet 2014. 

Comments (3)

  • Julie

    Je suis allée les voir le même soir et j’ai également été très satisfaite de mon choix ! J’ai trouvé les bras et le dos de Yuan Yuan Tan, que je connaissais mal, d’une beauté à couper le souffle. Glass Pieces a conclu la soirée en beauté.

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  • Pascale

    Résolument, je suis ravie de cette soirée; la qualité technique, le style très américain porté par une troupe métissée et enthousiaste a conquit le public.
    J’ai adoré GLASS PIECES tant pour la musique que la chorégraphie , inattendue et énergisante.
    Les solistes sont magnifiques et j’ai aussi eu un coup de cœur pour la belle et impériale Yuan Yuan Tan

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  • Très jolie critique (je viens seulement de la lire) et pleine d’humour, je te retrouve ! J’ai vu Glass pieces et Caprice, beaucoup aimé les deux même si le premier est plutôt illustratif. Je n’adhère décidément pas à certains ballets de Balanchine mais c’est intéressant de voir ce que deux compagnies aussi différentes que le San Francisco Ballet et l’Opéra de Paris peuvent en faire !

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