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Les Enfants du Paradis : épisode 1

Vendredi 8 juillet 2011. Les Enfants du Paradis de José Martinez, par le Ballet de l’Opéra de Paris, au Palais Garnier. Avec Agnès Letestu (Garance), Stéphane Bullion (Baptiste), Clairemarie Osta (Nathalie), Florian Magnenet (Frédérick Lemaître), Vincent Chaillet (Lacenaire), Valentine Colasante (Madame Hermine) et Yann Saïz (Le Comte).

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J’avais assisté à la création des Enfants du Paradis en octobre 2008, et j’en étais ressorti éblouie. Mon œil pas encore bien exercé avait vaguement décelé un certain manque d’originalité dans la chorégraphie, mais mon âme bon public, déjà bien présente, avait été emportée. José Martinez avait su ce soir-là me raconter une histoire, m’emmener dans un autre monde (bien aidé par le couple Isabelle Ciaravola/Mathieu Ganio), et j’avais été complètement séduite par la poésie du spectacle.

Mon œil de 2011 n’est pas vraiment devenu expert depuis, mais déjà un peu plus habitué. Et mon âme bon public a eu un peu plus de mal à livrer sa totale adhésion. Le premier acte est long, indéniablement. Pourtant, l’heure indiquée sur le papier n’est pas forcément interminable, 1h10, et le découpage paraît plutôt justifié. Je ne vois pas en tout cas quelle scène enlever. Mettons donc cette petite impression d’ennui sur le compte de la chorégraphie, pas vraiment inventive et parfois caricaturale, surtout concernant les méchant-e-s.

Mais José Martinez a une grande qualité, qui rattrape tout : l’imagination et la poésie (ce qui fait deux). Il arrive ainsi à trouver ce petit détail qui change tout, émouvant ou drôle, qui va non seulement créer une atmosphère particulière, mais aussi emmener facilement le public dans ce Paris du XIXe siècle. José Martinez, à défaut d’être un chorégraphe de grands ensembles, sait travailler dans la minutie.

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Le chorégraphe s’est visiblement amusé à reproduire l’ambiance d’un théâtre, et à passer dans prévenir des coulisses à la scène. Assez paradoxalement, ce sont d’ailleurs presque les scènes de pantomimes que j’ai préféré, toutes réalisées avec beaucoup d’humour et une légère pointe de second degré. Malgré la danse qui n’est pas forcément passionnante en elle-même, Les Enfants du Paradis restent ainsi un spectacle vivant, qui sait nous raconter une histoire. Mon œil de 2008 n’était donc pas bien loin.

Agnès Letestu a livré une très belle interprétation de Garance, très différente d’Isabelle Ciaravola. Elle n’est pas l’héroïne romantique qu’a dépeinte sa consoeur, mais un personnage plus moderne, plus égoïste. La Garance d’Agnès Letestu est une bonne vivante, qui aime les hommes, vivre au jour le jour, et surtout la liberté. Si elle se tourne vers Baptiste, c’est moins par amour que par le regard amoureux que le clown pose sur elle. 

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Et c’est là tout le drame de ce couple. Car lui, Baptiste, est fou amoureux de Garance depuis des lustres. Transis d’amour, ébahit d’amour, ébloui d’amour à chacun des gestes d’une personne qui ne lui trouve pas forcément un très grand intérêt. Ciaravola et Ganio formait un couple, Letestu et Bullion forme une impossibilité. Car quelqu’un qui aime sans retour, forcément, ça ne peut que finir mal.

Stéphane Bullion s’est révélé un très touchant Baptiste, qui a su montrer sa dualité entre homme à la ville et homme de scène. Durant les scènes de pantomime, il se révèle joyeux, vif, énergique. Une fois les lumières éteintes, c’est un grand clown qui ne sait pas quoi faire de ses grands bras, qui s’empêtre dans son costume trop long, qui se pétrifie dès qu’apparaît Garance et l’amoureuse Nathalie. Un Pierrot Lunaire qui ne sait pas bien faire avec la vraie vie.

Il faut le voir dans la chambre au 1er acte, à la fois radieux d’être si proche de la créature de ses rêves, et honteux à l’idée de briser la vie de sa fiancée. C’est un bon garçon sur le fond, très pur, comme il y en a peu. S’il fallait pinailler, je dirais qu’il lui manquait l’élégance naturelle de Mathieu Ganio lors de ses solos, mais il ne peut pas y faire grand-chose. 

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Florian Magnenet et Vincent Chaillet m’avait déçue dans la dernière série de Roméo et Juliette (respectivement en Roméo et Tybalt). Ils se sont révélés tous les deux beaucoup plus en forme, avec certes des rôles moins exigeants, mais peut-être ainsi plus à leur portée.

Florian Magnenet est visiblement Frédérick Lemaître, la mèche au vent et le sourire parfait. Il s’amuse beaucoup dans son rôle de jeune premier frivole et dragueur. Vincent Chaillet a lui-aussi su se glisser dans la peau de Lacenaire, ajoutant cette touche de noirceur au ballet, avec une certaine élégance. Mention spéciale à Valentine Colasante truculente dans le rôle ingrat de Madame Hermine, et Yann Saïz, très digne dans celui tout aussi ingrat du Comte.

La première partie se passe ainsi de façon inégale, entre des moments un peu longuets et d’autres où les interprètes nous racontent si bien l’histoire qu’il est difficile de ne pas les écouter. 

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La deuxième partie reste plus équilibrée, avec le sympathique Robert Macaire pour débuter. Certains moments ne sont pas sans rappeler La Dame aux Camélias ou Onéguine, l’histoire est assez proche de toute façon. 

Agnès Letestu est une femme éteinte. En épousant le Comte, ce n’est pas à l’amour qu’elle a renoncé, mais à sa liberté. Et Garance est le genre de femme à ne briller qu’indépendante. En apercevant Baptiste, c’est toute sa jeunesse qu’elle revoit, et la possibilité d’y goûter à nouveau. Ce long baiser n’est pas un acte d’amour, mais un geste de libération. La scène dans la chambre de Madame Hermine (le plus beau moment dans chaque partie), n’en est ainsi que plus cruel. Baptiste est toujours fou d’amour, et Garance n’a pas envie de s’enfermer à nouveau. 

Seule solution, attendu, le départ. Part la fosse d’orchestre, pour jouer jusqu’au bout le jeu du théâtre dans le théâtre. Reine Agnès dominante. Elle n’a finalement pas le beau rôle dans cette histoire, en briseuse de coeur et de couple. Mais il y a tellement d’humanité dans sa Garance qu’il est difficile de ne pas s’y laisser prendre. 

Photos 4 et 5 : Syltren

Comments (2)

  • Merci pour ton compte-rendu ! Il est très intéressant de suivre ton regard entre les deux distributions et donc entre deux interprétations. C’est aussi la distribution que j’ai eu le plaisir de voir (générale) et je suis tout à fait d’accord avec l’analyse que tu as faite du personnage de Garance : c’est ainsi que je l’ai vue aussi.
    Ma seule déception, être placée dans une loge à droite de la scène, ce qui fait que je ne voyais pas grand chose de ce qui se déroulait côté cour (notamment la scène de fin chez Mme Hermine que j’ai manquée). Mais n’était-ce pas la scène présentée par l’Opéra de Paris lors du Gala des Etoiles pour le Japon ?
    Par contre j’ai beaucoup apprécié la manière dont José Martinez jouait avec le spectateur : notamment la scène dans le grand escalier, la répétition sur scène pendant l’entracte qui enchaîne avec le début de la seconde partie…

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  • Attention à la faute d’orthographe sur le comte et non le compte (de résultats) même si Garance s’intéresse au comte peut-être pour son argent…
    Je suis entièrement d’accord avec ton analyse de Baptiste, c’est sa pureté qui le rend si vulnérable…

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