Les grues de Mandchourie, stars du Light Bird de Luc Petton
Après La confidence des oiseaux et SWAN, Luc Petton clôt son triptyque dédié aux volatiles par la création de Light Bird. Et ce sont cette fois les grues de Mandchourie qui en sont les héroïnes. Avec ce nouvel opus pour quatre grues, autant de danseurs-ses et un musicien, le chorégraphe ornithologue propose un spectacle d’une grande beauté plastique mais qui peut, malgré de louables intentions, laisser perplexe.
Avant que la représentation ne commence, le public est prévenu. Les grues de Mandchourie sont des animaux sauvages, potentiellement dangereux. Tout flash, tout applaudissement, tout bruit intempestif les ferait réagir, et sont donc prohibés. Au lever du rideau cependant, point d’oiseau. C’est la jeune Sun-A Lee qui la première entre en scène. Le corps tendu, perchée sur demi-pointes, elle avance lentement dans une pénombre qui peu à peu s’éclaire. Avec délicatesse, elle foule un tapis de peaux semblant respirer. Très vite, ses bras captivent. Souvent de dos, ses épaules, coudes, poignets et doigts se meuvent par soubresauts, formant de multiples angles, comme le feraient ceux d’une Maïa Plissetskaïa dans une version très contemporaine du Lac des Cygnes.
Pour la création de cette pièce, les chorégraphes Luc Petton et Marilén Iglesias-Breuker ont laissé la part belle aux improvisations de leurs interprètes, faisant coexister sur scène des artistes de cultures, de formations et de générations différentes (de 19 à 58 ans). Si les danseuses, toutes deux originaires de Corée, intègrent dans leur vocabulaire des gestes proches de ceux des volatiles (remarquable Yura Park aux mouvements de tête saccadés) les danseurs (Luc Petton et Gilles Noël) leur rendent hommage de façon plus allégorique. Symboles d’immortalité, de sagesse et de paix, les grues sont les héroïnes de diverses légendes en Asie, dont certaines inspirent la chorégraphie. Elles donnent également leur nom à de nombreux mouvements d’arts martiaux, discipline que Luc Petton pratiqua assidûment et qui imprime sa danse.
Quant à Xavier Rosselle, présent sur scène avec son saxophone, il a travaillé avec le chef d’orchestre Won Il pour intégrer à la partition de Light Bird quelques éléments de musique traditionnelle coréenne, créant « une atmosphère apaisante et méditative, très zen« . Comme la chorégraphie, sa composition reste ouverte et adaptable, certains passages étant improvisés afin de réagir aux comportements aléatoires des grues, qu’il dit particulièrement réceptives à la musique. Car dans ce troisième et dernier volet ornithologique de Luc Petton, il n’est toujours pas question de dressage, et bien que la trame en reste inchangée, c’est un spectacle différent qui est offert chaque soir. Sur scène, les volatiles se meuvent en toute liberté, obligeant les cinq interprètes à faire face à l’imprévisible, et leur volant souvent la vedette.
L’arrivée attendue des grues sur le plateau impressionne. Hautes d’un mètre soixante, elles déploient leurs larges ailes, volent, sautent, s’agitent et emplissent tout l’espace. Quand plus tard elles se calment, laissant admirer leur plumage blanc et noir, rehaussé d’une pointe de rouge sur le sommet de la tête, c’est leur élégance qui frappe. Mises en relief par les magnifiques lumières de Philippe Berthomé, cette cohabitation des danseurs-ses et des oiseux crée des images poétiques d’une grande beauté plastique. Mais si Luc Petton dit des grues qu’en répétition, elles « sont curieuses comme des enfants, viennent fouiller, scruter, écouter« , sur scène les interactions avec les interprètes ne sont pas si fréquentes. Elles semblent dans tous les cas provoquées par l’humain plus que par l’animal, qui s’y plie de bonne grâce espérant une nourriture qui lui est souvent donnée.
Il est indéniable que Luc Petton, ornithologue amateur depuis de nombreuses années, aime et respecte les oiseaux et que ses intentions sont louables. Les grues de Mandchourie sont, de par l’activité humaine, une espèce menacée et « ce projet veut, par sa visibilité, attirer l’attention sur cet animal majestueux et participer à sa sauvegarde« . D’ailleurs, à l’issue de la période d’exploitation du spectacle, les héroïnes de Light Bird prendront leur retraite dans les zoos d’Amiens et de Lyon, tandis que leurs descendants seront proposés pour des programmes de réintroduction en milieu naturel, visant à sauvegarder leur espèce. Cependant, voir l’une de ses magnifiques grues s’employer sans relâche à tenter de déchirer le filet qui sépare le plateau du reste de la salle, semblant vouloir ainsi s’enfuir et découvrir la liberté, peut provoquer un certain malaise. Si vous êtes un inconditionnel du zoo de Vincennes, courrez voir Light Bird. Si, au contraire, comme moi, vous n’aimez admirer les animaux sauvages que dans leur milieu naturel, quitte à vous contenter de documentaires, vous êtes autorisés à passer votre chemin.
Light Bird de Luc Petton au Théâtre National de Chaillot. Concept de Luc Petton. Chorégraphie et Mise en scène de Luc Petton et Marilén Iglesias-Breuker. Assistant à la chorégraphie, Philippe Ducou. Recherche en studio, Sun-A Lee, Yura Park et Gilles Noël. Scénographie de Patrick Bouchain. Musique de Xavier Rosselle. Lumières de Philippe Berthomé. Costumes de Sophie Jeandot. Consultant oiseaux, Eric Bureau. Assistant lumières, Grégoire de Lafond. Régie plateau, Yves Robbe. Réalisation des décors, Ateliers Devineau. Oiseleur principal, Pauline Folliot. Oiseleurs, Dune Pokrovsky. Collaboration amicale de la philosophe Vinciane Despret. Avec Sun-A Lee, Yura Park, Gilles Noël, Luc Petton et Xavier Rosselle, et les grues de Mandchourie. Jeudi 7 mai 2015.
Light Bird est en tournée en France jusqu’en décembre 2015.