Les Hivernales de la Danse – Édition 2014
La Belgique deviendrait-elle le nouveau lieu des galas de danse ? Après le succès de La Nuit des Étoiles, c’est au tour du gala Les Hivernales de la Danse de se faire une place. La troisième édition de ce spectacle, qui se déroule à Liège, a remporté un beau succès devant une salle comble deux soirs de suite. Sa recette est simple : un programme équilibré entre classique et contemporain, des stars de la danse mais pas que, et une ambiance bon enfant – entre séance de dédicaces, joli programme, final sur musique pop-rock ou vente de t-shirts et calendriers.
La séance du dimanche débutait d’ailleurs par un cours public, donné par Howard Quintero. Chacun dans la salle se place où il veut. Beaucoup d’apprenties danseuses ont fait le déplacement, petit chignon et portable dégainé pour quelques souvenirs. L’organisatrice Marie Doutrepont donne quelques indications, notamment sur le fait que les danseurs ne feront pas forcément tous les exercices à la lettre. Chacun s’échauffe selon son ressenti, ce qu’il doit danser, chaque danseur et danseuse fait sa propre tambouille. À la barre, les douze artistes sont présents, sans Xander Parish retenu au dernier moment au Mariinsky. Les frenchies François Alu, Léonore Baulac, Pascal Molat et Mathilde Froustey (toujours avec son désormais célèbre pull américain) se sont retrouvés à la même barre.
Le cours est efficace, très agréable à regarder. Au milieu, les danseurs et danseuses sont plus échauffés et commencent à faire un peu de spectacle. Isaac Hernandez lance un concours de pirouettes, très vite rejoint par François Alu qui n’a pas dit son dernier mot. Après les grands sauts, au bout d’1h15, le professeur propose de s’en tenir là, mais les artistes réclament une coda. Les danseuses doublent-fouettent, les danseurs enchaînent infatigable les tours en l’air, salué-e-s à chaque fois par des applaudissements nourris. Tous les artistes prennent ensuite le temps, au bord de scène, de signer pointes et programmes et de se faire prendre en photo (à noter que le jeune public danse, plus sage que leurs homologues fans des One Direction, évite fort appréciablement les hurlements).
Place ensuite au spectacle, ouvert par un groupe de danseur-se-s d’une dizaine d’années, bien ensemble et ravi-e-s visiblement de partager la scène avec ces Étoiles. Très équilibrée, la première partie jongla entre classique à la française, néo-classique et contemporain. Mathilde Froustey, épanouie comme jamais, livra avec Pascal Molat un enthousiasmant extrait de Who Cares ? de George Balanchine. Pétillant, musical, explosif, le couple du San Francisco Ballet s’amusa sur la musique de Gershwin, dans une danse où se mêlent accents jazzy et clins d’oeil aux comédies musicales. Un peu plus tôt, la danseuse française s’était imposée dans la variation de La Cigarette, extraite de Suite en Blanc. Plus que l’élégance à la française d’Agnès Letestu, Mathilde Froustey est partie dans une interprétation où Kitri n’était parfois pas très loin, avec toujours beaucoup de précision.
Autre couple remarqué, Rolando Sarabia et Venus Villa dans une jolie interprétation de Coppélia. L’enregistrement choisi avait de quoi faire grincer les oreilles (bonjour le vinyle des années 1950), mais les interprètes montrèrent tout leur métier avec beaucoup d’esprit. Venus Villa était particulièrement charmante, avec un beau travail de pointe et un haut du corps très expressif, école cubaine oblige. Jurgita Dronina et Isaac Hernandez sont partis dans un autre registre, Two Pieces for HET de Hans Van Manen. Les deux artistes ont montré beaucoup de personnalité et de complicité dans ce superbe duo contemporain aux multiples ambiances. Même si la même question revient à chaque fois que l’on voit cette chorégraphie : qui a eu l’idée de ce costume string noir sous académique transparent ? Qui ? Ce détail mis à part, ce choix de Hans Van Manen marche décidément bien en gala, apportant un autre ton sans avec une certaine complexité.
François Alu avait ensuite choisi Les Bourgeois de Ben Van Cauwenbergh, chorégraphie virtuose qui va formidablement à ce danseur, mais franchement usante par tant de facilité scénique. Seul Daniil Simkin semble pouvoir se sortir de ce solo, avec son air de lutin moqueur. Melissa Hamilton (future Étoile du Royal Ballet) et Eric Underwood étaient sublimes dans Tryst de Christopher Wheeldon, même si la chorégraphie – genre de sous McGregor – n’était pas vraiment inspirée. Elena Vostrotina et Raphaël Coumes-Marquet ouvrirent enfin très honorablement les festivités avec Diamants. Danseuse russe dans l’âme même si elle est aujourd’hui plus tournée vers un répertoire contemporain, Elena Vostrotina y déploya de longs bras lyriques dans cet extrait rappelant Le Lac des Cygnes.
La deuxième partie fut un peu plus déséquilibrée. Elle s’ouvrit sur le pas de deux de la chambre de L’Histoire de Manon, par Jurgita Dronina et Isaac Hernandez. Ce pas de deux peut être un mur en gala, tant il est difficile d’instaurer en quelques secondes une ambiance si passionnée. Sans provoquer de chavirements, les deux interprètes y montrèrent un certain abandon, et encore une fois beaucoup de complicité.
François Alu présenta ensuite sa création, La Sylphide, avec Léonore Baulac. Le danseur est parti dans ce qu’il aime : du classique virtuose mâtiné de hip hop. Et le résultat fut plutôt efficace. Il se connaît, il sait ce qui lui va bien, le mélange des genres fonctionne bien. Léonore Baulac apparaît comme une sorte de vision face à un jeune homme rêveur. Les portés sont acrobatiques mais mettent en valeur la ballerine, plus solaire que jamais. La chorégraphie a ensuite les défauts du débutant – je veux tellement en dire que je ne prends pas le temps de respirer – mais le tout fonctionne et reste valorisant pour les artistes, qui remportent d’ailleurs la palme à l’applaudimètre (parce que, inutile de faire semblant, chaque gala a son applaudimètre).
Elena Vostrotina et Raphaël Coumes-Marquet dansèrent un duo contemporain, Grey Area de David Dawson, plutôt oubliable, tout comme le Lambarena de Val Caniparoli avec Mathilde Froustey et Pascal Molat. Melissa Hamilton et Eric Underwood enchaînèrent avec Qualia de Wayne Mc Gregor. Il y a toujours une énergie particulière dans les pièces du chorégraphe, quelque chose d’électrisant qui attire l’oeil. Qualia ne fait pas exception, surtout interprété par deux bombes comme ce jour-là. Mais la chorégraphie plonge assez rapidement dans l’excès Mc Gregor des corps qui se disloquent. Cela tombait presque dans la surenchère d’effets de souplesse, rappelant plus des numéros de contorsion que de la danse. L’absence de Xander Parish s’est peut-être fait ressentir, mais l’on aurait aimé voir la jolie blonde anglaise dans un extrait plus classique, montrant un peu mieux la variété de son répertoire.
Rolando Sarabia et Venus Villa ont enfin conclu le programme par Diane et Actéon, pas de deux en jupette mais qui a de quoi enthousiasmer. Tous les artistes revinrent enfin sur scène pour un joyeux final sur fond de musique pop (désolé, mon décidément grand âge m’empêche de vous citer le titre), où chacun semblait beaucoup s’amuser. Un spectacle de danse, c’est avant tout un moment de joie, il y en a eu ce soir-là des deux côtés de la scène.
Les Hivernales de la Danse 2014 au Manège de la Caserne Fonck à Liège. Avec Jurgita Dronina et Isaac Hernandez (Het Nationale Ballet), Mathilde Froustey et Pascal Molat (San Francisco Ballet), Elena Vostrotina et Raphaël Coumes-Marquet (Semperoper Ballet Dresden), François Alu et Léonore Baulac (Ballet de l’Opéra de Paris), Melissa Hamilton et Eric Underwood (Royal Ballet de Londres), Rolando Sarabia et Venus Villa (Etoile Internationale, Cuba). Dimanche 16 novembre 2014.