Nederlands Dans Theater – Passionnantes retrouvailles à Chaillot
Le Nederlands Dans Theater (NDT pour mes intimes) n’était plus venu à Paris depuis 2006. Le retour de l’une des plus brillantes troupes contemporaines étaient donc attendu avec impatience. Et elle n’a pas déçu. Le programme était composé d’une récente pièce de Jiří Kylián, grand Maître du NDT même s’il en est parti, et deux jeunes chorégraphes percutant-e-s : Crystal Pite et le duo Sol León et Paul Lightfoot. Cela donna trois oeuvres très différentes avec un point commun : pas d’esbroufe et avec tant de choses à raconter. La relève chorégraphique (que l’on cherche en France) était bien là.
Dans la salle, le public était perplexe face au programme. Aucune note d’intention pour ces trois ballets, débrouillez-vous. Face à ces trois univers, à chacun de réagir selon sa subjectivité. Difficile de toute façon d’y rester insensible, tant chacun des chorégraphes ne trichait pas avec sa danse. Parti-pris tranché et interprètes fabuleux, on ne parlera jamais assez de l’excellence des interprètes du NDT, si complexes dans leur corps et si différents entre eux.
Shoot the Moon de Sol León et Paul Lightfoot, qui terminait la soirée, est apparue comme la plus forte des propositions. Sur scène, un intérieur de banlieue, papier peint à fleurs inclus. À l’intérieur, un couple. Ou plutôt trois, la maison tournant et dévoilant au fur et à mesure trois pièces, trois histoires différentes. Voici la vie d’un couple tout simple, qui prend tant de dimension lorsqu’il est montré à la loupe. On s’aime, on se cherche. On essaye de partir, on fait tout pour la retenir. On va voir ailleurs et ça ne suffit pas, on est seul. On se retrouve mais on ne sait pas si l’on est si heureux que ça. On regarde par la fenêtre, on tend la main vers la poignée, on s’en saisit ou pas. La danse est tranchante, les danseurs et danseuses théâtrales, rejouant au plus juste les petits drames du couple et de la vie. Le tout porté par la musique de Philip Glass (le nouveau héros des chorégraphes contemporain), musique certes facile diront les puristes, mais qui renforçait l’émotion par sa simplicité efficace. La banalité du quotidien sublimée pour un moment qui serre la gorge.
Avec Solo Echo, Crystal Pite part dans quelque chose de plus onirique. Au fond, une neige tombant inlassablement. Sur scène, sur un plateau sans décor si ce n’est la lumière, sept interprètes se frayant un chemin. Chemin des souvenirs, chemin de la vie, chemin des épreuves ? C’est un parcours initiatique, à chacun de trouver le sien, seul ou avec les autres.
Si les danseurs et danseuses font preuve de beaucoup de personnalité, Crystal Pite aime se servir de la force des ensembles. Les artistes du NDT viennent d’écoles très différentes, mais dans ce ballet, ils semblent définitivement appartenir à la même histoire. Les bras font des vagues, les corps tombent et se rattrapent, les liens se nouent avec les gestes, de plus en plus soudés entre eux. Dix bras ne deviennent qu’un dans un grand souffle avançant sans discontinuer. La danse est à la fois très ancrée au sol et ne cherche en même temps qu’à s’élever, à travers un haut du corps particulièrement complexe et mobile. Un chemin fascinant et souvent d’une grande beauté.
Le spectacle avait commencé par Mémoires d’oubliettes de Jiří Kylián. Les danseurs et danseuses sont des idées. Elles fusent parfois, elles disparaissent, coulent entre les doigts ou se déforment. Elles se transforment entre elles. Nous sommes peut-être dans un inconscient, dans la tête de quelqu’un qui la perd et cherche vainement à retenir ses pensées et ses souvenirs. La danse est souple et déliée comme l’aime le chorégraphe. Le tout se termine dans un grand fracas surprenant, les souvenirs aiment parfois jouer des tours.
Le Nederlands Dans Theater au Théâtre de Chaillot. Mémoires d’oubliettes de Jiří Kylián, avec Myrthe van Opstal, Medhi Walerski, Aram Hasler, Mengham Lou, Sarah Reynolds et Roger Van der Poel ; Solo Echo de Crystal Pite, avec Myrthe van Opstal, Aram Hasler, Chloé Albaret, Mengham Lou, César Faria Fernandes, Jorge Nozal et Roger Van der Poel ; Shoot the Moon de Sol León et Paul Lightfoot, avec Danielle Rowe, Parvaneh Scharafali, Brett Conway, Roger Van der Poel et Medhi Walerski. Jeudi 19 juin 2014.
Claire
J’y étais aussi! Le NDT est décidément magique!
J’ai beaucoup aimé les trois propositions, mais je suis restée un peu plus sceptique sur la dernière, comme tu le dis, j’ai trouvé ça un peu facile. Le côté pathos est toujours plus poignant; et ça a marché, mon chéri (qui est totalement profane) a préféré celle ci 🙂 !
J’ai été comme toujours subjuguée par Kylian, un vrai génie du mouvement… et de la musique. Il réussit toujours à créer une atmosphère très particulière. Mais cette soirée a été surtout pour moi la découverte de Crystal Pite, je ne m’attendais pas du tout à ça et j’ai adoré la qualité, la musicalité.
Et quels danseurs !! Ca fait du bien de voir le contemporain à l’honneur comme ça! 🙂
Joelle
On adoré les trois ballets ! Tellement créatifs, originaux, puissants…
On ne s’est pas ennuyés une minute. courez-y si vous trouvez encore des places !
Ninon
L’histoire de Philip Glass avec la danse a tout de même 40 ans d’âge. Leon et Lightfoot ont réussi à éviter l’effet d’overdose attendu…
De l’école des danseurs, elle diffère comme dans l’immense majorité des compagnies, cela étant le parcours des danseurs du NDT est fort bien dessiné. La plupart sont passés par des écoles type Julliard, Rudra, Cnsm de Lyon etc… la logique se tient, et beaucoup sont déjà professionnels de très haut niveau déjà quand ils intègrent le NDT2 et à 30 ans le NDT1 pour l’excellence indéniable. Très loin donc des danseurs de 18 ans sortant du moule Vaganova parachutés au Marinsky pour lever la jambe et faire les trois tours sur pointes avec le joli sourire là toute leur vie.
La seconde particularité du NDT est la qualité des chorégraphes desquels les Maillot Preljocaj & co sont effectivement très très en dessous. Mais la France en est encore à cautionner d’un côté une danse contemporaine sans bonne technique classique et de l’autre un néoclassicisme sans bon travail contemporain.
Anne-Laure
C’est intéressant, je n’ai pas analysé Mémoires d’oubliettes ainsi. Selon moi le titre retranscrit bien le ballet, entre violence de l’univers carcéral et oubli, nécessaire à la vie.
petit voile
Mémoire d’oubliettes fut la dernière pièce de Kylian chorégraphiée pour le NDT avant son départ. Son propos va au grand écart du chemin parcouru entre ses débuts de chorégraphe néoclassique et sa danse actuelle avec des danseurs classiques toujours et toutefois très différents aussi. Une métaphore de l’évolution de la danse classique durant les 40 dernières années à laquelle Kylian à largement contribué tout au long de sa carrière sans jamais céder au syndrome de l’installation.
Borsberg Stéphane
Un très grand spectacle, j’ai été vraiment séduit par les ballet de Kylian et de Leon. J’ai trouvé la musique très bien choisie pour les 3 ballets. Les entractes étaient un peu long par contre, mais quand on voit l’installation de certains décors, on comprend mieux. Personnellement, moi qui n’aime pas trop Paris, ce genre de spectacle m’incite à y retourner (le prochain Decouflé peut-être?)
Amélie
@ Claire, Joëlle, Anne-Laure, PetitVoile et Stéphane : Merci pour vos avis 🙂
@ PetitVoile/Ninon : On ne peut qu’admirer la maturité des artistes du NDT, ça ne veut pas dire non plus que les jeunes danseuses du Mariinsky n’ont rien à dire.