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Notre-Dame de Paris – Frollo mène le combat

Le Ballet de l’Opéra de Paris a clôturé sa saison 2013-2014 par Notre-Dame de Paris de Roland Petit. L’oeuvre n’avait plus été donnée depuis 2001, son retour était attendu et le résultat laissa une impression partagée sur les réseaux sociaux. Reprise de trop d’un ballet qui a mal vieilli ? Notre-Dame de Paris porte les marques du temps visuellement et les défauts de Roland Petit (quelques scènes bien bavardes et faciles), mais aussi les grandes qualités du chorégraphe. Et celle, prépondérante dans ce ballet, de savoir raconter une histoire et faire vivre des personnages.

Notre-Dame de Paris

Notre-Dame de Paris

Oui, les costumes Mondrian teintés de SM ont fait leur temps. Oui, l’ambiance pastiche-gothique du dernier tableau prête à sourire (en étant gentille). Oui, le premier acte s’étire parfois en scènes un peu trop longues et répétitives. Mais l’essentiel est finalement là, une histoire, des sentiments, une évolution. Quasimodo, Frollo, Esmeralda, Phoebus et la Foule. Cinq personnages pour raconter l’histoire, à chaque distribution ensuite de faire vivre l’oeuvre et d’avoir assez de force pour faire oublier les stigmates du temps de la production.

François Alu n’est pas encore Étoile, n’a pas soufflé ses 23 bougies, et l’on a presque déjà tout dit sur lui. Il est extraordinaire, de technique, de présence, de charisme. Une phrase tellement banale et déjà bien répétée à son égard, mais qui est bien la première chose qui vient à l’esprit après avoir vu son Frollo. D’une force incroyable, il construit un personnage glaçant, ivre de pouvoir, dont le ballet ne fait que raconter sa chute. Pour sa première apparition, il ne fait rien, si ce n’est un regard rappelant à l’ordre Quasimodo. Mais la peur saisit dès son premier regard. Il est une sorte de Voldemort, Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom, qui fait reculer par sa seule évocation.

Et c’est bien François Alu qui porta le ballet sur ses épaules lors de cette distribution. Homme de pouvoir, il lutte contre la folie qui l’empare petit à petit. Sa première variation, avec sa main folle se dégageant de son contrôle, prend tout son sens. Maîtriser Esmeralda serait maîtriser sa folie. Il reprend d’ailleurs le pouvoir lors de la scène de l’hypnose, moment étrange où la réalité se teinte de magie noire (Voldemort n’ai pas cité pour rien). Ses sauts d’une hauteur vertigineuse, sa précision du geste, ne sont qu’au service du personnage. Et c’est au moment où il pense enfin avoir contrôlé la folie que la main folle, Quasimodo, l’achève.

Josua Hoffalt (Frollo) - Notre-Dame de Paris

Josua Hoffalt (Frollo) – Notre-Dame de Paris

Josua Hoffalt, autre Frollo, a pris une veine très différente. Hiératique, homme d’Église, il est par essence instable, dérangé. Durant tout le ballet, il franchit sans cesse la ligne de la folie, basculant parfois de peu, se reprenant par sa foi inébranlable en Notre-Dame. Esmeralda le perturbe car elle bouscule toutes ses croyances, tout ce qui fut le fondement de sa vie. Tranchant, incisif, Josua Hoffalt surprend dans le rôle du Méchant qu’il marque de son empreinte.

Ses deux Frollo ont donc presque éclipsé Quasimodo, interprété à chaque fois par Karl Paquette. Méconnaissable (certaines ne se sont pas remises de sa teinture brune), mais toujours un peu trop beau pour être parfaitement crédible lors du premier spectacle. Il prend toutefois de l’ampleur au fur et à mesure des deux représentations. Karl Paquette a cette qualité indéniable de l’interprète, la profonde sincérité avec laquelle il se glisse dans ses personnages. Il saisit avec beaucoup de justesse les gestes de Quasimodo, le bras droit bossu, le bras gauche se balançant comme le battant des cloches de Notre-Dame. Homme fatigué, usé par les insultes du monde, Esmeralda lui offre ses derniers moments de douceur. Le pas de deux du deuxième acte fut à chaque fois un moment touchant, d’une grande sincérité, parfait contretemps du duo cinglant et violent de Frollo venant juste après.

Amandine Albisson, qui faisait sa prise de rôle d’Esmeralda lors de la première représentation, ne put cacher son trac lors de son apparition. La danseuse apparût au premier acte hésitante sur ce qu’il fallait donner. Son choix fut en tout cas de danser une Esmeralda un peu naïve, une jeune fille en fleur qui a parfois du mal avec son costume de bohémienne (ce qui se rapproche de l’histoire originale, Esmeralda étant une enfant enlevée par les Gitans). Son parti-pris fonctionna face à Phoebus (impeccable Fabien Révillion), devenant une véritable adolescente succombant aux charmes du bond bellâtre. Mais ce fut aussi parfois aussi un peu trop, Amandine Albisson prenant l’air d’une Sylphide égarée au milieu des bois lors de ses cours dans les bas-fonds de Paris.

Notre-Dame de Paris

Notre-Dame de Paris

La jeune Étoile su prendre une autre mesure au deuxième acte, grâce à ses deux partenaires. Elle fut tendre et aimante face au désarmant Quasimodo de Karl Paquette, terrorisée devant le Frollo implacable de François Alu. La scène du gibet fut à couper le souffle (jusqu’à en oublier les costumes  pastiche-gothiques, c’est dire), portée par les cinq personnages.

Ludmila Pagliero a choisi la veine de la séductrice. Son Esmeralda est une femme sûre de ses pouvoirs, charmeuse. Ni Phoebus ni Frollo ne lui fond vraiment peur, attirant le premier telle Carmen et se moquant du second. Ses jambes affûtées, ses mains cambrées et ses attitudes parfaites font mouche lors de la première variation, même s’il reste toujours chez elle une impression de démonstration. Non pas « Je suis séductrice« , mais « Public, regarde comme je suis séductrice« .

Chacun dans cette distribution joua son jeu, plutôt bien, mais il reste toutefois une impression de déséquilibre qu’il n’y avait pas lors de la précédente distribution, vraiment sur la même longueur d’onde. De ballets en ballets, Ludmila Pagliero et Karl Paquette sont associées sans pour l’instant de véritable réussite. Chacun danse son personnage d’une honnête façon sans que l’alchimie ne semble prendre. Le deuxième acte manqua ainsi de force, alors que tout se joue finalement entre les trois protagonistes. Et c’est bien la foule, ce cinquième personnage, qui porta le final d’une efficacité dramatique redoutable. Tour à tour moqueuse, pieuse, inquiétante, suiveuse ou harangueuse, la Foule apporte tout au long du ballet un superbe contre-point aux solistes, portant la tension et le drame. Le corps de ballet, pourtant en fin de saison, y apporta toute sa fougue implacable, extrêmement bien mis en place. Les vacances sont méritées.

Notre-Dame de Paris

Notre-Dame de Paris

 

Notre-Dame de Paris de Roland Petit, par le Ballet de l’Opéra de Paris, à l’Opéra Bastille. Avec Amandine Albisson (Esmeralda), Karl Paquette (Quasimodo), François Alu (Frollo) et Fabien Révillion (Phoebus). Vendredi 11 juillet 2014.

Notre-Dame de Paris de Roland Petit, par le Ballet de l’Opéra de Paris, à l’Opéra Bastille. Avec Ludmila Pagliero (Esmeralda), Karl Paquette (Quasimodo), Josua Hoffalt (Frollo) et Fabien Révillion (Phoebus). Mercredi 16 juillet 2014.

Commentaires (3)

  • Audrey

    Je l’ai vu mardi soir dans la première distribution. J’essaie encore de me remettre du Frollo de François Alu….

    Sinon j’ai trouvé Albisson très bien. Précise, gracieuse, parfois un peu à côté dans son interprétation au 1er acte mais rien de choquant.

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  • Super spectacle, j’y étais 🙂
    Moi qui ne suis pas spécialement un grand connaisseur dans ce domaine, j’ai adoré ^^

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  • Mmh… Nous n’avons pas vraiment assisté au même spectacle hier soir, mais c’est tout l’intérêt d’échanger. Ludmila Pagliero est une danseuse qui me touche et que je me réjouis de voir danser si je le peux – je ne suis pas sûre que son partenariat avec Karl Paquette y soit étranger, en particulier parce que ce danseur me semble avoir le don de mettre les autres en valeur presque plus que lui-même. Ceci dit, je n’ai pas vu la distribution dont vous avez préféré le travail.

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