Paquita – Mathias Heymann, Hannah O’Neill et Sébastien Bertaud
Il n’y a parfois pas de phrase plus appropriée pour commencer une chronique que ce simple : Quel régal ! Paquita de Pierre Lacotte se savoure décidément, comme une coupe de champagne bien fraîche un premier soir d’été. Oui l’intrigue est mince comme un tulle de tutu. Mais la danse y est à son meilleur, délicieuse, brillante et joyeuse. Et il ne suffit parfois que de ça pour passer une belle soirée, d’autant plus lorsqu’elle est portée par un trio réjouissant. Mathias Heymann est le parfait prince charmant, Hannah O’Neill la parfaite jeune fille toute fraîche et Sébastien Bertaud le parfait méchant. Quant au corps de ballet, s’il a l’habitude de danser tous les styles ou presque, c’est bien dans cette école française qu’il se révèle à son meilleur, et cette science incomparable de montrer son bas de jambe.
Sujet, l’expérience d’Hannah O’Neill se tient en tout et pour tout à un Lac des Cygnes. Mais à l’heure d’aborder Paquita, connu comme l’un des rôles les plus difficiles techniquement du répertoire, pas l’ombre d’un doute ne se lit sur le visage de la jeune danseuse. Au contraire, sa place semble être naturellement au coeur de la scène. Le charisme est là, ce petit truc en plus qui sonne comme un rayon de soleil. Et une technique brillante, aussi, indispensable pour se sortir de ce rôle aux multiples variations. Si la pantomime d’Hannah O’Neill est juste, elle manque encore de précision et de projection. Tant pis, ses 20 ans, sa fraîcheur naturelle et son physique romantique font une Paquita toute trouvée, adorable et jolie comme un coeur tout en sachant ne pas se faire marcher sur les pieds. Ne lui manque que ce qu’apporte l’expérience : assez de personnalité pour danser ce rôle d’une façon unique.
Revenu d’une longue blessure il y a quelques mois, Mathias Heymann est au mieux de sa forme. Sa danse est plus belle au fil des représentations, toujours plus moelleuse, toujours plus sensible. Le danseur a aussi affiné son jeu. S’il n’est pas un acteur-né, il a su trouver le ton juste dans le rôle d’un prince attentionné, avec une certaine sobriété. Il y a sûrement plus drôle et plus fort que lui dans la pantomime, mais il a rajouté comme une touche de rêverie à son personnage, rendant ce Lucien d’Hervilly décidément très sympathique.
Hannah O’Neill semblait parfois un peu grande pour Mathias Heymann, et quelques portés en souffrent. Mais le couple est globalement bien assorti, dans cette même dynamique d’une danse brillante et élégante, un parfait petit couple princier (Will & Kate n’ont qu’à bien se tenir). Sébastien Bertaud apporte le contrepoids attendu du méchant, en faisant juste ce qu’il faut d’un peu trop pour rester dans la comédie. Le corps de ballet assure avec brio les danses tziganes ou espagnoles, dans cette Andalousie fantasmée où les gitanes sont sur pointes et aussi élégantes que les aristocrates. Mais cela fait partie du ballet, de son ambiance, de son histoire, et ne le rend que d’autant plus séduisant (contrairement à L’Histoire de Manon qui a besoin d’un certain réalisme).
Il ne manque finalement pas grand-chose à cette première partie pour être complètement inoubliable. Peut-être une pantomime plus appuyée qui fasse franchement rire. Un pas de trois vraiment brillant (et pas juste correct). Une Doña Serafina un peu plus crédible. Ce n’est pas de la faute de Stéphanie Romberg, mais même avec toutes les incohérences du ballet, il semble peu probable qu’elle puisse rentrer dans la robe de mariée de Paquita (deux têtes de moins de visu). Le début est aussi peu clair, et difficile de comprendre, sans lire le synopsis, si ce personnage est la mère ou la fiancée de Lucien d’Hervilly.
Le Grand pas semble être débarrassé de tous ces désagréments. Pas de pantomime, pas d’histoire, juste de la danse à son sommet. Les Petits rats démarrent par une Polonaise un peu foutraque mais ils sont tellement choux que ce n’est pas très grave. Les hommes enchaînent avec une Mazurka d’une belle facture, porté par les brillants Marc Moreau et Germain Louvet (bien plus en forme qu’au pas de trois). Le corps de ballet féminin n’est pas en reste, précis, ensemble, brillant. Et ce n’est pas qu’une question d’être en mesure. Paquita, c’est aussi une chorégraphie unique, un style, une façon de danser que l’on ne retrouve pas ailleurs. Et merveilleusement bien rendu ce soir-là.
Quant au couple Mathias Heymann/Hannah O’Neill, c’est le feu d’artifice. Ils enchaînent les morceaux de bravoure, sans jamais se départir de leur élégance et leur solarité, se poussant l’un-l’autre à aller encore plus loin et plus vite (damned, cette diagonale de grands jetés !). Après les fouettés, le public n’est pas loin de taper des mains en cadence (ce que je fais déjà avec mon pied), dans un grand élan de joie général. Paquita se savoure décidément sans complexe.
Paquita de Pierre Lacotte (d’après Joseph Mazilier et Marius Petipa) par le Ballet de l’Opéra de Paris au Palais Garnier. Avec Hannah O’Neill (Paquita), Mathias Heymann (Lucien d’Hervilly), Sébastien Bertaud (Inigo), Fanny Gorse, Juliette Hilaire et Germain Louvet (pas de trois), Pascal Aubin (Don Lopez de Mendoza), Stéphanie Romberg (Doña Serafina), Bruno Bouché (le Comte) et Juiette Gernez (la Comtesse). Samedi 9 mai 2015.