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San Francisco Ballet aux Étés de la danse – Soirée The Fifth Season/In the Night/The Four Temperaments

Les soirées du San Francisco Ballet ne déçoivent pas décidément, avec ce grand plaisir de voir danser de la plus belle des façons le répertoire américain. La soirée du 21 juillet ressemblait à celle du 16 : un ballet de Helgi Tomasson pour se mettre en appétit et deux chefs-d’oeuvre des maîtres américains.

The Fifth Season - Yuan Yuan Tan  et Damian Smith

The Fifth Season – Yuan Yuan Tan et Damian Smith

Helgi Tomasson n’est pas un chorégraphe novateur, après Caprice, The Fifth Season le montre une fois de plus. Mais en vrai danseur de Balanchine, il est un musicien. Et la musique choisie – celle de Karl Jenkins, pas si conformiste que ça – le porte vers une danse plus imaginative et contemporaine que son oeuvre précédente. Sur scène, des toiles grises et noires structurent l’espace. Les danseurs et danseuses, en costumes de la même couleur, semblent ainsi être comme les tableaux qui prennent vie, inspiré-e-s par la musique. La danse est souple et libérée, comme savent si bien le faire des artistes américains. Et quelle surprise de découvrir Mathilde Froustey dans ce répertoire, faisant preuve d’un lyrisme qu’on le lui connaissait pas à Paris. Manque encore ce total abandon dans le haut du corps, dont font preuve avec une grande musicalité les hommes de la distribution.

Valse, tango, Romance… Les tableaux se succèdent plutôt plaisants, assez différents entre eux dans l’énergie pour ne pas se lasser. Les pas de deux n’arrivent pas à s’échapper d’un certain conformisme, mais les ensembles et pas de trois savent bouger les lignes et utilisent l’espace avec intelligence. Une miss en appétit loin d’être désagréable au final.

In the Night de Jerome Robbins est loin d’être un ballet inconnu du public parisien, l’oeuvre étant régulièrement reprise du côté du Palais Garnier. Le San Francisco Ballet y met toute sa musicalité et sa grande liberté du haut du corps pour jouer à fond la carte du romantique. Et ce qui pourrait passer pour too much à Paris, ces grands élans dramatiques qui n’ont peur de rien, coulent de source sur la côte Ouest.

In the Night

In the Night

In the Night est l’histoire de trois couples, trois histoires d’amour. Le premier est tout jeune, peut-être sur le point de se quitter. Les émotions chamboulent les têtes, la naïveté d’un premier amour en prend un coup tout en gardant cette fraîcheur propre à la jeunesse. Mathilde Froustey  fait penser à Giselle avec ses longs bras romantiques et quelque chose de sombre dans l’interprétation, presque dramatique, qui donne un sens particulier à ce premier pas de deux. Le deuxième couple est celui qui a duré, peut-être un peu trop. Agnès Letestu en faisait un couple en représentation. Ici, c’est une histoire d’usure. Les deux amants se connaissent très bien, pour preuve ces magnifiques abandons de la danseuse qui sait parfaitement où se trouvera son partenaire. Mais les gestes ne sont plus aussi en harmonie que ceux du premier couple. Les ports de bras se décalent, les pieds dégagent à contre-temps, chacun semble comme avoir pris un chemin différent sans vraiment sans rendre compte, et sans vouloir vraiment se séparer. Le troisième couple est celui du Je t’aime moi non plus, Pars mais reviens, Prends-moi dans tes bras Ne me touche pas. Ça se déchire avant de s’enlacer de plus belle. C’est le couple tumultueux, qui le restera même après 20 ans d’amour, car les deux protagonistes ne peuvent vivre leur couple autrement que passionnément.

Ces trois couples sont-ils différents, où plutôt le même à différents moments de leur vie ? Le final d’une si délicieuse ironie les rassemble. Et dans leurs saluts, chaque couple semble dire à l’autre : « Voilà ce qui t’attend dans quelques années, tu n’as pas fini d’en baver« , tout en acceptant la condition de l’amour un peu instable. Le couple est loin d’être un long fleuve tranquille.

The Four Temperaments de George Balanchine clôt la soirée. L’oeuvre est l’un des premiers Black & White de Balanchine (ballet où les femmes sont en justaucorps noir, les hommes en t-shirt blanc et collant, tenues de danse simplistes pour ne laisser parler que la danse). Le chorégraphe y explore ce qui sera son style et changera profondément l’histoire de la chorégraphie. Dans Agon, les choses étaient dites. Ici, elles sont encore à l’étude. Chaque pas part d’une position classique pour finir plus moderne, expliquant presque didactiquement au public comment le geste s’est transformé. C’est ainsi une arabesque bien académique qui se déhanche distinctement au final, ou un parfait grand battement en quatrième devant qui se termine en décalé, poignets cassés.

The Four Temperaments

The Four Temperaments

The Four Temperaments se base sur l’un des principes de la médecine antique, celui que le corps humain s’équilibre par quatre humeurs. Mélancolique, Sanguin, Flegmatique et Colérique ne sont pas à prendre forcément au mot, même si chaque solo a sa particularité. Mais aux solistes aussi de les rendre uniques. La distribution du soir était un peu plus déséquilibrée. Frances Chung a une qualité de danse incroyable, d’une précision métronomique. Mais elle semble encore un peu trop sage et peine parfois à donner du relief à son passage, qui manque justement d’un petit coup de sang. À l’inverse, Anthony Spaulding est brut de décoffrage en Flegmatique, son interprétation gagnerait à arrondir les angles. Jaime Garcia Castilla fut par contre saisissant en Mélancolique, à la fois aérien dans les sauts et prenant toute l’énergie du sol dans les passages à terre. D’une croyable modernité, cette variation semble être comme le chaînon manquant entre la danse classique de Petipa et la danse contemporaine d’aujourd’hui.

Sofiane Sylvie conclue, encore une fois, la partition comme une reine en Colérique. Impériale dans toute la finesse et les angles de la chorégraphie, tout en apportant une complexité dans l’interprétation. Et le corps de ballet, comme galvanisé, offrit lors d’un superbe final une véritable leçon de danse balanchinienne.

 

 

Le San Francisco Ballet aux Étés de la Danse, au Théâtre du Châtelet.  The Fifth Season de Helgi Tomasson, avec Frances Chung, Vitor Luiz, Mathilde Froustey, Yuan Yuan Tan, Daniel Deivison-Oliveira et Damian Smith ; In the Night de Jerome Robbins, avec Mathilde Froustey, Rubén Martín Cintas, Sofiane Sylve, Tiit Helimets, Lorena Feijoo et Damian Smith ; The Four Temperaments de George Balanchine, avec Jaime Garcia Castilla (Mélancolique), Frances Chung et Joseph Walsh (Sanguin), Anthony Spaulding (Flegmatique) et Sofiane Sylve (Colérique). Lundi 21 juillet 2014.

 

 

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