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Soirée Balanchine/Millepied – Illusion des couleurs

Certains programmes prennent une toute autre image au fur et à mesure des représentations. Ce n’est pas vraiment le cas pour la soirée Balanchine/Millepied. Bien sûr les interprètes apportent leur propre personnalité. Mais les impressions de la première fois n’ont pas été démenties : un Palais de Cristal de George Balanchine qui s’essouffle, et Daphnis et Chloé de Benjamin Millepied aux multiples détails intéressants, mais qui peine à tenir sur la durée.

Aurélie Dupont et Hervé Moreau - Daphnis et Chloé

Aurélie Dupont et Hervé Moreau – Daphnis et Chloé

Le Palais de Cristal a pourtant mieux démarré que la semaine dernière. Sans être tonitruant, le premier mouvement rouge était en place et précis. Un peu sage, un peu en retenue, comme l’est souvent le Ballet de l’Opéra de Paris en ce moment, mais moins précautionneux qu’il y a quelques jours. Amandine Albisson envoie ses fouettés avec un certain panache et un beau sourire. Mais c’est bien Mathieu Ganio qui illumine la scène. Le sens du style en plus, une personnalité plus marquée, ces petites choses que la jeune Étoile cherche encore un peu. Ce premier mouvement est un peu une ode à l’école française. Un pain béni pour Mathieu Ganio, qui y mélange sa technique élégante, son envol naturel avec une précision musicale si chère à Balanchine.

Mathieu Ganio et Amandine Albisson - Le Palais de Cristal

Mathieu Ganio et Amandine Albisson – Le Palais de Cristal

Le deuxième mouvement, tout en bleu, se fait plus romantique. La musique fait un peu moins penser à Mozart, plus à Tchaïkovski. Le corps de ballet s’aligne comme des cygnes quand la ballerine déploie ses longs bras, tels une réminiscence d’Odette. Et Ludmila Pagliero s’y montre étonnante, faisant preuve d’un lyrisme qu’on ne lui connaissait pas forcément et d’une grande intelligence musicale. L’on se plaît déjà à imaginer son Cygne l’année prochaine. Karl Paquette y apporte toute sa science de l’adage, sachant mettre comme il se doit la Ballerine en valeur. Le couple apporte un merveilleux contrepoint aux vivacités d’avant, sachant souligner les clins d’oeil à la chorégraphie de Petipa.

Malheureusement, ce moment de lyrisme ne dure pas. Après l’adage, la chorégraphie se transforme, prenant des accents plus balanchiniens comme ses grands pliés sur pointes, comme si le chorégraphe voulait démontrer tout ce que Petipa lui a appris et qu’il a su transformer. Mais le couple s’y montre moins à l’aise, moins en place, moins vivant. Sur la même tonalité, le corps de ballet se dérègle lentement mais sûrement. Le troisième mouvement ne rétablit pas vraiment la situation, les ensembles semblant en permanence un quart de temps en retard. Valentine Colasante a une certaine vivacité et Pierre-Arthur Raveau assure une belle danse élégante et précise. Mais malgré leur envie, le couple n’arrive pas à tout porter sur ses épaules. Le quatrième mouvement fut définitivement laborieux, chacun semblant compter les pas avant que tout cela ne se termine. La couleur et le brillant des tutus, le génie de Balanchine pour faire danser des ensembles sauvèrent le tout, mais l’on resta dans du plaisir visuel.

Final - Le Palais de Cristal

Final – Le Palais de Cristal

C’est un peu la même conclusion qui se fit pour le final de Daphnis et Chloé de Benjamin Millepied, même si le développement du ballet fut autrement plus agréable. Le chorégraphe a expliqué au cours d’interviews qu’il avait au début cherché à faire quelque chose de totalement abstrait. Mais que la musique, très illustrative, lui avait finalement dicté de partir sur un ballet plus narratif. Et c’est bien dans ce genre, quand il faut raconter une histoire et définir les personnages, que Benjamin Millepied se fait le pus inventif, à l’inverse des parties plus abstraites.

Le rapport des deux ensembles, sensuelle et fluide pour les nymphes, tonique et bondissant pour les pirates, est plus qu’efficace, vraiment intéressant. Comme son mentor spirituel, le chorégraphe sait se servir des ensembles, les déployer sur une scène et y apporter tout le contrepoint aux solistes. Solistes qui étaient cette fois-ci Hervé Moreau et Aurélie Dupont. Moins littéral que Mathieu Ganio et Laëtitia Pujol, le couple interprétait plus le sentiment amoureux que deux personnages. Leur danse est si fluide et accordée qu’ils semblent danser ensemble depuis l’éternité. Hervé Moreau y déploie toute sa sublime intelligence du geste et Aurélie Dupont sa musicalité. Pas la peine d’aller dans la mimique, leur pureté du geste suffise pour dessiner leur amour. Dans le même esprit, Alessio Carbone et Eleonora Abbagnato jouaient le symbole de la Tentation, plus que deux personnages prédéfinis.

Alessio Carbone et Eleonore Abbagnato - Daphnis et Chloé

Alessio Carbone et Eleonore Abbagnato – Daphnis et Chloé

L’histoire apparaissait ainsi moins linéaire, s’appuyant plus sur un état d’esprit, un sentiment, qu’une trame définie. Un point de vue intéressant et très différent de l’autre distribution, la qualité d’un ballet se voit aussi par la facilité qu’ont les interprètes à le faire sien. Mais les deux couples étaient toutefois un peu moins caractérisés. Si la semaine dernière, la danse appuyait bien la différence entre les deux couples (très classique et élégante pour l’un, plus demi-caractère pour l’autre), ils apparaissent ici moins opposés.

François Alu fait exception. Chef des pirates tonitruant, il s’envole dans les airs avec une variation conçue pour lui, où la consigne aurait été : « N’ai pas peur d’en faire des tonnes« . Une virtuosité enivrante qui n’a pas été vu depuis longtemps à l’Opéra, et véritablement enthousiasmante. François Alu  débridé n’en rate pas une miette, sans s’y perdre non plus. Parfois un peu dépassé par les événements (« Bon, une otage, qu’est-ce que je vais bien pouvoir en faire« ), parfois décontenancée par la si grande pureté de Chloé, parfois brutal, puis apeuré face à la flamboyante lumière de Pan, il apporte au personnage toute son originalité.

François Alu - Daphnis et Chloé

François Alu – Daphnis et Chloé

La chorégraphie se perd ensuite. La fin du ballet est bien plus abstraite, et le chorégraphe semble à la peine sans trame sur laquelle s’appuyer. Les pas de deux, certes très beaux visuellement, semblent se répéter et chercher leur chemin. Les ensembles se déploient toujours aussi bien, mais là aussi avec cette impression d’être juste présents pour remplir la musique. À l’oreille, le Levé du jour résonne de mille couleurs, mais ce n’est pas ce qui a le plus inspiré le chorégraphe. Le final semble ainsi sans force, comme un soufflé prometteur qui retombe un peu trop vite. Même si, là encore, sauvé par les couleurs et la beauté de la scénographie de Buren. Une belle illusion, mais une illusion tout de même.

Final - Daphnis et Chloé

Final – Daphnis et Chloé

 

Soirée Balanchine/Millepied par le Ballet de l’Opéra de Paris, à l’Opéra Bastille. Le Palais de Cristal de George Balanchine, avec Amandine Albisson, Mathieu Ganio, Ludmila Pagliero, Karl Paquette, Valentine Colasante, Pierre-Arthur Raveau, Nolwenn Daniel et Emmanuel Thibault ; Daphnis et Chloé de Benjamin Millepied, avec Aurélie Dupont (Chloé), Hervé Moreau (Daphnis), Eleonora Abbagnato (Lycénion), Alessio Carbone (Dorcon) et François Alu (Bryaxis). Mercredi 21 mai 2014.

Comments (14)

  • a.

    Je suis assez d’accord sur l’illusion des couleurs, mais sincèrement, là où, dans le palais de cristal, l’illusion produit la beauté, le sens, la précision musicale, bref là où la couleur n’est que ce qui accompagne la danse et la musique, dans D et C, gros gros sentiment de supercherie… c’est joli, esthétique, bien fait (des beaux déliés de buste, de bras, des sauts etc.), mais sentiment que rien de tout cela n’a de sens, de lien, d’unité : ça pourrait continuer ou s’arrêter… on pourrait changer les tableaux de place, ce serait pareil. Il manque un propos à B. Millepied, qui n’aura fait là que mélanger son broadway, son west-side story, son sérénade etc.
    Autant je suis enchantée par Balanchine, enchantée (on le dit sans cesse, mais c’est vrai qu’il explique la musique), enchantée plus encore par Balanchine que par les danseurs (dont certains sont excellents dans leur compréhension de cette danse : N. Daniel, L. Pagliero, A. Renavand et A. Bezard) ; autant je n’ai rien trouvé à voir que de beaux danseurs dans Millepied (Albisson, Baulac, Madin et Révillon). Heureusement qu’ils étaient là pour sauver le navire! Alors qu’on a l’impression que Balanchine est éternel…

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  • petit voile

    Supercherie est un bon mot…. Millepied chorégraphie aux kilomètres… en piquant à droite à gauche… des pans entiers de variations tout de même! Homme de com´ assurément, chorégraphe pas encore.

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  • Georges

    J’ai vu ces deux ballets ce 3 juin au cinéma.
    Deux-trois mots sur la captation, quelques problèmes de cadrage, mais pourquoi cadrer si serré ? Quelques problèmes de choix de plan, mais pourquoi montrer de manière inutilement longue l’orchestre lors des salutations ?
    Je suis un peu d’accord avec « a. », comme un manque d’inspiration pour Daphnis et Chloé.
    Mais j’ai adoré avec un goût de trop peu surtout le premier ballet où on y voit en effet quelques élèves, j’en ai reconnu avec certitude deux, à quelques semaines du concours quelles émotions cela a du être.
    Contrairement à vous Amélie je n’ai pas perçu de longueur pour le deuxième ballet, peut être que je ne suis pas assez connaisseur, par contre cela m’a perturbé, quoi déjà fini !

    Pour info ils sont visibles (à partir de 20h) jusqu’au 7 décembre 2014 sur Culturebox : http://culturebox.francetvinfo.fr/live/danse/daphnis-et-chloe-par-benjamin-millepied-157323
    http://culturebox.francetvinfo.fr/live/danse/le-palais-de-cristal-par-georges-balanchine-157321

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  • tachy

    Merci Georges pour le lien ! j’avais vu le spectacle avec l’autre distribution et suis ravie de pourvoir le revoir avec d’autres interprètes.
    J’ai beaucoup aimé les 2 ballets, toute la troupe respirait la joie de danse, çà fait du bien !

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  • Georges

    Merci Tachy.

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  • Jiyeon

    En ce qui concerne le Palais de Cristal, je vais peut-être être un peu dure mais Amandine Albisson, que je me faisais une joie de voir, m’a beaucoup déçue. Ces expressions ne collaient pas du tout avec le reste. Il y avait de jolis moments mais je n’ai pas non plus senti de complicité folle avec Mathieu Ganio.
    Ludmila Pagliero m’a ravie avec son lyrisme et sa justesse, elle prenait le temps d’aller jusqu’au bout du mouvement. Valentine Colasante et Pierre-Arthur Raveau vont plutôt bien ensemble!
    Pour Daphnis et Chloé, je n’ai que des compliments. J’ai trouvé les danseurs beaux, sûrs d’eux et le corps de ballet particulièrement vivifiant. Eleonora Abbagnato en séductrice, parfaite…Comment résister? 🙂
    François Alu…A son arrivée en scène je me suis dit « Peut-être que j’exagère, peut-être que je l’encense trop… » Bah, non! François Alu a quelque chose en lui qui brille de mille feux et cela se ressent dans sa danse. J’en avais des frissons.

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  • J.

    Nous avons assisté à la représentation le 3 juin. Est-ce que quelqu’un connaîtrait l’identité de la danseuse du groupe des Nymphes, blonde aux cheveux frisés ayant quelques solos en robe verte à la fin?
    Merci de votre aide

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    • Jiyeon

      Hmmm ne serait-ce pas Léonaure Baulac?
      Moi j’aimerais connaitre le nom de la seule Nymphe à avoir les cheveux très noirs et longs…Elle est très romantique dans sa gestuelle!

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      • Nati

        Si elle était petite c’était peut-être Marine Ganio.

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  • J.

    Oui c’est bien elle! Merci de votre aide

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  • Aventure

    J’ai regardé sur Culturebox Palais de Cristal, et personnellement ça m’a beaucoup plu, notamment la géométrie des lignes, c’est saisissant. Mathieu Ganio m’a éblouie, et j’aurais bien regardé plus longtemps Pierre-Arthur Raveau… Les filles m’ont moins marquée. J’ai particulièrement aimé le deuxième tableau, très poétique, et les déplacements m’ont semblé plus originaux que dans les autres tableaux, j’ai adoré. (Et puis, j’aime bien Karl Paquette ! :D)

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    • a.

      Moi aussi j’ai adoré le palais de cristal. J’adore Balanchine, sentiment indéfectible qu’il est celui qui a tout compris de la danse 🙂

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  • Aventure

    J’ai (enfin) pu voir Daphnis et Chloé sur Culturebox (j’adore ce site, quel bonheur ! En plus les vidéos sont en ligne plutôt longtemps (honte à pluzz et leur pauvre petite semaine)), et j’ai adoré. Je trouve que ce thème convient très bien pour un ballet narratif aussi court et finalement, plutôt symbolique (je suis bien d’accord avec vous que dans cette distribution, ce sont plus des sentiments personnifiés que des personnages évoluant dans toute leur complexité). Autant pour Psyché (oui je compare ce qui n’est pas très comparable, mais je ne peux m’empêcher d’y trouver des similitudes) je suis restée sur ma faim car je trouve que ce mythe est assez riche pour en faire plus, autant ici cela fonctionne très bien à mon sens. J’ai beaucoup aimé les passages de corps de ballet, surtout les nymphes, et que dire de François Alu si ce n’est « Wouaouh » ?! Le couple m’a également beaucoup plu, spécialement Aurélie Dupont, toujours si élégante.

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