Soirée Lander/Forsythe… et dernière de Brigitte Lefèvre
La dernière de la soirée Lander/Forsythe à l’Opéra de Paris avait un parfum particulier, signant les adieux de Brigitte Lefèvre à la compagnie. Adieux officiels, la vraie passation de pouvoir aura lieu début novembre, mais dernière apparition de la directrice au Palais Garnier, avant une tournée au Canada en octobre. Que l’on trouve positif ou pas le bilan de Brigitte Lefèvre, c’est une véritable page qui se tourne, 20 ans dans la vie de la compagnie, avec ses hauts et ses bas.
Basé sur le classique, allant de l’académique au contemporain, cette soirée avait la forme d’un bilan, sur les bonnes comme sur les mauvaises choses. Sur ce point, cette dernière refléta assez bien les impressions de la précédente distribution.
William Forsythe ouvre le bal cette fois-ci. Woundwork 1 a droit à deux couples de haute volée, Aurélie Dupont et Hervé Moreau d’une part, Mathieu Ganio et Laëtitia Pujol de l’autre. Les duos ne se croisent pas, ne se regardent même pas, occupés à déployer leur science de la danse dans des volutes et des vrilles du corps dont le chorégraphe a le secret. Mais ils semblent comme se répondre, ou plutôt être comme leur image à des temps différents de leur vie. Hervé Moreau, hypnotisant, calme, impose sa maturité artistique dans la façon de comprendre le mouvement. Mathieu Ganio apparaît comme son alter-ego quelques années plus tôt, plus énergique, plus fou-fou. Aurélie Dupont est l’Étoile impériale mais un peu froide, Laëtita Pujol la joue plus romantique. Un joli jeu de questions-réponses aussi, mais ce sont malgré tout les hommes qui attisent les regards.
Pas./parts est aussi servi par une distribution magistrale. Étoile et simple Coryphées se mélangent dans une énergie de groupe fantastique, permettant aussi à des personnalités d’éclater en scène par la maîtrise du style Forsythe. Sébastien Bertaud démontre toutes ses qualités de solistes, statut qui lui fut si souvent refusé par le Concours de promotion. À la fois chat d’une souplesse infinie et bombe électrique, il décortique les pas avec une haute intelligence de la danse. Audric Bezard lui répond avec force, formant avec Marie-Agnès Gillot un couple explosif. Jérémie Bélingard prouve qu’il peut encore danser d’une brillante façon, rien qu’à lui, un peu sauvage. Eve Grinsztjan hypnotise dans un genre dont elle n’est pourtant pas forcément habituée quand Marine Ganio ou Lydie Vareilhes se placent comme solistes grandissantes.
Cette superbe distribution ne suffit pas pourtant pour masquer les quelques faiblesses de Pas./parts. Contrairement à Artifact ou In the Middle – où l’énergie est grandissante – le fil conducteur se perd un peu de temps en temps, le geste cherche son voisin. Le final, sur des cha-cha-cha électros, montre toutefois que le chorégraphe n’a rien perdu de son inventivité et de son ironie.
Soirée hommage oblige, l’École de Danse prend le relai. Mais après la modernité de William Forsythe, le Suite de danses d’Ivan Clustine apparaissent comme bien désuet. Il ne faut pas non plus attendre une interprétation démentielle de la part de Petits Rats d’une douzaine d’années, un mois après leur rentrée. Mais les demoiselles sont en place et adorables. Plus q’un grand moment de danse, Suite de danses est d’abord un clin d’oeil : c’est dans ce ballet – dans cet extrait précisément – que Brigitte Lefèvre fit ses premiers pas sur la scène de l’Opéra de Paris.
Aunis émeut beaucoup plus, par ce vent de fraîcheur de la jeunesse. Ce ballet vient de Jacques Garnier, grand compagnon de route de Brigitte Lefèvre. Aunis, c’était un hommage à ses racines et ses trois frères. Paglo Legasa, Julien Guillemard et Paul Marque s’emparent avec enthousiasme de ce petit bijou. Il y a deux ans, ils étaient Petits Rats et dansaient ce trio pour le Tricentenaire de l’École de Danse. Aujourd’hui, ils sont dans le corps de ballet, fougueux et prêts à prendre leur place en scène. Les directions changent et les générations se relayent.
Études de Harald Lander terminait cette soirée avec brio. Benjamin Millepied peut au moins être rassuré sur un point : le corps de ballet se porte très bien et a trouvé d’excellents maîtres et maîtresses de ballet. Ce n’est pas qu’une question d’être en place et ensemble, c’est aussi cette envie de briller, de montrer que la troupe est à son meilleur niveau, d’en être fier-ère. Les solistes, plus expérimenté-e-s que la distribution précédente, montraient leur métier en scène, sans néanmoins atteindre l’éclatante réussite qui sied à des Étoiles. Dorothée Gilbert passe sans faute les pièges techniques, sans sembler pourtant prendre vraiment du plaisir en scène. Karl Paquette séduit toujours par son engagement et son souci de l’école françaises, mais ne survole pas la Mazurka qui veut (et passer après François Alu dans cette variation est difficilement flatteur). Josua Hoffalt, après quelques moments de stress, prit de plus en plus d’assurance jusqu’à arriver à une belle danse – brillante pare moment. Le plaisir de danser, les détails travaillés, mais aussi une personnalité de plus en plus marquée, Josua Hoffalt revient décidément en forme après quelques blessures. Les talents ne sont pas moindres que la génération précédente chez les Étoiles, mais peut-être moins bien entourées et préparées. Un premier chantier pour le nouveau directeur des lieux.
La soirée se termina par le traditionnel Défilé, de la plus jeune élève de l’École de Danse à la plus ancienne Étoile, Aurélie Dupont, dont c’était d’ailleurs le dernier. Un Défilé chaleureux et beaucoup applaudi. Brigitte Lefèvre eut presque le triomphe modeste, ne descendant pas la grande scène en dernier comme l’avait fait Patrice Bart, mais montant sur le plateau après les saluts. Le public comme la compagnie lui réserva une longue standing-ovation. Manuel Legris, William Forsythe, Jean-Guillaume Bart, Angelin Preljocaj, Agnès Letestu… De nombreuses anciennes Étoiles et chorégraphes ayant compté pour la compagnie montèrent sur scène pour saluer la future-ex directrice. Même Benjamin Millepied était là et offrit la photo tant attendue du salut de la passation.
Que retenir des 20 ans de Brigitte Lefèvre à la tête du Ballet de l’Opéra de Paris ? Difficile de résumer en quelques paragraphes. Continuant le travail de Rudolf Noureev, elle a amené et/ou conforté à l’Opéra William Forsythe, Jiří Kylián, Pina Bausch ou Mats Ek, cassant les indéfectibles barrières entre publics de danse classique et danse contemporaine. Certains choix semblèrent toutefois plus relever de l’alignement de noms – Sidi Larbi Cherkaoui, Trisha Brown ou Anne Teresa De Keersmaeker – et montrèrent la limite de l’adage voulant qu’un-e artiste de l’Opéra de Paris puisse tout danser (tout, oui. Mais tout très bien, non).
Pour les ballets du répertoire classique, Brigitte Lefèvre les a parfois limités à être une cash-machine pour remplir les salles pendant les Fêtes, se souciant assez peu de la façon dont ils étaient remontés (les souvenirs de la dernière Bayadère ou du dernier Don Quichotte sont décidément douloureux), et montrant très peu de logique dans les distributions. Mais elle a aussi fait entrer tout un répertoire néo-classique, faisant éclore une autre génération de solistes, dont Isabelle Ciaravola, l’une des plus brillantes Étoiles de ces dernières années. Se pose aussi la question de la gestion des danseur-se-s, avec beaucoup de tensions et des blessures qui se sont multipliées, des talents oubliés. Mais c’est aussi elle qui a fait éclore des Étoiles un peu plus hors-normes, comme Marie-Agnès Gillot. Un bilan de 20 ans ne peut être que contrasté.
Georges
J’ai vu cette soirée sur Internet donc « légèrement » tronquée !
Contrairement à d’autres avis je vous suis tout à fait sur Suite de danses.
Les jeunes élèves faisaient plaisir à voir, leurs sourires n’étaient pas forcées.