Soirée Lifar/Ratmansky : épisode 1
Jeudi 22 septembre 2011. Soirée Lifar/Ratmansky par le Ballet de l’Opéra de Paris, au Palais Garnier. Phèdre, avec Marie-Agnès Gillot (Phèdre), Nicolas Le Riche (Thésée), Alice Renavand (Oenone), Karl Paquette (Hippolyte) et Myriam Ould-Braham (Aricie). Psyché, avec Aurélie Dupont (Psyché), Stéphane Bullion (Eros) et Amandine Albisson (Vénus).
Quel étrange ouverture de saison que cette soirée Lifar/Ratmansky. A la sortie, personne n’était d’accord, à croire que nous avions vu un programme différent. Phèdre ? « Un choc esthétique » ou « Une vieillerie qu’on n’aurait jamais vu ressortir« . Psychée ? « Un moment de délice » ou « Le plus affligeant ballet que j’ai jamais vu« . Ça se fightait jusqu’à l’arrêt de bus.
La seule chose qui a mis tout le monde d’accord, comme d’habitude, est resté le Défilé. Tout le monde a sa petite larmiche lorsque le Petit Rat apparaît, tout le monde trouve ça tellement mignon tous-tes ces gami-ne-s tellement fier-èr-s, tout le monde adore jouer à l’applaudimètre. La planète de la danse est cruelle, ce sont toujours les mêmes qui gagnent (Nicolas Le Riche, Agnès Letestu, Aurélie Dupont…) et les mêmes qui reçoivent le minimum syndical d’applaudissements polis. Petits moments de joie lorsque des lignes de premier-ère-s danseur-se-s (Myriam Ould-Braham, Alessio Carbone et Emmanuel Thibault) ont droit à de véritables ovations. Le Défilé, c’est le seul moment de la saison où le public a la parole, et il ne s’en prive pas.
Cette soirée pourrait avoir comme sous-titre « Le mythe grec dans tous ses états« . Les deux ballets prennent en effet pour thème une histoire venue tout droit de l’Antiquité, mais avec une vision diamétralement opposée.
Phèdre, le ballet de Serge Lifar, va chercher dans la pure tragédie. On s’aime et on se déteste, sur fond de pouvoir et d’inceste.
Cette oeuvre reste tout d’abord un choc visuel dès que le rideau s’ouvre. Voilà une toile blanc, avec au milieu un mini décor de théâtre, aux rideaux bleu vif. C’est là qu’apparaissent les personnages au loin ou évoqués, ou alors le destin qui approche. Les costumes tranchent, du violet, de l’orange, du bleu… euh… étrange pour les vagues. Et cette gestuelle permanente propre à Lifar, avec ses pliés en seconde position et ses poignets et ses coudes cassés. Le public n’est pas, ou plus, habitué à cette esthétique. Est-telle vieillie ou dépassée ? Pour ma part, non, car le parti-pris est trop tranché. Phèdre est une proposition artistique jusqu’au-boutiste. Trop-c’est-trop, peut-être, mais on ne peut pas en tout cas reprocher au chorégraphe de ne pas avoir voulu imprimer un style différent, ce qui manque cruellement à la deuxième oeuvre de la soirée.
Marie-Agnès Gillot parlait de « casting démentiel » pour cette première. Pas totalement vrai, même si la déception n’a pas été là où on l’attendait. Marie-Agnès Gillot est pour sa part une Phèdre formidable, totalement tragédienne. Elle aime et déteste trop fort, en sachant très bien qu’elle n’y peut rien, c’est la Destiné. Son allure atléthique, qui déplait souvent dans le classique, lui confère une véritable autorité. C’est une reine qui n’est pas seulement souveraine par son mariage, mais qui a su prendre le pouvoir. Sa Phèdre dirige, et ne supporte pas d’être désobéie. C’est là d’où vient le drame. Elle sait qu’aimer Hippolyte, son beau-fils rappelons-le, n’est pas l’idée du siècle. Mais la jalousie de le voir dans les bras d’une autre est plus fort que la raison. Phèdre se précipite dans la tragédie en tout conscience.
Passée la surprise du vert fluo de sa tenue, Karl Paquette est un Hippolyte intéressant. Personne n’attend de lui un sommet de technique, mais comme à son habitude, il compense par une proposition artistique forte et qui tient tout au long du ballet. Son Hippolyte est un personnage relativement « normal », s’entend des réactions à peu près logiques face à ce qui se passe : un amour joyeux pour Aricie, une frayeur écoeurée face à l’inceste de Phèdre, une peur de Thésée. Celle qui se détache reste toutefois Alice Renavand, très sincère dans son rôle d’Oenone, portant la tragédie, et sculpturale en académique. J’ai un peu l’impression qu’elle fait toujours la même chose, mais cela reste efficace. Dommage pour Myram Ould-Braham, son personnage d’Aricie n’est pas assez consistant pour la mettre véritablement en valeur.
La déception vient – et oui, ça devait bien arriver un jour – de Nicolas Le Riche. Il n’est pas forcément gâté par son costume, rose et avec une espère d’armure sur le corps. Etait-ce un peu lourd à porter ? Sa danse paraissait en tout cas comme déjà fatiguée, et l’on a guetté en vain ses habituelles envolées. Le Riche a également eu du mal à trouver sa place dans ce quintette. Si les quatre autres se répondaient admirablement bien, lui semblait en-dehors. Son solo reste en tout cas la seule partie du ballet où j’ai décroché.
Tout cela évidemment se finit en drame, trois morts en à peine 1/4 d’heure. Du sang, des larmes, et une oeuvre assez unique en son genre.
Psyché d’Alexeï Ratmansky apparaît à côté de Phèdre comme un sommet de danse académique. Pas de tragédie, place plutôt au monde rempli d’allégresse des Dieux Romains, entre belle terrienne, nymphes des bois et forêts enchantées.
Alexei Ratmansky s’est bien amusé avec les décors et les costumes. Les premiers sont dans les tons des meilleurs Walt Disney, les deuxième sont adorables d’humour et de second degré. Parfaitement, la moumoute passe très bien, nous ne sommes pas dans un monde réel après tout. En homme qui aime la musique, Ratmansky a choisi une très jolie partition, Psyché de César Franck, admirablement interprétée entre l’Orchestre National d’Ile-de-France et le choeur de Radio-France. Il a en plus très bien su s’en servir.
Mais Psyché transpire trop le bon goût de tous les côtés pour pouvoir vraiment se laisser emporter. Ratmansky semble avoir pris le plus grand soin de ne jamais choquer le public, encore moins d’essayer de le surprendre. Chaque pas et intention est calibré pour plaire au plus grand nombre. Psyché est indéniablement un ballet très joli à regarder, plaisant par moment, mais tellement attendu que l’ennui arrive trop vite. Voilà deux deux fois que je le vois, et j’ai déjà l’impression d’en avoir fait plus que le tour. Etrange impression de voir en face de soi un ballet horriblement passéiste, alors qu’il s’agit d’une création.
Heureusement, il y avait Aurélie Dupont. Sublime de bout en bout, un pur régal. Il y aurait donc un an qu’elle n’aurait plus chaussé ses pointes sur scène ? Inimaginable, tant chacun de ses pas semble le plus naturel, le plus délicat, le plus musical et le plus gracieux du monde. Son solo sur la partition de choeur est un véritable petit régal. Loin de tomber dans une vision éthérée du personnage, Aurélie Dupont joue une Psychée plutôt spontanée. Par naissance, sa beauté devait la mener à un destin exceptionnel. Alors il n’y a pas à être surprise lorsque des Zéphirs vous enlèvent, que vous découvrez une forêt magique où chaque être de la Nature semble vous adorer (très joli corps de ballet au passage), qu’un Dieu tombe amoureux de vous et que vous finissez Déesse. Il y a juste à se laisser porter par les événements.
Amandine Albisson offre une formidable Vénus en face. Elle aussi resplendit, mais d’une tout autre beauté. La sienne est décidée, tranchante. Elle règne avant toute chose. Dommage, face à ces deux fortes personnalités, Stéphane Bullion a du mal à exister. Son Eros est trop terrien, et peut-être un peu trop humble, pour lui conférer ce côté magique qui fait tout le charme de ce genre de ballet. Un peu dépassé par la technique lors de son solo, son partenariat avec Aurélie Dupont fonctionne toutefois plutôt bien.
Tout cela évidemment se finit en happy-end, un mariage adoubé par la belle-mère et un futur bébé en à peine 5 minutes. S’il y avait une seule kitcherie à enlever, c’est bien ce faux ventre et l’air béat de chaque protagoniste. La dernière goutte d’eau de bons sentiments qui fait déborder le vase du dégoulinant. Je suis toutefois curieuse de voir les autres distributions, notamment le duo Gilbert/Ganio qui semble assez prometteur dans ce ballet.
Karine
Moi, ce qui m’a vraiment gênée dans Phèdre, ce sont les costumes… Ma 1ère réaction ? « Oh, des Power Rangers ! » (ou Bioman, selon la génération…)
Audrey
Moi aussi, je trouve les costumes de Phèdre… surprenants 🙂
Mais j’ai quand même bien hâte de découvrir tout ça. D’ailleurs après tes impressions, je regrette encore plus de loupe Alice Renavand… Je l’avais beaucoup aimée dans la Maison de Bernarda… Bref 🙂
Samedi prochain pour moi, je pense que je vais commencer à faire un compte à rebours.
Nanarinauk
I am going to see these ballets on 29th September, my intertest laying with Psyche performed by Aurelie Dupont.
and much looking forward to it. It will be interesting to see her back on stage again., after the birth of her second child.
This storyline gave the Choreographer the chance to excel
in a « modern » classic. I love his Flames of Paris for the Bolshoi, and have great expectations, hopefully I will not be disapointed. We will see!!!!
Amélie
@ Karine : Lol, c’est pas faux ! Il y a aussi un peu de Sailor Moon dans le costume d’Aricie.
Cams
ah je suis teeeeellement déçue d’avoir loupé le défilé…
En tout cas j’ai hâte de découvrir ces deux ballets. Les avis très contrastés et les photos vues m’interpellent.
Une passionnée
J’y suis allée, et j’étais peu enthousiasmée au départ et finalement j’en suis ressortie plutôt convaincue. Agnès Letestu m’a convaincu en Phèdre, même si le reste de la distrib’ est plus monotone! Et, j’ai été transportée par la poésie que dégageait le couple Gilbert/Ganio dans Psyché! (même si les décors et costumes peuvent quand même prêter à sourire..)
Melodiz
La saison à l’Opéra a enfin commencé pour moi également, dimanche pour être précise, avec MAG et Nicolas Le Riche pour Phèdre et Aurélie Dupont et Stéphane Bullion pour Psyché.
Passée mon excitation initiale d’être tombée par le plus pur des hasards sur cette brochette de stars (avec mention toute spéciale pour ma favorite Aurélie Dupont !), je n’ai pas été déçue, déjà parce que je ne connaissais rien à ces deux ballets et donc je ne savais absolument pas à quoi m’attendre.
Au niveau de la pièce, j’ai eu plus de facilité de rentrer dans l’histoire de Psyché. Ensuite concernant les danseurs, je les ai globalement tous trouvé en forme, avec mention particulière pour MAG, Le Riche, Renavand et Dupont. Et oui Le Riche également ! Contrairement à toi, il m’a paru fougueux, en puissance… Et quel plaisir de retrouver Aurélie Dupont !
Et un corps de ballet globalement au top pour ces deux pièces.
Bref, vivement la suite !
Amélie
@ Cams : J’ai hâte de lire ton compte-rendu de la soirée de jeudi. Dans quel camp vas-tu être ? 😉
@ Une passionnée : Je vais voir Gilbert/Ganio ce soir, je suis vraiment curieuse de voir ce qu »ils peuvent donner. Plus j’y pense, plus je trouve que le couple Dupont/Bullion, même s’il s’accordait bien esthétiquement, restait trop déséquilibré niveau technique.
@ Melodiz : Merci pour ce compte-rendu 🙂 Cette soirée a vraiment le charme de l’inconnu, ça fait du bien aussi d’être surprise