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Soirée Paul / Rigal / Millepied / Lock

Avec deux reprises et deux créations, la soirée Paul / Rigal / Millepied / Lock du Ballet de l’Opéra de Paris met à l’honneur des chorégraphes actuels, modernes. Mais chacun d’eux, soit parce qu’il est ou fut danseur de pièces classiques, soit parce qu’il se propose d’en modifier ou d’en déconstruire les codes, entretient un certain rapport avec le ballet. Si le travail chorégraphique de Nicolas Paul, Benjamin Millepied ou Édouard Lock, dans ce contexte, est largement connu, c’est une innovation pour Pierre Rigal qui, plus habitués aux interprètes hip-hop et circassiens, réalise ici sa première collaboration avec l’Opéra de Paris.

Nicolas Paul - Répliques

Nicolas Paul – Répliques

Mais avant de découvrir ce qui constitue la plus grande surprise de ce programme, la soirée s’ouvre avec Répliques, écrit en 2009 par Nicolas Paul, Sujet du Ballet de l’Opéra qui chorégraphie depuis 2001. Ce judicieux titre polysémique évoque à la fois la réponse, le dialogue puisqu’on se donne la réplique, la copie plus ou moins fidèle, ou encore un tremblement de terre, succession atténuée d’un premier grand séisme. Et c’est en effet le thème du miroir, du double, la construction d’une identité propre, que Nicolas Paul se propose d’explorer avec cette chorégraphie. Un propos intelligent, mais une émotion qui a beaucoup de mal à percer.

Dans cette pièce, il est question de transparences, de ce qui se voit, se montre ou se cache. Quand les danseurs et les danseuses, vêtus à l’identique de pantalons et tee-shirts, jouent avec le tulle de leur costume d’abord. Mais surtout de par l’intelligent dispositif scénique imaginé par Paul Andreu. Trois grands écrans de voile viennent peu à peu délimiter l’espace scénique, formant finalement en se superposant un dessin abstrait qui évoque des nuages, une brume. Ils permettent également, associés aux judicieuses lumières de Madjid Hakimi, de réduire ou densifier l’espace, de laisser plus ou moins apparaître les silhouettes des interprètes, ou au contraire de les cacher.

Nicolas Paul - Répliques

Nicolas Paul – Répliques

Ce décor sert à merveille le propos de Nicolas Paul. Il permet aux interprètes, chacun placé de part et d’autre du voile, de danser face à face, en miroir,  reproduisant les gestes de celui qui lui fait face, puis peu à peu s’en affranchissant. Le vocabulaire du chorégraphe est très technique. Il joue beaucoup sur les différences de rythmes, lenteur ou accélération, sur les appuis, les portés. Les pas de deux souvent complexes, parfois trop, mettent plus en valeur les danseurs que les danseuses. Vincent Chaillet et Aurélien Houette se démarquent particulièrement, bien que cette pièce soit parfaitement exécutée par tous.

Finalement, malgré l’intelligence du propos et de la scénographie, la performance des interprètes, cette chorégraphie ne séduit pas. Outre quelques scènes plastiquement très réussies qui charment l’œil, ni émotion, ni réflexion, ni nouveauté ne troublent le regard. Et l’ennui s’installe peu à peu.

Nicolas Paul - Répliques

Nicolas Paul – Répliques

Vient ensuite l’attendue création de Pierre Rigal, Salut. C’était, de la part de Brigitte Lefèvre, un pari audacieux que d’inviter ce jeune chorégraphe protéiforme. Athlète et réalisateur, il est venu à la danse sur le tard, et fut révélé en 2003 par un premier solo réjouissant : Érection ! Alors qu’il travaille tour à tour avec des circassiens, des danseurs hip-hop, contemporains ou des musiciens, Brigitte Lefèvre remarque son travail, particulièrement lors de ses créations à Suresnes cités danse, bien loin de l’académisme de l’Opéra.

Rendez-vous est pris et, dès leur deuxième rencontre, le thème comme le titre de la pièce qu’il créera pour 16 danseuses et danseurs s’impose à Pierre Rigal. En effet, explorer la notion de salut, mot là encore polysémique, lui permet d’évoquer le moment codifié qui clôt chaque représentation, passage rituel entre fiction de la scène et réalité de la vie. Mais aussi le retour à un état de sécurité, de bien-être, après une prise de risque, une mise en danger. Deux définitions qui permettent d’aborder des cycles inhérents à la vie d’un interprète.

Pierre Rigal - Salut

Pierre Rigal – Salut

La pièce débute par une joyeuse et facétieuse scène où les danseur-se-s, perruqué-e-s et vêtu-e-s de graphiques costumes noirs et blancs, saluent sous les applaudissements et les bravos de la bande son. Radieux, se tenant par la main, ils avancent, se penchent, se relèvent puis reculent, comme il se doit, surprenant les spectateur-rice-s qui sourient et dont certain-e-s, pris au jeu, applaudissent. Mais au fur et à mesure que ce geste formaté se répète, il se disloque. Les membres raides et précis forment des angles, le groupe se défait, et si certains continuent de plier leur corps, c’est cette fois dos au public. L’ordre, la précision, font peu à peu place à un certain chaos. Le groupe se distend, des individus s’échappent, chacun dansant sa partition, puis se reforme, comme par vagues.

Dans cette pièce, Pierre Rigal et ses acolytes détournent avec talent et intelligence tous les codes du ballet. Si la musique de Joan Cambon accompagne avec justesse les états émotionnels – de l’angoisse à la joie retrouvée – que génère la chorégraphie, elle prend soin également de « saluer secrètement la mémoire de la musique occidentale« . Elle inclue ainsi dans sa composition électronique des fragments musicaux de Rameau, Debussy, Beethoven ou Satie. Les costumes, archétypes du ballet imaginés par Roy Genty, sont simplifiés et modulables. Au fil de la pièce, alors que les interprètes s’en délestent, les tutus deviennent collerettes ou couronnes, quand ils ne s’accumulent pas pour former d’étranges sculptures.

Pierre Rigal - Salut

Pierre Rigal – Salut

Si la danse de Pierre Rigal ne manque pas d’utiliser la virtuosité de ses interprètes, c’est en déjouant leur académisme, en les conviant sur des terres inconnues. Il est ainsi frappant de voir des danseur-se-s de formation classique traverser la scène sur leurs pointes… sans pointes. Ou d’assister à de puissants sauts dont l’énergie part d’un corps allongé.

Non content de déconstruire le ballet dans le corps de ses interprètes, Pierre Rigal déconstruit aussi le ballet classique en lui-même. En effet, les seize artistes choisis pour cette pièce forment un groupe hétérogène, aussi bien en terme d’âge que de position hiérarchique au sein de l’Opéra. Cependant, ils sont un tout sur scène, à la fois soudé, sans qu’un rôle soit plus important qu’un autre, gardant pourtant chacun une personnalité propre, contrairement à un corps de ballet.

Cette première création de Pierre Rigal pour l’Opéra de Paris est donc une vraie réussite. Il est assez réjouissant d’assister, sous les ors du Palais Garnier, à un tel détournement des codes de la danse classique. Toutefois quelques-unes des scènes, même si leur aspect parfois brouillon est sans doute volontaire, auraient gagné à être encore travaillées. Cinq semaines, seulement, pour amener des interprètes vers un nouvel univers, un nouveau vocabulaire, laisser la place à des improvisations et finaliser une pièce, est-ce vraiment raisonnable ?

Pierre Rigal - Salut

Pierre Rigal – Salut

Après l’entracte, vient le moment de Together Alone, courte pièce de Benjamin Millepied. Encore tout neuf Directeur de la Danse, il est en tant que chorégraphe déjà au répertoire de l’Opéra depuis 2006 avec Amovéo, suivi de Triade en 2008 puis de Daphnis et Chloé l’année dernière.

Séduit par la belle Étude pour piano n° 20 de Philip Glass, il décide d’utiliser cette partition pour écrire un duo dédié à Aurélie Dupont et Hervé Moreau, deux interprètes qu’il apprécie tout particulièrement. Il y voit l’occasion de rendre hommage et d’offrir une création à la danseuse avant son départ à la retraite en mai prochain.

Le style de la pièce est épuré : les interprètes sont vêtus de jeans et débardeurs, les lumières minimalistes. Au son du piano d’Elena Bonnay, jouant la partition de Philip Glass sur scène, un couple se lie, se sépare, se retrouve dans de tendres portés. La danse est élégante, le duo gracieux. Pourtant, la magie n’opère pas.

Est-ce la chorégraphie qui, bien qu’esthétique, ne parvient pas à créer l’émotion ? Ou est-ce le couple, formé ce soir là d’Aurélie Dupont et de Marc Moreau, qui n’a pas assez dansé ensemble pour que l’alchimie prenne ?  Ce dernier a en effet dû remplacer au pied levé Hervé Moreau blessé. Voilà qui n’est pas facile à déterminer. Quoiqu’il en soit, comme Répliques, Together Alone laisse un peu froid.

Édouard Lock - AndréAuria

Édouard Lock – AndréAuria (Stéphane Bullion et Alice Renavand)

Enfin, AndréAuria, créé en 2002 par le chorégraphe québécois Edouard Lock, directeur de la compagnie La La La Human steps, vient clôturer ce programme. Dans cette pièce, sans aucun doute la plus exigeante de la soirée, le chorégraphe explore une fois encore la vitesse du geste et le risque physique, par la déconstruction du vocabulaire classique et le travail sur pointes.

Sur scène, deux pianistes se font face, jouant la musique minimaliste de David Lang. De longs panneaux noirs, marbrés de blanc, qui tombent des cintres, encadrent le plateau formant un décor graphique et symétrique. Un éclairage vif, tranchant, délimite plusieurs espaces entre ombres et lumières. Les danseurs sont vêtus de costumes noirs, les danseuses d’élégants justaucorps également noirs.

Édouard Lock - AndréAuria

Édouard Lock – AndréAuria

Dans cette mise en scène austère et raffinée, solos, duos, trios se construisent et s’évaporent par une danse dont la célérité et la technicité fascinent. Les déhanchés perturbent l’équilibre tandis que des ports de bras anguleux cassent les lignes du corps. Tours, portés, piqués, batteries se succèdent de façon plus ou moins répétitive, dans un rythme effréné qui ne laisse aucun répit aux interprètes.

Si tous excellent par leur technique et réalisent de véritables performances, tous n’incarnent pas cette pièce de la même façon. Le vocabulaire néo-classique a ceci de redoutable qu’exécuté sans se départir de l’affectation de la danse classique, il devient d’une virtuosité maniérée qui finit par lasser, voire agacer. Cela tient à des détails, port de tête, position des mains, regard… Ce soir-là, seuls Alice Renavand et Stéphane Bullion, magnifiques dans ce répertoire, réussissent cette prouesse avec brio. Aucune préciosité ne vient brouiller leurs gestes, et leur présence, aussi forte que naturelle, hypnotise.

Le grand plaisir que l’on prend à regarder AndréAndria leur doit ainsi beaucoup, même si cette chorégraphie à l’énergie survoltée et à la brillante élégance séduit quoiqu’il en soit.

Édouard Lock - AndréAuria

Édouard Lock – AndréAuria

 

Soirée Paul / Rigal / Millepied / Lock, par le Ballet de l’Opéra de Paris, au Palais Garnier.

Répliques Chorégraphie de Nicolas Paul. Musiques de Gyorgy Ligeti. Scénographie de Paul Andrieu. Costumes d’Adeline André. Lumières de Madjid Hakimi. Avec Ludmila Pagliero, Vincent Chaillet, Valentine Colasante, Aurélien Houette, Laurence Laffon, Alexandre Carniato, Jennifer Visocchi et Bruno Bouché.

Salut Chorégraphie de Pierre Rigal assisté de Mélanie Chartreux. Musique originale de Joan Cambon. Costumes de Roy Genty assisté d’Adélaïde Le Gras. Lumières d’Urs Schönebaum. Ingénieur du son Sébastien Trouvé. Avec Stéphanie Romberg, Marine Ganio, Caroline Robert, Marion Barbeau, Ida Viikinkoski, Lucie Mateci, Caroline Osmont, Sofia Parcen, Jérémie Bélingard, Benjamin Pech, Yann Chailloux, Hugo Vigliotti, Jean-Baptiste Chavignier, Takeru Coste, Pablo Legasa et Axel Magliano.

Together Alone Chorégraphie de Benjamin Millepied. Musique de Philip Glass. Lumières d’Urs Schönebaum. Piano Elena Bonnay. Avec Aurélie Dupont et Marc Moreau.

AndréAuria Chorégraphie d’Èdouard Lock. Musique de David Lang. Scénographie de Stéphane Roy. Costumes de Liz Vandal. Lumières de John Munro. Pianos Denis Chouillet et Nicolas Mallarte. Avec Alice Renavand, Valentine Colosante, Héloïse Bourdon, Stéphane Bullion, Germain Louvet, Mathias Heymann, Josua Hoffalt, Mélanie Hurel, Lydie Vareilhes, Fany Gorse, Simon Valastro.

Mardi 3 février 2015.

 

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