Un hommage à Noureev sans panache (ou presque)
Je ne connais pas Rudolf Noureev. Je suis née trop tard pour le voir danser, et j’ai commencé à aller à l’Opéra un an après sa mort. Même la fameuse Génération Noureev, je ne la connais pas tant que ça, n’allant que trop peu souvent à Garnier à l’époque pour me faire une véritable idée.
De Noureev, je n’ai donc que ce que racontent ceux et celles qui l’on vu et/ou ont travaillé avec lui. Et quels sont les adjectifs qui reviennent le plus souvent pour le décrire ? Caractère insupportable, certes. Ego surdimensionné aussi. Danseur au charisme incroyable également. La fougue, le panache, la passion dévorante de la danse.
Fougue, panache, passion… Autant de choses qui manquaient cruellement à ce Gala Noureev du Ballet de l’Opéra de Paris, censé rendre hommage à son ancien directeur. La formule du gala n’est certes pas la plus facile. En général, on tombe un peu dans un excès de virtuosité. Ce n’est pas non plus ce qui a qualifié cette soirée, marquée par un ennui poli malgré un public visiblement heureux d’être là, peut-être plus que les danseurs et les danseuses sur scène. Je n’ai pas vécu l’esprit Noureev, mais rien dans cette soirée ne m’a fait pensé à ce que décrivent les gens qui ont connus cette période. Drôle d’hommage donc, impression de service minimum (les pas de deux ont tous été tronqués de leurs variations, l’acte des Ombres était un pot-pourri) et bilan plutôt inquiétant.
Pourtant, la danse n’est jamais très loin. Elle a surgi lors de la deuxième partie, le pas de deux de Roméo et Juliette par Nicolas Le Riche et Laëtitia Pujol. D’un coup, la scène s’est allumée, les coeurs se sont emballés. Les deux artistes avaient 16 ans, s’aimant si forts qu’ils pouvaient renverser la Terre entière. C’était un danseur d’une incroyable intensité, si au-dessus des autres. C’était une danseuse mettant toute sa technique ultra-sûre au service de son personnage. C’était un couple qui vivait intensément chaque seconde comme si c’était la dernière. C’était beau, c’était de la Danse, et ce fut neuf minutes qui valaient à elles-seules le déplacement. Il y a des gens, comme ça, on ne sait pas pourquoi, tout s’allume dès qu’ils entrent en scène.
Il y a en a un autre, c’est la même chose, plus rien n’est pareil quand il se met à danser. Mathias Heymann était absent depuis plus d’un an. Il revient, il n’a rien perdu ni de sa virtuosité ni de sa superbe. Manfred, son solo, était d’ailleurs la seule curiosité de ce programme, puisque le ballet n’a pas été donné depuis 30 ans. Et l’une des rares pièces véritablement signées Noureev, la plupart des autres extraits présentés étaient finalement plus un hommage à Petipa. La chorégraphie n’était pas forcément des plus inspirée, mais tant pis. Ce solo était un concentré de fougue et de passion. L’émotion était palpable chez le jeune danseur, ce devait être un vrai défi pour lui d’être là ce soir, et le public lui a bien montré sa joie de le retrouver.
Et pour le reste ? Deux passage sortaient plus ou moins du lot. Dorothée Gilbert était venimeuse en Cygne noir, entourée de deux partenaires, Mathieu Ganio et Benjamon Pech, bien investis. Mais, mais, mais… Pas de variation, pas de coda, pas de 32 fouettés. C’est toujours le Cygne noir ? Service minimum on vous dit ! L’acte des Ombres de La Bayadère était aussi largement tronqué, sans que l’on saisisse l’intérêt du découpage. La Descente des Ombres était en place bien qu’un peu ennuyeuse. Mais il y avait Reine Agnès, très inspirée, impériale. Et Stéphane Bullion jamais plus en forme que lorsqu’il danse avec Agnès Letestu.
Et les autres alors ? Les Petit Rats furent mignons comme tout dans la Marche de Casse-Noisette, et il est de toute façon trop politiquement incorrect pour déclarer l’inverse. Pas d’adage du troisième acte, mais celui du premier, sans variation. Excuse médicale acceptée. Et puis ce fut un jolie couple tout de même, entre Christophe Duquenne très attentif et Myriam Ould-Braham sachant raconter comme personne l’éveil à l’Amour en quatre minutes. Dès son entrée en scène, Aurélie Dupont a rayonné, comme à son habitude. Mais, et mon clavier en pleure d’écrire ces lignes, les années passées se sentaient dans son Adage à la Rose de La Belle au bois dormant. Il n’y avait plus chez elle cette absolue technique transcendée, juste une danseuse, certes sublime, mais dont on ressentait la peur face aux redoutables équilibres.
Le Fandango de Don Quichotte a bien démarré, mené par Eve Grinsztajn remplie de caractère et… mais oui… de panache. Pas de variation évidemment (service minimum on a dit), juste deux petites minutes sorties de nul part, avant un pas de deux ennuyeux entre Ludmila Pagliero et Karl Paquette (le seul passage à être donné dans son entier, avec variations et coda). Ce fut cruel pour ce dernier. Karl Paquette est un danseur éminemment sympathique, très bon partenaire mais dont tout le monde est d’accord pour dire que c’est la moins virtuose des Etoiles. Il a donc droit à un long adage avec une partenaire avec qui il ne partage visiblement pas grand chose, et à l’une des variations les plus dures de la soirée. Perplexité, quand tu nous tiens.
Drôle de couple également pour Cendrillon, entre Marie-Agnès Gillot plus MAG que jamais et Florian Magnenet plus Mignonet que jamais. Ou comment Cendrillon devient une femme indépendante et glamour à côté d’un Prince passablement inutile. Impossible d’y croire.
Isabelle Ciaravola est une danseuse d’une grande force dramatique. Mais la variation de la Claque, ce n’est décidément pas pour elle. Quand au Cygne Blanc, il est assez terrible de se dire que c’est le meilleur rôle d’Émilie Cozette. Plus en forme qu’il y a deux ans, elle apparaissait tout de même très – trop – terrienne pour un Cygne, sans grande musicalité. Mais elle avait de la chance, elle avait Hervé Moreau comme partenaire, qui avait de la poésie pour deux. Je ne connais pas bien ce danseur, je suis donc encore toute surprise dès que le le vois en scène tellement c’est beau. Prenez ses mains par exemple. Quand ses mains se posaient sur la taille de la danseuse, il y avait toute la tendresse, l’amour et le respect du monde. Je suis restée tout l’adage fixé sur le travail de bras d’Hervé Moreau, c’était de toute beauté.
21h30, emballé c’est pesé, les saluts sont expédiés, les lumières rallumées. Comme si ce gala, au fond, n’était pas vraiment assumé. Il ne reste sûrement plus grand chose de l’état d’esprit de Noureev à l’Opéra de Paris, ses ballets ne sont plus si souvent donnés, et la compagnie semble bien plus à l’aise dans des oeuvres néo-classique. Alors pourquoi faire un gala hommage à Noureev s’il n’y a plus rien à fêter ? Pour récolter des fonds auprès des mécènes, humm, bonne réponse.
Cette soirée, c’était la soirée des Étoiles, censées être les meilleur-e-s danseurs et danseuses de ce qui est censé être la meilleure compagnie du monde. Ce devait donc, en toute logique, être une soirée inoubliable. Ce fut une soirée tiedasse. L’interview de Brigitte Lefèvre parue sur CultureBox laissait d’ailleurs songeur-se. On a l’impression qu’elle est tombée dans la caricature de ce qu’est la danse française. Surtout que l’Opéra de Paris ne se fasse pas remarquer. Surtout que l’on ne fasse pas une soirée retentissante. Surtout que les Étoiles ne se mettent pas à briller, à se démarquer, à flamboyer. Personnellement je ne vais pas voir de la danse pour m’ennuyer.
© Photo en Une : Blog A petits pas
Anne
« Mais pourquoi c’est lui qui part à la retraite? Et dans 1 an?? » C’est ce qui me passait par la tête en regardant Nicolas Le Riche danser Roméo et Juliette avec Laetitia Pujol. Leur passion, leur charisme, leur virtuosité et leur bonheur de danser étaient tellement palpables ; c’était de loin le plus beau moment de la soirée.
J’ai aussi aimé l’investissement de Vincent Chaillet dans le fandango de Don Quichotte et Myriam Ould Braham, Hervé Moreau, Stéphane Bullion et Agnès Letestu m’ont émue du haut de mon 4ème balcon.
C’était la 1ère fois que j’assistais à un gala et j’étais étonnée du manque de caractère exceptionnel de la soirée, ne serait-ce que le manque de décor. C’est peut-être ce qui se fait habituellement mais ils auraient pu faire quelque chose de l’écran au fond? Au moins l’orchestre était en forme.
Romain
Même si ça devait être une soirée assez sympa, quand je regarde les photos et les vidéos, ou même que je lis le programme, j’ai plus l’impression que c’était une soirée jeune danseurs réservé au danseurs étoiles.
Bref une drôle de façon de célébrer Noureev…
En tous cas très heureux de voir Mathias Heymann de retour et en grand forme! Hâte de pouvoir le découvrir sur scène dans un prochain ballet!
Joelle
En ce qui me concerne (et mon cher époux aussi), nous avons passé une superbe soirée, tout contents d’avoir pu obtenir deux tickets et ravis de la soirée qui est allée en crescendo.
C’est sûr que ce n’était pas une soirée à « gros budget » (sauf pour le prix des places…) mais nous avons eu droit à une pluie d’étoiles qui nous laisse plein de souvenirs très chouettes, même si certain(e)s n’ont pas été complètement au top.
Mais la découverte de M. Heymann + le couple N. Le Riche / L. Pujol, c’était de la dynamite !!!
Miam23
Je ne partage pas tout à fait votre avis. Pour ma part, j’ai passé une excellente soirée, impressionnée de voir toutes ces étoiles (du moins féminines) réunies dans des classiques que j’adore. Rien que les premières notes de l’orchestre jouant le lac des cygnes m’ont directement mise dans l’ambiance. Par contre, c’est vrai, j’ai été frustrée par les extraits trop courts (notamment de Casse-Noisette…:-(
A l’inverse de vous j’ai trouvé qu’au début c’était le public qui manquait d’enthousiasme : Aurélie Dupont, la Belle au bois dormant, semblait narguer le public avec des équilibres à n’en plus finir, à froid en plus. Moi j’avais envie d’applaudir à chaque fois mais le public ne s’est pas montré aussi chaleureux qu’Aurélie Dupont.
J’ai trouvé le Cygne noir pas assez venimeuse et trop souriante,sympathique.
Pour les fouettés, ceux de Ludmila étaient quand même impressionnants !
Dans la bayadère, l’air inspiré de la danseuse, je l’ai plutôt perçu comme « faisant la gueule »…J’ai trouvé son visage très dur, ce qui n’est pas sensé être l’interprétation à avoir il me semble dans ce passage du ballet. (comme quoi chacun a ses préférences dans le panel des étoiles 😉
J’ai beaucoup aimé la douceur du couple du cygne blanc (notamment les tombés en arrière du cygne, rattrapés par H. Moreau avec délicatesse).
Je suis d’accord sur fragilité de certains danseurs hommes pour qui je stressais à la réception de chaque saut et fin de tour…
A peu près d’accord pour Cendrillon. Je n’ai pas trop aimé MAG dans cette interprétation classique que j’ai l’habitude sans doute de voir exceller plutôt dans le contemporain.
J’ai beaucoup aimé la variation de Raymonda et j’ai trouvé Isabelle Ciarvola impériale.
Adoré aussi Roméo et Juliette, magnifique chorégraphie, musique et danseurs ! (même si la maigreur de Juliette m’a fait un peu peur quand même, j’avais peur que ses bras ne se cassent comme des brindilles…)
Très émue par Manfred, dont la chorégraphie dénotait un peu avec le reste, mais ce qui ne la rendait que plus unique !
emilie
Pour ma part j’ai beaucoup aimé cette soirée !! Il est vrai que je vais à Bastille et Garnier depuis peu donc je n’ai pas le même regard…
Une soirée en crescendo : j’ai trouvé le pas de deux Le Riche/ Pujol magnifique (je suis d’ailleurs ravie de pouvoir le revoir sur internet); très émue par Mathias Heymann que je découvrais pour la première fois et également agréablement surprise par Moreau/ Cozette…
C’était la première fois que je découvrais la plupart des étoiles dc ce fut un très beau cadeau de les avoir tous réunis…
En tout cas j’ai hate d’assister aux 2 autres soirées Noureev, celle du Chatelet et celle du Palais des Congrès.
Jean-Marc CRANTOR
Je suis malheureusement obligé de partager votre opinion sur cette soirée. Triste, tiède, presqu’ennuyeuse ! Les danseurs de l’Opéra nous ont habitués à plus de panache, plus de brio. Je me suis longuement interrogé sur les distributions. Les danseurs étaient-ils dans des rôles qui correspondent à leur tempérament, à leurs qualités techniques ? Je m’en suis pas certain.
La deuxième partie de la soirée m’a semblé plus intéressante, plus riche que la première. Le pas de trois (Le Lac des Cygnes) dansé par Dorothée Gilbert, Mathieu Ganio et Benjamin Pech était très convaincant et donc réussi. Le duo formé par Laëtitia Pujol et Nicolas le Riche (Roméo et Juliette) était excellent. J’ai énormément apprécié l’interprétation de Stéphane Bullion dans l’acte III de La Bayadère. Mais Sans conteste, le point culminant de la soirée a été l’interprétation de Manfred par Mathias Heymann. Il était pleinement habité par son personnage. Fougue, passion, technique, précision, … Bref, il n’a rien perdu de ses qualités techinques et artistiques exceptionnelles. Cher Mathias, durant ces longs mois d’absence, tu nous as beaucoup manqué !
Sissi
Je partage vos impressions… Pendant la première partie j’ai eu l’impression que c’était une course contre la montre ! La variation à peine terminée le rideau baissé, un salut rapide et on enchaîne le plus vite possible. J’ai préféré la deuxième partie avec bien sur Roméo et Juliette (il faut voir ça une fois dans sa vie !) et Manfred. Dommage de la part de l’Opéra de ne rien avoir fait de spécial pour cette soirée de gala hommage, quelques photos et c’est tout, ça laissait sur sa faim…
J’ai quand même passé une merveilleuse soirée, on n’a pas souvent l’occasion de voir autant d’étoiles et de pas de deux, vivement la prochaine !
Amélie
@ Anne : Ahh, le fond de la scène, c’est ce qu’il y a de plus dur pour un gala. En général, cela reste un fond uni, c’est ce qu’il y a de plus simple. Mais le côté festif vient souvent d’autres choses.
@ Romain : Vraiment hâte de le revoir dans la Troisième Symphonie de Mahler, il est revenu en pleine forme !
@ Joëlle : Mais oui, cela valait le détour rien que pour ces deux passages.
@ Miam23 : Merci pour ton avis contrasté 🙂 Agnès Letestu est une danseuse particulière, qui ne crée pas forcément l’unanimité : on adore ses prestations ou on passe à côté.
@ Emilie : Surtout que les deux autres galas à venir devraient être très différents dans la programmation, ça sera intéressant.
@ Jean-Marc : Mathias Heymann est vraiment le danseur brillant de sa génération… Dommage qu’il soit un peu tout seul ! Je trouve aussi que les distributions n’étaient pas toujours bien pensées, mais c’est un défaut présent dans la plupart des séries classiques depuis quelques années.
@ Sissi : J’avoue que moi aussi j’aile bien ce genre de gala, cette forme de spectacle. D’autant plus déçue donc pas le manque général d’entrain.
Maïa
Opéra de Paris en baisse. Vous détenez de superbes décors et costumes, où sont ils ?
Un hommage à quelqu’un comme Rudolf Noureïev se doit d’être FLAMBOYANT, tout comme Lui l’était. Perfectionniste, léger, gracieux, plein d’Âme, bondissant, délié…
Et plein de Panache, en effet.
Soirée bâclée, mal organisée, à la va-vite, alors que Ses Ballets transportaient le public.
Pauvre Rudi… Vous méritiez mieux que ce prétendu « hommage ».
Une Étoile brille, scintille, Madame Lefèvre, avec tout le respect que je porte aux Danseurs, bien mal mis en valeur, mises à part quelques exceptions.
J’espère que, d’où Il est, Rudolf Khametovitch Noureïev n’a pas vu ceci.
Honteux.