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Un tour à Stuttgart : Evan McKie danse Onéguine

Chronique signée Elendae.

Mi-juillet, la planète balletomane parisienne devait choisir son camp : traverser l’Atlantique pour applaudir une partie de la troupe de l’Opéra de Paris en tournée aux Etats-Unis, la Manche pour saluer les dernières prestations de Tamara Rojo au Royal Ballet, la Seine pour déguster encore un bout de La Fille mal gardée à Garnier, ou bien… le Rhin, pour aller contempler l’Onéguine du Ballet de Stuttgart. C’est ce dernier choix qui m’a conduit à aller assister aux trois représentations de ce ballet les 11, 14 et 15 juillet. Evan McKie a dansé le rôle titre les 11 et 15 juillet, tandis qu’Alexander Jones effectuait une prise de rôle le 14 juillet. Compte-rendu croisé de ces trois soirées.

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Evan McKie… Si ce nom ne vous dit rien, je vous renvoie aux articles sur Blog à petit pas et Klariscope parus en décembre 2011. Ce danseur canadien, Principal du ballet de Stuttgart, avait été invité à la dernière minute pour devenir le partenaire d’Aurélie Dupont et remplacer Nicolas Le Riche, blessé, lors de cinq représentations parisiennes d’Onéguine.

Evan McKie a un talent pour bouleverser son public en profondeur égalé uniquement par la peine que l’on ressent ensuite pour traduire en mots, forcément réducteurs, cette expérience.

Alors certes, on peut déjà dire qu’Evan McKie possède une technique exceptionnelle, des lignes magnifiques, une élégance rare, qu’il démontre une musicalité parfaite, un partenariat toujours solide et attentif, beaucoup de moelleux dans ses sauts (ce qui n’est pas aisé, eut égard à sa grande taille) et qu’enfin, il n’interprète pas Eugène Onéguine, il l’habite littéralement pendant la durée du ballet.

Mais tout ceci paraît bien creux. Comment mettre en relation ces simples mots – qui peuvent d’ailleurs paraître un peu exagérément laudatifs – avec le sentiment qui me saisit (et je ne suis pas un cas isolé) à chaque fois que je l’ai vu danser ?

Comment expliquer que, dans le premier acte, j’ai la gorge qui se noue dès sa première arabesque et suis affectée d’un débordement lacrymal avancé avant la fin de la variation ? Pourquoi, quand il est là, et même si l’on connaît bien ce ballet, on est totalement dans le feu de l’action ? On espère, avec Tatiana, que la réaction d’Onéguine quand il la revoit au bal lui sera favorable. On prie pour qu’il arrête de danser avec Olga. On implore Lenski de renoncer au duel… Et on ressent, comme si cela nous concernait, le déchirement de Tatiana quand elle a repoussé Onéguine et se retrouve finalement seule.

L’Onegin d’Evan McKie est mûr, réfléchi, cynique. Dans la première partie du ballet, il n’y a pas de place pour Tatiana dans sa vie. Lorsqu’il la rencontre, il la regarde, de droite, de gauche, comme un froid esthète examinant une sculpture, puis la repose et l’oublie. Ce n’est pas un côté tête brûlé qui lui fait commettre l’erreur de danser avec Olga, comme le fait Alexander Jones le samedi soir, mais une envie diabolique de « choquer le bourgeois », et de faire bisquer Lenski,  car tout est préférable à cet ennui mortifère… Et lorsqu’il apparaît, au 3ème acte, chez le Prince Gremin, il n’a pas seulement pris de l’âge, son visage porte distinctement les stigmates de l’enfer qu’a été son existence depuis le meurtre, par ses mains, de son ami Lenski. Il émane de lui la fragilité du buveur d’absinthe torturé. Reconquérir Tatiana devient d’une importance vitale pour lui, car elle pourrait, en lui cédant, lui procurer l’absolution, l’illusion que ses torts peuvent être réparés, le passé, modifié.

Alexander Jones, Principal formé à l’école du Royal Ballet et qui effectuait sa prise de rôle le samedi 14, n’a pour autant pas démérité. Cet Onéguine là paraît plus jeune et colle tout à fait à l’image qu’on peut s’en faire en lisant le roman de Pouchkine, avec une touche british. On le croirait tout juste sorti d’Oxford, très fat et, somme toute, ignorant, un peu tête à claque. Il semble envisager un instant de caser Tatiana entre le polo et son club du dimanche soir puis y renoncer par un arrogant mépris juvénile. Au 3ème acte, cet aspect un peu écervelé perdure, sa bêtise l’a conduit à repousser Tatiana dans sa jeunesse, et c’est ce manque de réflexion qui l’amène à penser qu’elle va à présent lui céder.

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Le rôle de Lenski était pour sa part tenu par Fridemann Vogel les 11 et 15, et Alexander Zaitsev le 14.

Friedemann Vogel est, à ce que j’ai compris, la vedette locale. Il est d’ailleurs né à Stuttgart et est le seul Principal allemand. Il a une tête d’ange à mèche façon boysband, et d’ailleurs, aux saluts, quand il apparaît, les filles font « Hhhhiiiii !!!« . Il montre une belle qualité de danse, souple, solide, avec de belles élévations. Mais il est sur scène avant tout pour lui seul, et pour qu’on l’admire. Service minimum niveau partenariat : « Allez, hop, je te pose là, j’ai ce pas à faire ensuite où je dois être magnifique« . Dans la poignante variation finale précédant le duel, au 2ème acte, Lenski est agenouillé et se cambre tout en allongeant un bras vers le ciel, écrasé par le sort qui lui est réservé, ou les conséquences de ses propres choix. Friedemann Vogel nous a gratifié, les deux soirs, d’un superbe cambré, mais il signifiait moins « Ach Mein Gott, quelle destinée funeste !!« , que « Hey, je peux toucher le sol avec mes cheveux !!« .

Mais la relation avec Onéguine, quant elle vire à l’antagonisme, est convaincante et cette distribution, face donc à Evan McKie, fonctionne au final plutôt bien !

Le Lenksi de la représentation de samedi soir était Alexander Zaitsev, Principal russe issu du Bolshoï, et qui prend sa retraite la saison prochaine. Au contraire de Klari, je n’ai pas été très sensible à son style de danse, très compacte, terrienne, et avec d’étranges arabesques un peu tordues. On m’a dit que c’était le style russe, soit, je n’y connais pas grand chose. En tant que personnage, en revanche, il incarne un Lenski très convaincant, attachant, candide puis bouillonnant une fois son honneur atteint.

Passons ensuite aux rôles féminins, ce qui est bien la moindre des choses dans un ballet comme Onéguine où Tatiana et Olga sont des personnages si importants !

A ma décharge, le ballet de Stuttgart est, à ce que j’ai compris, une compagnie surtout réputée pour ses danseurs masculins. Il n’y a qu’à voir le spectacle de l’école de danse, dont j’ai regardé la moitié, profitant des retransmissions en direct dans le parc adjacent à l’opéra (avant que la pluie ne se fasse trop insistante). Quelques pièces chorégraphiques font intervenir de charmantes ballerines, mais la majorité du temps, l’on voit des garçons partout, en solo, en duo, en groupes, et l’on est impressionné par leur niveau. Petite anecdote pour terminer le tableau : le samedi soir, à la sortie des artistes, attendait une ravissante fillette avec ses parents. Elle tenait dans ses petites mains un gros bouquet et une lettre soigneusement rédigée. Croyez-vous que ce présent était destiné à Tatiana, ou à Olga ?… Que nenni, c’était pour Onéguine !

Mais, pour en revenir à ces dames, qui méritent elles aussi quelques éloges :

La Tatiana d’Evan McKie était Alicia Amatriain, Principal espagnole issue de la John Cranko Schule, technique de fer et souplesse de roseau. Cependant, le premier soir, j’avoue avoir eu toutes les peines du monde à croire à son personnage. Comment, elle, Tatiana ? Mais elle ne ressemble pas du tout à Aurélie Dupont ! Les pas de deux avec Evan McKie bouillonnaient moins de passion que lorsqu’il dansait avec notre Etoile, mais ils sont cependant, forcément, beaucoup plus rodés, fluides, sans accrocs. Les portés, effectués avec une facilité et une vitesse d’exécution déconcertantes, étaient magnifiques, Tatiana virevoltait dans les airs. Le dimanche soir, j’ai commencé à pouvoir observer la ballerine espagnole avec plus d’objectivité et sa prestation m’a vraiment convaincue, et émue.

La Tatiana d’Alexander Jones était Maria Eichwald, une habituée du rôle qui l’a, entre autres, dansé avec Manuel Legris (on peut voir une vidéo ici  – j’aime beaucoup Manuel Legris, mais je n’accroche pas du tout à son Onegin – à comparer avec le même pas de deux avec un danseur maison). Rien à redire à sa prestation, un peu dans l’esprit de ce qu’en avait fait Clairemarie Osta : convaincante en jeune fille naïve et sage, puis altière et passionnée dans le 3ème acte.

Olga (la Coréenne Hyo-Jung Kang dans la 1ère distribution, l’Américaine Elizabeth Mason dans la 2nde) m’a posé le même problème que Tatiana, car la fiancée de Lenski, forcément, c’est Myriam Ould-Braham, et personne d’autre. Cependant les deux ballerines, quoiqu’un peu lisses, correspondaient bien au rôle et sont techniquement très solides.

Mais tout ceci ne permet pas d’expliquer l’alchimie qui a présidé à ces trois soirées, dont je suis ressortie à chaque fois dans un état de lévitation très agréable.

Quelque-soit la distribution, ces soirées ont été exceptionnelles. Onéguine, chef d’œuvre de John Cranko, directeur artistique de la troupe sur laquelle il a laissé une empreinte indélébile, est le ballet signature du Stuttgart Ballett. Les danseurs qui font partie de la compagnie proviennent de tous les pays du monde, mais Onéguine, à les entendre à la sortie des artistes, semble être leur ballet fétiche, qu’ils ont vu enfant, et qui les a conduits là où ils sont aujourd’hui.

Ajoutons à cela une sympathique salle d’opéra à dimension humaine, où l’on voit bien de partout, un orchestre remarquable conduit par le directeur musical de la maison James Tuggle (comme dit Klari venue elle aussi en pèlerinage : « En Allemagne, il n’y a que d’excellents orchestres« ), et les ingrédients s’ajoutent pour concocter de très bons moments.

Ces soirées figurent maintenant dans le peloton de tête des représentations marquantes de ma saison. Le corps de ballet et l’ensemble des solistes se sont montrés à chaque fois excellents, tant sur le plan technique que des intentions, des réactions et des pas, millimétrés mais jamais automatiques. Chacun connaissait sa partition sur le bout des doigts, y excellait, sans oublier d’y croire et d’y mettre toute l’énergie de la première fois.

Je compte d’ailleurs mettre le cap à nouveau sur Stuttgart dès que possible, et je vous conseille d’en faire autant, d’autant plus qu’Onégine est donné à nouveau la saison prochaine, et qu’il y a une foule de ballets programmés qui semblent très appétissants.

Si vous n’êtes pas convaincus, voilà quelques raisons supplémentaires de faire le voyage.

1) Paris-Stuttgart en train, c’est très facile (3h30 à partir de gare de l’Est) et moins cher que l’Eurostar (à partir de 39€ l’aller)

2) Stuttgart est une ville agréable à vivre, avec plein de forêts autour, et, si vous avez un peu de temps libre, le beau château d’Heidelberg et tout proche, et Munich n’est qu’à 2 heures en train.

3) Si Evan McKie danse le jour où vous y êtes, vous êtes sacrément verni. En plus, allez lui parler à la sortie des artistes, il n’y a pas plus gentil et disponible. Les autres danseurs sont tout aussi agréables.

4) A Stuttgart, vous aurez sans doute le plaisir de croiser la charmante Naomi, qui parcourt le monde entier pour voir Evan McKie (et quelques uns de ses collègues) danser, et qui a eu le flair de le repérer il y a plusieurs années lors d’une tournée de la troupe au Japon, et alors qu’il était encore dans le corps de ballet

5) …Eh bien quoi, vous êtes encore là ?…

Comments (5)

  • Ah ben bravo, déjà que je me ruinais entre Paris et Londres, il ne me manquait plus qu’une bonne raison d’aller à Stuttgart, c’est la banqueroute assurée ! 😉

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  • Obs

    ouais, mais peut être que les blogueuses auront un tarif de groupe 🙂 ou alors, faut il organiser une carte de réduction spéciale danse… Plus sérieusement, une bonne idée de se balader en Europe avec un « programme danse ». Je devais être trop loin à Garnier, Evan McKie ne m’avait qu’à moitié convaincue. Sur le même registre d’interprétation, j’avais préféré M Ganio, d’assez loin…. A revoir, et peut être une bonne raison de faire un aller retour Paris Stuggart…

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  • Audrey

    Merci pour ce compte-rendu Elendae !
    Moi qui avait loupé Evan McKie à Paris (oui, j’ai aussi loupé ça), j’avoue que une escapade à Stuttgart me tenterait bien un jour… J’y jetterai un oeil !

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  • MUC

    Stuttgart et Hambourg sont les seules vraiment très bonnes compagnies en Allemagne (a mon avis) Cranko a donner un élan particulier et d´excellentes bases.

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  • elendae

    Oui, ceux qui ont loupé McKie à Paris (matériellement ou émotionnellement) ne devraient pas hésiter ! Moi je risque de privilégier Stuttgart par rapport à Londres la saison prochaine, ne serait-ce que pour de basses raisons pécuniaires…
    Après, il est bien sûr possible de ne pas être touché par ce que fait ce danseur…moi j’étais perchée à l’amphithéâtre pour la 1ère d’Onéguine et ça ne m’a pas empêchée d’être happée. J’ai beaucoup aimé celui de Ganio aussi mais ça ne me touche pas autant.
    Hambourg, oui, c’est le prochain sur ma liste ! mais là, il faut prendre l’avion.

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