[ En vidéo] Le Gala Noureev 2020 du Ballet de l’Opéra de Vienne et le bilan des années Manuel Legris
Cette fin de saison est étrange pour toutes les compagnies de danse à travers le monde. Elle l’est d’autant plus pour tous les artistes qui devaient faire leurs adieux à la scène ou à leurs troupes et ont dû se contenter de départs en catimini. Manuel Legris termine ainsi, en juin 2020, ses dix années en tant que directeur du Ballet de l’Opéra de Vienne. Dix saisons enthousiasmantes, où l’Étoile de Rudolf Noureev a su redonner souffle à une compagnie qui en manquait, a fait éclore toute une nouvelle génération d’artistes, a mis au coeur le ballet classique. Tout un travail de minutie autant que de passion qui fait qu’aujourd’hui, le Ballet de l’Opéra de Vienne fait partie des compagnies de ballet incontournables en Europe et dans le monde. En partance pour la Scala de Milan, Manuel Legris devait faire ses adieux à la scène viennoise lors du Gala Noureev 2020, spectacle annulé forcément. Pour ne pas non plus partir sans rien, l’institution a organisé un gala en ligne, en tenue de répétition et en studio, ainsi qu’un best-of des éditions précédentes. Comme une sorte de bilan des dix années Legris. Bilan dont le danseur peut être fier.
Le Gala annuel est pour beaucoup de compagnies un moment incontournable, aussi bien pour ses finances, ses danseurs et danseuses que pour son public. Arrivé à Vienne il y a dix ans, Manuel Legris y a dès son arrivée instauré le Gala Noureev, programmé pour clore chaque saison. Une façon de rendre bien sûr hommage à son maître Rudolf Noureev, qui fait partie du répertoire de la compagnie viennoise – Manuel Legris y a d’ailleurs remonté sa Raymonda avant Paris. Une manière aussi de faire un bilan de saison, de montrer l’étendue du répertoire de la troupe qui est loin de se limiter au seul nom « Noureev ». En ces temps de crise sanitaire, certaines compagnies ont tenu à maintenir leur gala : parfois en plein air, parfois dans un théâtre vide. Le Ballet de l’Opéra de Vienne a choisi une autre option : le danser en tenue de répétition, dans les studios. Pas de décor, pas de costume, mais du style, assurément, une passion pour la danse et le répertoire classique. Les coureurs qui ont consciencieusement fait leur running chaque matin de confinement ont encore la marque du t-shirt, la forme n’est pas encore complètement à son maximum. Mais l’envie et le plaisir de retrouver un vrai studio font oublier le reste, avec une énergie et un enthousiasme qui arrive à créer – même en virtuel et sans costume – un peu de la magie des grands galas de danse.
Et c’est tout un résumé des dix ans de Manuel Legris en tant que directeur qui défile. Du Rudolf Noureev bien sûr, et plutôt bien dansé, entre la Seguedille du premier acte de Don Quichotte ou une variation de La Belle au bois dormant. Mais le répertoire classique à Vienne va bien au-delà de ce seul nom. Tout démarre d’ailleurs avec la Coppélia de Pierre Lacotte, dansé avec beaucoup de charme et de style par Natascha Mair, Nikisha Fogo et Elena Bottaro. On y trouve aussi des extraits de ballets de Manuel Legris (Sylvia ou Le Corsaire), Giselle avec la jeune et talentueuse Madison Young, ou un beau répertoire néo-classique entre les indétrônables Manon de Kenneth MacMillan (très belle Maria Yakovleva), Nils Christe, Alexander Ekman et son très réussi duo Cacti ou Jerome Robbins, dans lequel la troupe viennoise semble particulièrement à l’aise. Présentée aussi, la création Wenn ich groß bin, will ich… d’Eno Peci, inspirée par la crise sanitaire et dansée en masque, comme une piqure de rappel de la réalité.
Après une heure de gala terminé par For 4, une création virtuose de Manuel Legris pour l’occasion, place à plus de deux heures de best-of des précédentes éditions du Gala Noureev, avec les nombreuses Étoiles invitées venues au fil des saisons. Deux heures de feu d’artifices… comme de grande frustration, car seuls de courts extraits ont à chaque fois été choisis. Même si, en ces temps de pénuries théâtrales, on ne boude pas son plaisir devant le Vaslaw de Denys Cherevychko, le Manfred de Mathias Heymann, Le Rendez-vous d’Isabelle Guérin et Manuel Legris, le Black pas de deux de La Dame aux camélias d’Isabelle Ciaravola et Friedemann Vogel, l’absolument savoureux The Four Seasons de Jerome Robbins, le grand final de Raymonda… Tout est en soi un régal de balletomane !
Mais plus qu’une énumération de chorégraphes, ce gala virtuel frappe par la vraie richesse du répertoire classique. On est loin d’une suite de pas de deux sur le même ton : l’on va ainsi d’un passage de groupe à une variation virtuose, d’un duo amoureux à un moment de pantomime. L’on ne danse pas non plus Giselle, Coppélia ou Le Corsaire de la même façon, c’est un peu basique de le rappeler, mais ces plus de trois heures de danse le montrent réellement. Le Ballet de l’Opéra de Vienne y montre là-dessus une versatilité soignée et une belle cohésion d’ensemble. L’on aime aussi voir cette troupe dans un riche répertoire néo-classique : Jerome Robbins ou John Neumeier leur va spécialement bien, Thierry Malandain y trouve toute sa place. Et puisque bilan il y a, ce Gala Noureev permet aussi de voir ce sur quoi Manuel Legris n’a pas spécialement insisté, et c’est peut-être dommage. Pour les chorégraphes d’aujourd’hui, il est ainsi resté très conformiste, que ce soit dans les noms alignés (et on y cherche des femmes) ou le résultat en scène. S’il a remonté des ballets classiques comme Sylvia ou Le Corsaire, il ne s’est pas lancé dans la production de nouveaux grands ballets narratifs, comme on peut le voir à Londres ou Amsterdam. Il y a travaillé le répertoire, mais pas forcément la question de la place de la danse classique dans les oeuvres d’aujourd’hui, comment créer des pièces du XXIe siècle avec ce langage académique.
Une envie qu’il aura envie de mener à son nouveau poste ? En décembre, Manuel Legris prendra la tête du Ballet de la Scala de Milan. Une troupe qu’il connaît, il y a monté sa Sylvia en décembre dernier. Et qui a quelques similitudes avec le Ballet de l’Opéra de Vienne qu’a trouvé le directeur il y a dix ans. La compagnie italienne a ainsi une histoire prestigieuse, une école, mais ronronne depuis pas mal d’années. À l’inverse de Vienne, Il y arrivera après une grave crise sanitaire et économique, dans un opéra où l’État est bien plus désengagé qu’à Vienne. Et où il y a déjà une personnalité très forte et incontournable : Roberto Bolle. Certain-e-s regrettent déjà Manuel Legris à Paris – quand on voit ce qu’il a fait à Vienne, cela laisse en effet rêveur de ce qu’il aurait pu faire au Palais Garnier, avec une troupe qui semble avoir perdu identité comme envie, mais qui compte de nombreux talents. Mais pas de regret pour Manuel Legris, qui va là où on le demande plutôt que d’attendre qu’on l’appelle. Milan n’est pas loin de la France !
Le Corsaire ou Sylvia de Manuel Legris et d’autres ballets à retrouver sur la plateforme en ligne de l’Opéra de Vienne.