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[Sortie ciné] Relève : histoire d’une création de Thierry Demaizière et Alban Teurlai

Plus de six mois après le départ fracassant de Benjamin Millepied à la tête du Ballet de l’Opéra de Paris, le film Relève : histoire d’une création de Thierry Demaizière et Alban Teurlai sort au cinéma le 7 septembre. Le documentaire suit pas à pas la création du chorégraphe Clear, Loud, Bright, Forward, alors qu’il vient de prendre la tête de la compagnie. Plus qu’un film sur le montage d’un ballet comme le prétend le sous-titre du film (« Histoire d’une création« ), voilà plutôt la chronique d’une rupture annoncée. Au coeur de deux mondes qui n’arrivent pas à se parler, la danse est là cependant. Belle, vivante et palpitante.

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Relève : histoire d’une création de Thierry Demaizière et Alban Teurlai

D’abord diffusé sur Canal+, le documentaire a donc droit à une sortie en salles, en version rallongée. Les quelques plans un peu plus longs et les deux ou trois scènes supplémentaires ne changent pas la face du film. Mais le (re)voir après coup permet de poser un tout autre regard sur cette claire erreur de casting. Car dès les premiers plans, l’affaire est pliée : Benjamin Millepied et l’Opéra de Paris ne se comprennent pas. « J’ai choisi les gens du corps de ballet parce qu’ils ont envie de travailler avec moi » est la première phrase du chorégraphe. Sous-entendu : avec les Étoiles, ça n’est pas passé. Il y a dans le ton, déjà, comme une pointe d’amertume. Peut-être, au fond, Benjamin Millepied n’aurait-il pas eu envie de faire ce ballet avec les Étoiles, mais qu’il n’a pas rencontré chez eux.elles une envie folle de travailler avec lui.

Relève veut raconter un ballet qui se crée, mais narre en fait le chemin vers un point de rupture. Que l’on ne voit pas, le film s’arrêtant à la première de Clear, Loud, Bright, Forward, mais que l’on devine. Ce sont d’abord les contraintes administratives, les lourdeurs qui prennent les dessus. Le fait que rien ne soit simple, même construire un banc de scène (un running-gag assez symptomatique). Puis la grandeur de la maison (« Il est où Benjamin ? » est la phrase préférée de son assistante Virginia Gris). Puis aussi, un certain choc des générations. L’une des scènes rajoutée qui a vraiment un intérêt se déroule chez l’un des jeunes danseur.se., pour un apéro informel. Le groupe parle, évoque l’ancienne direction avec qui il était difficile de dialoguer et qu’ils ne comprenaient plus. La difficulté de se faire une place, l’incompréhension face aux préjugés racistes inconscients encore chevillés au corps de certain dans la direction (car oui, considérer qu’une couleur de peau foncée est un problème pour danser un ballet classique, que ce soit dans le corps de ballet ou pour le rôle principal, est raciste), ou la perplexité face à d’autres qui ne leur demandent que d’être de bons petits soldats.

Le langage de Benjamin Millepied est parfois cru dans sa vision du niveau de l’Opéra. Les choses sont dites sans ambages. Oui, le niveau de la compagnie pose problème. Après des années à marteler « Nous sommes la meilleure compagnie du monde » (un tic de langage qui commence à revenir avec Aurélie Dupont), ses paroles ont de quoi froisser les esprits enfermés. Manque de diplomatie ? Benjamin Millepied voit juste en tout cas, et a tout compris les problèmes de l’Opéra : la façon d’infantiliser les danseur.se.s, de fonctionner au ‘Tais-toi et danse« , de ne penser qu’à être en ligne sous peine de se faire humilier une fois le rideau fermé. La compagnie a toujours vu loin dans son répertoire, mais est restée bloquée au siècle dernier – voire au siècle d’avant – dans sa façon de percevoir ses danseur.se.s et de gérer un groupe.

Relève ne va pas néanmoins au bout de son analyse, car ses réalisateurs Thierry Demaizière et Alban Teurlai sont bien trop dans l’admiration du personnage pour donner à voir une réalité plus juste. Tout n’est pas montré dans ce documentaire. On ne voit pas Benjamin Millepied souvent absent car pris par ses projets extérieurs, son envie de se mettre très en avant dans la programmation. Exit aussi son certain désintéressement – voire mépris – du répertoire classique européen qu’il ne connaît pas et n’a pas eu visiblement envie de connaître. Le sous-entendu est que ceux et celles qui n’ont pas adhéré à son projet sont forcément de grands réacs, alors que la réalité est bien plus complexe. Le film montre un chorégraphe écrasé par l’institution – ce qui est en partie vrai. Mais n’évoque pas le fait que Benjamin Millepied n’ait pas forcément cherché à comprendre ce qui fait l’ADN de l’Opéra de Paris. Sa saison 2016-2017, la seule qu’il ait composée et qui paraît une semaine après sa démission, est cruelle sur ce point. Benjamin Millepied a vu juste dans les problèmes de l’Opéra. Mais il n’a jamais vraiment voulu – pu – comprendre ce répertoire si spécifique, comprendre ce qu’était l’Opéra dans sa danse. Relève se pose sur un ton finalement assez manichéen, pénible pour qui connaît un minimum le monde du ballet.

Clear, Loud, Bright, Forward de Benjamin Millepied -

Clear, Loud, Bright, Forward de Benjamin Millepied –

Au milieu de tout ce mélodrame, la danse arrive néanmoins à se faire une jolie place. Pas forcément en ce qui concerne le ballet Clear, Loud, Bright, Forward. À l’écran comme à la scène, le résultat est anecdotique. Mais la caméra sait capter le mouvement dansé, le rendre vivant. Elle sait attraper la luminosité des interprètes, leur engagement constant, leur beauté d’artiste. Relève est ainsi le portrait d’une jeune génération qui a soif de danser, et qui a vu en Benjamin Millepied, malgré tous ses défauts, la possibilité de montrer qui ils étaient vraiment.

 

Commentaires (7)

  • FanBalletOpéra

    Le racisme dans la danse classique ? Vaste débat. En ce qui concerne les ballets du XIXe (Gisèle, le lac, etc.) ceux-ci ont été créés dans uns un contexte historique et social précis, auxquels ils font référence dans leur mise en scène. Dans cette société là, l’Europe découvre l’Autre sur lequel elle exerce sa domination le plus souvent et depuis longtemps. Faut-il distribuer des danseurs noirs dans ces rôles ? Non à mon sens si l’on garde les mêmes mises en scène ou bien alors tous les danseurs doivent l’être. Cela a été fait en Afrique avec des pièces de Molière je crois.Oui si l’on transpose ces ballets à l’époque contemporaine comme cela a été fait pour Roméo et Juliette maintes fois réadaptés au cinéma et dans la danse d’ailleurs. Même problème que dans la Bayadère et ces enfants grimés qui représente des classes sociales dans une époque donnée.
    Au delà, je me demande si le New York City Ballet distribue des danseurs noirs dans Thème et variations, Jewels ou seulement dans une catégorie précise de ballets ? Je pose la question.

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  • Elisabeth

    Entièrement d’accord avec vous Amélie,merci de donner (enfin!) une critique intelligente, objective et pondérée sur ce film. Je pense sincèrement que Millepied avait cerné les problèmes fondamentaux de la compagnie et de ce qui l’empêche de briller plus ( notamment cette infantilisation permanente des danseurs et la manière dont on leur parle qui sont à mon sens la raison de l’absence d’étoiles ou de solistes « star » avec une renommée internationale; très peu d’artistes avec une dimension telle que les Osipova, Lopatkina, Vasiliev, Rojo etc…sortent de cette compagnie, malgré l’excellent niveau des danseurs)
    Quand au racisme…bien sûr qu’il est présent, comme partout en France, et encore plus dans les sphères d’élites…ne pas se l’avouer, c’est être ignorant ou de mauvaise foi! (allez petit indice: comparez le nombres de noirs que vous croisez dans la rue en France, et celui de ceux que vous voyez dans les émissions télé, dans les sphères politiques, dans les films au cinéma, dans les publicités etc,etc….c’est bien le modèle blanc qui domine…) mais ce n’est pas le lieux pour ce débat 😉

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  • Quercy

    Je ne vois pas au nom de quoi il faudrait éviter de distribuer des danseurs noirs ou métis dans un grand classique hérité du passé et remonté « dans son jus »…. et Carlos Acosta, alors?…. Aurait-on dû limiter ses emplois?….L’oiseau bleu de l’ABT était noir dimanche dernier, était-ce une faurte de goût dans cette reconstitution scrupuleuse du travail de Petipa?…. Cela fait belle lurette que l’on voit sur les scènes d’opéra , art ancien et également truffé de conventions, des Mimi de couleur dans des versions (même très traditionnelles dans la forme) de la Bohème de Puccini…. Millepied a raison sur ce point, même si les dérives liées au politiquement correct sont possibles et souvent ridicules : cette affaire de négrillons blanchis était grotesque à mon sens, et un soir il y avait parmi les enfants un petit noir…. en collant noir, évidemment, et donc très ostensiblement le seul « petit nègre colonial » de la bande…. à ce moment-là il faudrait supprimer à peu près tout dans la Bayadère, se préoccuper de ces veules et rampants intouchables peints en marron qui sont une insulte aux Indiens, et de ces jeunes femmes soumises portant des cruches (objet attentatoire à la dignité de la femme, facilement considérée comme une cruche elle-même par association d’idées….) et qui offensent le féminisme…. on n’en finirait pas, et c’est une horreur uniforme qui se profile à l’horizon de l’art…. L’enfer est pavé de bonnes intentions.

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  • LucyOnTheMoon

    Je n’avais pas vu la version « Canal ». De ce documentaire, je ressens surtout l’impression que la fonction de directeur lui importait infiniment moins que la fonction de chorégraphe – ou pour dire les choses autrement « la priorité c’est mon nouveau ballet, je jouerai au directeur quand j’en aurai le temps ». Qu’il veuille conserver une activité de chorégraphe tout en étant directeur, pourquoi pas après tout, mais pas dès la première saison qu’il a en charge !! Quand on débarque dans une aussi « grande » maison (par l’effectif sinon par le prestige, on a effectivement le droit de ne pas être d’accord avec « la meilleure compagnie du monde »… quoique le dire face caméra alors qu’on est justement chargé de la promouvoir était une énormissime faute de communication) on prend le temps d’en comprendre les rouages, de se familiariser avec la « bureaucratie », bref, de se faire à son costume de directeur, avant de se « disperser » dans une nouvelle création personnelle.
    Ses récriminations sur le fait que « tous » les danseurs n’assistent pas à « son » cours alors que celui-ci représenterait pour eux une opportunité « d’auditonner pour leur directeur » me choquent également. Quand je lis ou écoute des interviews de danseurs, j’en comprends que pour eux le « cours du matin » est un « décrassage », un « réveil du corps », une « mise en condition » pour le reste de la journée. Certainement pas un moment de stress ! Or, voilà que Millepied – qui fustige la compétition entre danseurs, la remise en question permanente induite par le système de concours, « l’infantilisation » et j’en passe – aurait transformer le cours en « audition » quotidienne – avec tout le stress que ça implique ? Si c’est le cas, je comprends que tous les danseurs n’aient pas adhéré à l’idée :-S

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  • Elisabeth

    @Lucyonthemoon et part quel autre biais le directeur pourrait il connaitre ses danseurs? Par les rôles en scène? Mais quand on est quadrilles et qu’on reste en coulisses,on fait comment? Comment un directeur peut savoir qui mettre sur quel rôle si il ne connait pas qui a un bon ballon, qui est plutôt lyrique, qui est un excellent technicien, qui sait faire quoi et comment le faire progresser? ça permet d’éviter les contre-emplois, les mauvaises surprises et de mettre les danseurs en valeurs dans des rôles qui leur vont. Dans les autres compagnies, le directeur donnant ou regardant le cours, c’est juste la base et personne ne s’en offusque…

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    • LucyOnTheMoon

      @Elisabeth Evidemment qu’un nouveau directeur de compagnie (et même un ancien) doit regarder le cours, et même pourquoi pas le suivre lui-même… Ce qui m’a choquée c’est son mépris affiché des danseurs qui ne vont pas prendre pas « son » cours à lui (entre nous, il aurait été bien embêté à se retrouver avec 130 « élèves » dans son studio tous les matins). Quant à « faire progresser » les danseurs, il y a un certain nombre de professeurs et de maîtres de ballet qui, je le croyais du moins, sont là pour ça. Mais j’ai l’impression qu’il ne se reposait pas trop sur eux : hors lui, point de salut !

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  • Lili

    Ma foi, ça fait des dizaines d’années que personne ne voit de difficulté à imaginer que Aurélie Dupont ou Myriam Oulld Braham ou d’autres puissent être valablement une princesse indienne malgré leur teint pâle et leurs cheveux blonds, Karl Paquette et François Alu dansent Solor sans qu’on y voit de problème alors que leur type n’a pas grand chose à voir avec un Indien ou un oriental quelconque. A l’inverse des danseurs d’origine asiatique (et actuellement des troupes japonaises ou coréennes) ont dansé tous nos classiques, cela n’a pas posé tant de question. Pourquoi était-ce moins gênant pour des (types) asiatiques que pour des (types) africains?

    Cela fait aussi des dizaines d’années que les Cygnes blancs se transforment en cygnes noirs à la seule couleur du tutu (a-t-on peint les danseuses en noir ou seulement changé aussi la couleur du collant?) en toute crédibilité. Et je ne parle même pas des Willis et Sylphides volantes, des chats, oiseaux et autres animaux. Notre imagination est sollicitée par le ballet et c’est ce qui fait sa magie. Je crois qu’on devrait donc arriver sans trop de problème à voir une Giselle noire ou un cygne blanc à la peau foncée…

    Détail qui a son importance, oui dans la Bayadère on remarque la seule Ombre noire dans la fameuse « descente ». Mais on remarque surtout qu’elle a les jambes claires et le haut foncé, franchement c’est assez ridicule, le collant et le chausson roses ont été créés pour des danseuses « blanches », il faudrait accepter d’adapter cela aux diverses carnations des danseurs….

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