Soirée Scarlett/Robbins/Tchaïkovski/Acosta au Royal Ballet de Londres, et adieux de Carlos Acosta
Carlos Acosta est un peu au Royal Ballet de Londres ce qu’a été Nicolas Le Riche à l’Opéra de Paris : la grande Étoile de sa génération, sa star des années 2000. Le danseur cubain a dansé presque 20 ans à Coven Garden, dansant les plus grands rôles du répertoire anglais (Colas dans La Fille mal gardée, des Grieux dans Manon), des créations contemporaines et les prestigieux ballets classiques. Pour ses adieux, sa compagnie a donc vu les choses en grand, avec une retransmission de sa soirée en direct dans les cinémas du monde entier. Au programme, pas de rôle emblématique de Carlos Acosta mais une de ses créations, Carmen, entourée de pièces anglo-saxonnes. Un programme qui montre, encore une fois, qu’il y a de la relève parmi les Étoile du Royal Ballet de Londres.
La soirée s’ouvre avec Viscera de Liam Scarlett, ancien danseur de la compagnie et tout jeune chorégraphe de même pas 30 ans. La pièce est typiquement anglo-saxonne XXI siècle : une danse néo-classique 20 minutes montre en main, justaucorps stylisés en costume, cylo uni en fond, mélange d’ensemble et de pas de deux. Le procédé commence à lasser. La danse de Liam Scarlett est néanmoins bien ciselée, sans être surprenante mais efficace et bien mise en valeur par les caméras.
Les danseuses ont une gestuelle du haut du corps intéressantes, avec les bras qui semblent être en constante suspension. Le chorégraphe sait aussi bien se servir de l’espace et de l’énergie de groupe des artistes (les passages d’ensemble sont ainsi plus intéressants que le pas de deux du milieu un peu longuet). Il arrive à instaurer une sorte de montée en puissance de la danse, qui donne une trame à la pièce et la sensation qu’il y a un début, un milieu et une fin (chose qui manque souvent cruellement à ce genre de pièces). Le tout est porté par la splendide Laura Morena, Étoile surprenante qui donne tout le sel de la chorégraphie.
Place ensuite à deux célèbres duos de la danse américaine : Afternoon of a Faun de Jerome Robbins et Tchaïkovski Pas de deux de George Balanchine, portés par de magnifiques interprètes. Dans le premier, Sarah Lamb est une danseuse mystérieuse, allure rêveuse, longs cheveux blonds et regard mutin. Plus qu’une danseuse, elle est comme une apparition. Vadim Muntagirov est le jeune premier dans son monde, le regard toujours un peu perdu. Duo sensuel, les deux Étoiles proposent une charmante coupure un peu hors du temps, où il se passe des milliers de choses rien qu’en un regard qui s’évite.
Iana Salenko et Steven McRae, parfaitement assorti.e.s jusqu’à la flamboyante couleur rousse de leurs cheveux, sont deux bombes de virtuosité parfaites pour un enthousiasmant Tchaïkovski Pas de deux. Ils ne sont pas juste dans la pure technique. Ils sont aussi dans la formidable joie de danse, dans une irrésistible musicalité. Le couple propose une danse joyeuse, bondissante, enthousiasmante à laquelle rien ne semble résister.
La soirée se termine par la création de Carlos Acosta, Carmen. Autant le dire tout de suite, l’Étoile est bien plus formidable danseur que chorégraphe. Sa Carmen est un amoncellement de clichés chorégraphiques, empruntant bien plus à gauche et à droite que d’essayer de créer son propre style (coucou les chaises de Roland Petit, Hey le pas de deux du Parc, hello les duos de Manon). La pièce est portée par la musique de Bizet complètement dénaturée et réorchestrée (avec un mystérieux insert de L’Arlésienne). Comment peut-on prendre une aussi belle partition pour en faire une telle soupe, la question se pose encore.
Le ballet est néanmoins sauvé par ses interprètes, tous et toutes formidables. Le Royal Ballet a tenu à rendre hommage à son Étoile, et tout le monde en scène donne le maximum. Marianela Núñez est une Carmen sublime, sexuelle, moderne, libre et forte. Elle porte l’oeuvre à bout de bras par une personnalité explosive et un charisme débordant. Si Carlos Acosta se met un peu en retrait en Don José, la part belle est faite à Federico Bonelli en Escamillo. Il a droit d’ailleurs à une scène vraiment réussie, dans la taverne. Carlos Acosta touche au plus juste, avec quelques tables et chaises et du beau flamenco. Federico Bonelli déploie un personnage de star irrésistible, bouffeur de vie au fort tempérament. Un couple de feu avec Marianela Núñez.
Mais le public n’est pas là pour en tenir rigueur à Carlos Acosta. Lorsque le rideau se lève pour ses derniers saluts, le public lance une formidable, bruyante et chaleureuse ovation. Pas de paillettes comme à l’Opéra de Paris, mais une pluie de fleurs pour le départ de l’Étoile. Toute la compagnie monte ensuite sur scène et le directeur du Royal Ballet, Kevin O’Hare, adresse quelques mots de remerciement au danseur. Carlos Acosta prend ensuite la parole pour un discours touchant, très simple et non dénué d’un peu d’humour. Il remercie ses partenaires, ses directeurs et directrices, les techniciens et le public. Un grand danseur part, mais le spectacle l’a montré : la relève est là.
Soirée Scarlett/Robbins/Tchaïkovski/Acosta par le Royal Ballet de Londres, au Royal Opera House. Viscera de Liam Scarlett avec Laura Morena, Marianela Núñez et Ryoichi Hirano ; Afternoon of a Faun de Jerome Robbins avec Sarah Lamb et Vadim Muntagirov ; Tchaïkovski Pas de deux avec Iana Salenko et Steven McRae ; Carmen de Carlos Acosta avec Marianela Núñez (Carmen), Carlos Acosta (Don José), Federico Bonelli (Escamillo) et Matthew Golding (le Destin). Retransmission en direct au cinéma du jeudi 12 novembre.