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« Le Ballet de l’Opéra de Paris prend toujours un grand plaisir à danser les ballets de Jerome Robbins »

Le Ballet de l’Opéra de Paris rend hommage à Jerome Robbins, à l’occasion du centenaire du naissance du chorégraphe, lors d’un programme à voir du 29 octobre au 14 novembre au Palais Garnier. Entré au répertoire de l’institution en 1974, le maître américain est depuis devenu l’un des piliers de la compagnie. Il a travaillé passionnément avec plusieurs générations d’Étoiles, et 20 ans après sa mort, ses œuvres sont aussi souvent dansées par le Ballet de l’Opéra de Paris, plébiscitées par les danseurs et danseuses comme par le public. À l’occasion de ce programme hommage, DALP a rencontré Sylvie Jacq-Mioche, historienne de la danse et professeure d’histoire de la danse à l’École de Danse de l’Opéra de Paris, sur les relations entre Jerome Robbins et le Ballet de l’Opéra de Paris.

Jerome Robbins

Comment Jerome Robbins arrive-t-il à l’Opéra de Paris ?

Par George Balanchine, autre grand maître américain et très proche du Ballet de l’Opéra de Paris. Dans les 1960, il y revient remonter beaucoup de ballets et la tradition s’installe. En 1973, Rolf Liebermann prend la direction de l’Opéra de Paris. Il est aussi compositeur, très axé sur la musique. En 1974, il propose ainsi une soirée de ballets autour de Stravinsky. On y retrouve du George Balanchine… et pour la première fois Jerome Robbins. En 1975, Rolf Liebermann propose une soirée autour de Ravel, c’est là qu’est donné pour la première fois à Paris le fameux En Sol. Jerome Robbins revient ensuite plusieurs fois, pour remonter Dances at a gathering, The Concert… Ses ballets Chopin ! Il y aura aussi Glass Pieces en 1991. Les ballets de Jerome Robbins sont aujourd’hui très nombreux au répertoire du Ballet de l’Opéra de Paris. Même si l’on s’en rend un peu moins compte, car pendant un moment, ce sont toujours les mêmes ballets qui revenaient, comme Dances at a gathering ou In the night. Ce sont aussi des ballets qui vont très bien à la compagnie parisienne.

 

Qu’est-ce qui a séduit Jerome Robbins ? L’école française ou les interprètes ?

Je pense que Jerome Robbins est venu pour l’École de Danse, sa précision du travail de jambe, son exigence, c’est la compagnie qui l’a attiré. Mais qu’il y a aussi trouvé de grands interprètes. Il y a d’abord eu Ghislaine Thesmar, il lui a donné les ballets qu’il avait faits pour Suzanne Farrell, elle correspondait à cette espèce de mystère. Après, il y a eu la génération In the Night avec Élisabeth Platel, Monique Loudières, Manuel Legris, Isabelle Guérin, Laurent Hilaire… Je pense qu’il a aimé travailler avec ces différentes générations, qu’il a aimé la précision dans le travail, la rigueur de l’école. Il avait en face de lui des artistes capables d’interpréter ses ballets qui sont très exigeants et demandent une grande précision.

Jerome Robbins est aussi revenu sous la direction de Patrick Dupond. Il travaillait avec les Étoiles, mais aussi avec un groupe de Premiers danseurs et Premières danseuses ou du corps de ballet, qu’il redemandait à chaque fois qu’il revenait. La hiérarchie était un peu bousculée, Jerome Robbins savait regarder tout le monde. Dans l’ensemble, les ballets de Jerome Robbins ont eu un succès immédiat. C’est un chorégraphe qui a ainsi toujours été donné, parce qu’il va bien aux danseurs, qu’il est apprécié par eux et elles, et qu’il va bien au public aussi. La danse de Jerome Robbins est précise et exigeante, mais aussi extrêmement expressive. Elle est basée sur la danse classique mais évite les pas d’écoles. Le tout est extrêmement expressif et musical.

Other Dances de Jerome Robbins – Mathias Heymann

Et les artistes du Ballet de l’Opéra de Paris, comment vivaient-ils cette rencontre ?

Certains danseurs et danseuses ont pu avoir du mal avec Jerome Robbins pendant le temps de répétition, parce qu’il était très difficile et pas forcément quelqu’un avec qui il était agréable de travailler. Ce n’était pas un tendre. Il était extrêmement exigeant en répétition, jusqu’à en être odieux parfois. Mais beaucoup ont trouvé beaucoup de plaisir à danser sur scène ses ballets. Après la génération Noureev, des Étoiles comme Carole Arbo, Aurélie Dupont, le Premier danseur Christophe Duquenne, ont été des grandes interprètes de Jerome Robbins. Aujourd’hui Mathieu Ganio, Mathias Heymann ou Hugo Marchand reprennent le flambeau. La compagnie prend vraiment un grand plaisir à danser ses ballets. Il faut voir le nombre de fois où les variations sont prises au Concours de promotion, tant chez les filles que chez les garçons. Et c’est rarement raté ! La danse de Jerome Robbins est souvent quelque chose de très porteur et flatteur, qui correspond bien aux artistes de la compagnie parisienne.

 

L’École française est ancrée dans l’histoire de la danse. En quoi Jerome Robbins fait référence à cette histoire dans son oeuvre ?

Pour moi, on est dans un univers qui se rapproche de celui des Sylphides de Michel Fokine. On est aussi dans la lignée d’Antony Tudor et de son Jardins au Lilas, une oeuvre phare du XXe siècle. On retrouve beaucoup de ça dans Dances at a gathering. Il faisait également beaucoup de citations de danse de caractère, ou à la danse de la Renaissance comme dans ses Variations Goldberg.

 

Un lieu commun dit que l’École française n’est pas la plus musicale, alors que Jerome Robbins est profondément musical. Comment cela s’accorde-t-il ?

Justement, les danseurs et danseuses de l’Opéra de Paris se révèlent souvent très musicaux dans les ballets de Jerome Robbins. Je pense que c’est lié à l’intransigeance du chorégraphe. Il est tellement intransigeant qu’on ne peut pas être autrement que très musical.

En sol de Jerome Robbins – Ballet de l’Opéra de Paris

Historiquement, Jerome Robbins est entré au répertoire de l’Opéra en même temps que les grands ballets académiques comme Le Lac des cygnes ou La Belle au bois dormant. Comment s’est construit cette dualité ?

Et en même temps que la reconstruction de La Sylphide et Carolyn Carlson ! C’est la spécificité du répertoire de l’Opéra. On a tendance à croire qu’il s’est construit chronologiquement, mais c’est faux. Il s’est forgé sur des contradictions simultanées. Raymond Franchetti, qui a dirigé le Ballet dans les années 1970, avait une intelligence aiguë sur ce que devait être le répertoire de la Maison. C’est lui qui a poussé Rolf Liebermann à remonter les grands classiques de Marius Petipa, que l’on a découvert avec les tournées des troupes soviétiques. Et en même temps, il y a avait tout ce mouvement de la danse contemporaine et qui était central et qui réclamait une place légitime. Ce qui est étonnant, c’est que les Étoiles qui ont vraiment brillé dans Marius Petipa, comme Noëlla Pontois ou Cyril Atanassoff, n’allaient pas dans Jerome Robbins. Il n’y avait pas la même exigence de polyvalence qu’il y a aujourd’hui. Les artistes qui sont arrivés à faire les deux sont de la génération d’après, comme Claude de Vulpian.

 

Aujourd’hui, alors que le répertoire du Ballet de l’Opéra de Paris est très diversifié, que peut apporter l’oeuvre de Jerome Robbins ?

La rigueur d’un langage. L’ouverture que donnent ces ballets à chaque interprète. Même si la chorégraphie est respectée, on existe dans ses chorégraphies. Les rêveries de Jerome Robbins offrent de la place à l’imaginaire. L’interprète peut s’exprimer dans cette rigueur érigée. Cela correspond au désir des danseurs et danseuses d’exister individuellement. Sur Dances at a gathering, ils sont dix à danser. Dans Le Lac des cygnes, il n’y a qu’une seule soliste.

 

Cette possibilité de s’exprimer dans la rigueur n’existe pas dans les grands ballets classiques ?

J’entends très souvent les jeunes artistes vouloir danser les grands ballets mais avoir vite l’impression d’en avoir fait le tour. Pourquoi ? Je n’ai que des éléments de réponse. Dans d’autres compagnies, on prépare dès l’adolescence les artistes à ces grands ballets, on les coache. Et on les danse très régulièrement. Ils ont une familiarité avec ces rôles qui leur permettent d’en saisir la complexité technique et de s’approprier cette complexité. Ce sont aussi des choses qu’ils dansent beaucoup, tout au long de leur carrière. Ils ont donc le sentiment de pouvoir se perfectionner. De cette familiarité du rôle va naître un approfondissement. On dit ainsi souvent qu’il faut dix ans à danser un grand rôle pour pouvoir pleinement s’y exprimer. Et puis il y a moins cette habitude des ballets en trois actes à Paris aujourd’hui. Travailler du Jerome Robbins, c’est plus court, plus direct, même si c’est très précis et exigeant.

 

Curieusement, si Jerome Robbins est très apprécié à Paris, son collègue George Balanchine semble moins fasciner la compagnie aujourd’hui. Ils sont pourtant dans la même veine. Comment l’explique-t-on ?

Il y a une expressivité chez Jerome Robbins qui est évidente, et les artistes de l’Opéra de Paris ont besoin d’exprimer. Il y a aussi une grande méconnaissance du répertoire de George Balanchine aujourd’hui. Des artistes de la troupe qui ont 25 ans aujourd’hui, n’ont jamais vu Concerto Barocco, la dernière reprise des Quatre Tempéraments remonte à dix ans. Ces ballets, ces grands « black & white » qui font partie du fond du répertoire de l’Opéra, ce qui correspond au Ballet de l’Opéra, sont finalement peu donnés. À cette échelle, il ne peut plus y avoir de transmission. Une carrière de danseur, c’est court. Quand il se passe 10 ans sans donner un ballet, la rupture de transmission est clairement établie.

Opus 19/The Dreamer de Jerome Robbins

Pour cette soirée hommage, Fancy Free fait son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris. C’est une oeuvre « comédie musicale », assez éloignée du style de l’Opéra de Paris. Que vous inspire cette nouveauté ?

Dans l’expression, le style jazz et comédie musicale n’est pas dans la tradition de travail de l’Opéra. Le rapport à la musique jazz n’est toutefois pas étranger, Christiane Vaussard et d’autres grands professeurs pouvaient utiliser des musiques de ragtimes ou de jazz dans leurs cours pour tous les exercices à la française. Mais le côté jazz américain, dans l’expression, ce n’est pas l’école française. Il y a eu une exception dans les années 1970 avec Pas de Dieux de Gene Kelly. Il a eu un grand succès à l’époque, avec des articles sur le thème : « Enfin ça bouge à l’Opéra« , des lieux communs qui n’ont pas changé aujourd’hui. Mais Pas de Dieux est resté marginal. 

Aujourd’hui, l’entrée au répertoire de Fancy Free à l’Opéra de Paris ne me paraît pas étrange car ce ballet est rangé maintenant dans le rang des classiques et qu’il y a des artistes prêts à le danser. Pourquoi, à l’époque, Jerome Robbins n’a pas fait rentrer ce ballet ? Je ne sais pas. Peut-être parce qu’il venait pour le langage classique des artistes de l’Opéra de Paris, même s’il aime jouer avec les pas d’école.

 

Il y a énormément de ballets de Jerome Robbins au répertoire du Ballet de l’Opéra de Paris. Quels sont ceux que l’on a un peu oubliés et qu’il serait intéressant de revoir ?

C’est difficile d’expliquer les programmations avec toutes ses contraintes. Ce n’est pas seulement ce qui plaît aux artistes et au public, il y a aussi une question de droit, le type d’orchestre nécessaire… Il y a beaucoup de choses qui rentrent en ligne de compte dans une programmation. Glass Pieces n’a pas été dansé depuis très longtemps, alors que ça avait eu beaucoup de succès. Moves a complètement disparu et il serait intéressant de revoir. C’est le ballet de technique classique qui se danse dans le silence, c’est très rare, il y a une vraie forme d’originalité.

 

Et quel ballet, qui n’est pas encore au répertoire, serait-il intéressant de découvrir ?

Peut-être West Side Story suite. C’est un ballet qui se tient très bien. Et maintenant que l’on fait entrer Fancy Free, pourquoi pas. Les danseurs et danseuses d’aujourd’hui à l’Opéra sont capables de parler, de chanter, ils sont capables de beaucoup de choses.

Eleonora Abbagnato et Hervé Moreau dans Afternoon of a Faun de Jerome Robbins

Parmi la nouvelle génération, quels artistes auraient pu plaire à Jerome Robbins ?

Pour Fancy free, François Alu bien sûr ! Il a une fantaisie explosive et il danse comme un chat. Hugo Marchand aurait pu lui plaire, il a une fluidité et une façon de bouger sur la musique, on a l’impression que la musique traverse son corps. Chez les danseuses, Dorothée Gilbert évidemment, Sae Eun park qui est magnifique danseuse de ce style, Héloïse Bourdon à qui ça va très bien. Parmi les jeunes il y a cette poésie des corps qui est très présente.

 



Commentaires (4)

  • Fabienne

    La soirée Jérôme Robbins fut hier une pure merveille . Enfin , une soirée vibrante , intense , enthousiasmante !

    Un chorégraphe magnifique ( pas un danseur qui pense qu’ il a aussi un talent de chorégraphe , si vous voyez ce que je veux dire ) , un corps de ballet transcendé par la merveille qu’ on lui donne à danser ( un « glass pièces  » d’ anthologie ) , des étoiles qui méritent leur nom ( le frisson dans le public devant Hugo Marchand dans the afternoon ) ,
    voilà , c’est tout simple -)

    Allez-y , courez y , l’ Opéra de Paris est de retour !

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  • Delia

    Merveilleux programme! Tous très bien mis en valeur, étoiles, premiers danseurs et danseuses, sujets et toute la troupe. Très émouvant cet hommage à ce chorégraphe de génie. Glass pièces , une pure merveille de précision , de perfection, d’intelligence. A voir et revoir..

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  • RAPALLO Georges

    avis d’un amateur 1ère partie décevante mais j’aime pas les comédies musicales américaines sauf w.s.story la musique formidable, 2ème partie c’est nettement mieux, l’après-midi d’un faune pas de féérie, froid sans sensualité, regards distants et puis les déesses, nymphes sont nues, pas de vêtements mais c’est pas le style de la Maison toutefois A.ALBISSON est une remarquable danseuse, la dernière pièce c’est la meilleure de la soirée, très bien avec la musique singulière de PH.GLASS, spectacle vu sur MEZZO avec un journaliste très bavard et un rouge à lèvres de Mme DUPONT bien rouge.

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