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[Programme TV] Rencontre avec Françoise Marie, la réalisatrice de « Graines d’étoiles, cinq ans après »

En 2013, le documentaire Graines d’étoiles de Françoise Marie suivait pendant une année scolaire le quotidien des Petits Rats de l’Opéra de Paris. Cinq ans plus tard, la réalisatrice a retrouvé pour une deuxième saison ces élèves devenus adultes. Certains sont rentrés à l’Opéra de Paris, d’autres ont suivi un autre chemin.Rencontre avec la réalisatrice qui nous parle de cette deuxième saison  intitulée Graines d’étoiles, cinq ans après, diffusée sur Arte entre le 23 décembre et le 20 janvier, qui se révèle tout aussi passionnante et touchante que la première saison. 

 

En 2013, quand nous nous sommes rencontrées pour la première saison de Graines d’étoiles, vous parliez déjà de l’envie de retrouver un peu plus tard ces jeunes danseurs et danseuses. Cela a été facile de les convaincre ? 

Voir grandir dans tous les sens du terme les différents protagonistes d’une série, c’est une envie de tout documentariste. Dans la première saison, ils sont jeunes, on se demande s’ils vont y arriver. Il y a une grande innocence à cet âge, une vraie détermination, ça nous touche tous et ça nous questionne sur notre graine intérieure. Ceux et celles qui étaient bien dans leur parcours ont accepté sans problème de participer à nouveau. Ceux et celles qui avaient des doutes, qui étaient dans des périodes d’introspection, avaient plutôt envie de m’éviter. 

 

La dramaturgie de la saison 1 était simple : une année à l’École de Danse avec le Concours d’entrée dans le ballet au bout. Comment avez-vous trouvé la dramaturgie de cette saison 2 ?

L’idée était de faire des portraits. La difficulté était de créer une cohérence entre tous ces portraits, de trouver une dimension qui raconte quelque chose. Le premier épisode, « Danser classique », dresse quelques portraits autour du Lac des cygnes. L’enjeu n’est pas de se demander s’ils vont y arriver, mais qu’est-ce que c’est que de danser classique et qu’est-ce que c’est que ce mythe du Lac des cygnes partout dans le monde. Le deuxième épisode, « La liberté d’être soi », part sur des portraits réalisés pendant les répétitions et les représentations d’une pièce de Jiří Kylián, il évoque ce défi d’être en scène en étant soi, quelque chose qui parle de la transcendance. Le troisième épisode se concentre sur le Concours de promotion, incontournable à l’Opéra de Paris. Le quatrième montre des portraits de ceux partis à l’étranger. Enfin le dernier est plus sur ce désir de danse et comment on le transforme, avec ceux et celles qui ont arrêté. Ces deux dernières thématiques se sont dessinés au fil du montage.  

 

Graines d’étoile, cinq ans après compte cinq épisodes, dont trois uniquement centrés sur ceux et celles qui sont entrées à l’Opéra de Paris. C’est un déséquilibre voulu ? 

Au départ, j’aurais souhaité avoir plus d’élèves qui ont arrêté la danse. Mais j’ai réalisé que ceux-là sont aujourd’hui dans une dynamique professionnelle qui est celle de tout le monde entre 18 et 22 ans, où l’on se cherche. Pauline, que l’on voit dans le dernier épisode, le représente : elle a arrêté la danse et elle se donne le temps de savoir ce qu’elle veut faire. Ceux et celles qui sont rentrées dans le ballet sont dans une dynamique de danse très différente. Et puis il se trouve que la plupart des élèves que j’ai interviewés il y a deux ans sont à l’Opéra maintenant. Mais j’espère que la série ne raconte pas le fait qu’être à l’Opéra est LA réussite.

Au fil des cinq épisodes, on retrouve beaucoup Alice et Antonio. Pourquoi ?

Alice et Antonio sont les deux élèves qui entrent à l’Opéra à la fin de Graines d’étoiles 1. Ils y sont tous les deux depuis cinq ans mais ont eu des expériences très différentes. Alice n’a pas cessé de monter, elle représente le profil de ce qu’on attend d’une danseuse classique. Elle l’explique d’ailleurs dès le début de la saison 2. Elle s’est laissé mouler par l’Opéra pour y entrer et une fois engagée, elle a une vie ailleurs qui lui permet d’être une meilleure danseuse. Antonio, pour sa part, n’y arrive pas avec le Concours de promotion, mais sa personnalité de danseur attire les chorégraphes. Malgré leur parcours différent, Alice et Antonio sont amis, ils ont de l’affection l’un pour l’autre. 

 

À les retrouver cinq ans plus tard, certain.e.s vous ont surprise dans leur évolution ? 

Pas forcément. C’était en fait assez troublant de voir que leurs propos donnés pendant la saison 1 trouvaient une résonance dans leurs paroles cinq ans après. Je suis ainsi allée chercher des petits extraits de la saison 1 qui n’avaient pas été diffusés, c’était incroyable de voir leurs résonances avec ce que disaient ces danseurs et danseuses cinq ans plus tard. Cette espèce de petite graine en nous, qui pose nos goûts et nos projections dans l’avenir, elle est toujours là. 

 

Quel regard portez-vous sur cette jeune génération d’artistes ? 

Cette génération est très intelligente. Ils et elles sont toutes dans une recherche et une exigence dans la danse, aussi bien techniquement qu’artistiquement. Et c’est une recherche assumée, ils communiquent beaucoup entre eux là-dessus. Ils ont envie de s’accomplir, peut-être plus que la génération d’avant qui voulaient moins faire de vagues. J’ai en tout cas l’impression qu’ils osent plus mettre en lumière leurs aspirations. Cette deuxième saison dit les espoirs de cette génération, mais ça ne préjuge en rien de ce qu’elle va devenir. 

Cette saison 2 a été tournée entre 2016 et 2017. Depuis à l’Opéra de Paris, il y a eu l’affaire du sondage. Vous n’avez pas craint un certain décalage ? 

Je me suis posé la question, si je devais en parler dans la série ou non. Mais je ne fais pas un film sur l’Opéra. Les problèmes et l’évolution de l’Opéra de Paris n’étaient pas mon sujet. Mon sujet, c’était l’évolution de ces danseurs et danseuses. Maintenant, je pense que tout ce qui pouvait annoncer cette crise se trouve dans la série, tout est là, par petite touche. Il y a aussi un manque de temps : les épisodes ne font que 26 minutes et c’est court. C’est ce qui explique que l’on n’entende pas parler de Benjamin Millepied dans cette saison 2. 

 

Quel regard les danseuses et danseurs portent-ils sur ces deux saisons ?

Sur la première saison, ils étaient tous très contents et très fiers. Cette série a été énormément regardée, par beaucoup de gens, ce dont je ne me suis pas forcément rendu compte. Ils ont eu le sentiment que je ne les trahissais pas. 

 

Certains ont aussi pu exprimer leur désaccord sur le fait qu’ils aient été filmés pendant les résultats du Concours d’entrée, où l’on voit clairement leur déception… 

Sur le coup, je voulais filmer la feuille de résultats affichée sur la porte. Je me suis approchée, tous les élèves étaient de dos. L’un d’eux se retourne, il ne pleure pas mais on comprend qu’il n’a pas été pris. Puis l’on voit un autre élève secoué, mais la caméra reste loin, en plan large. Je comprends que ces danseurs aient vu les images d’une manière violente, car ça a été un moment violent pour eux. Mais le public ne ressent pas quelque chose de voyeuriste. Il a juste le sentiment de l’énorme difficulté. Je ne montre pas quelqu’un qui pleure pour montrer quelqu’un qui pleure, mais pour montrer combien c’est difficile. Cette école, cette vie de danseur, c’est juste très dur. À un moment, si on ne montre aucune émotion, aucun visage froncé, ça ne marche pas. Je ne peux pas montrer que des gens qui se réjouissent.  Cette école de danse est incroyable, il se passe des choses extraordinaires pour ces élèves. Mais c’est aussi très dur et il y a des sanctions. La sanction, elle est là, affichée sur un papier, sur une porte, dans une cour. Si on ne la voit pas, on ne comprend plus l’enjeu. Je me suis faite violence pour filmer ces résultats. Mais il fallait que ce soit dans le film. Sinon on est dans le monde des bisounours. 

 

Et quel est leur regard  sur cette deuxième saison ? 

Pour cette deuxième saison qu’ils viennent de découvrir, ils sont globalement contents, c’est en tout cas ce qu’ils me disent. Ils trouvent souvent que « les autres » s’expriment mieux, disent des choses plus intéressantes qu’eux-mêmes, ce qui est une réaction amusante et naturelle. Ce qui ressort aussi de leurs impressions, c’est celle d’avoir déjà tellement changé par rapport à ces interviews réalisées il y a plus d’un an, parfois deux. Le tournage de cette deuxième saison s’est déroulé entre septembre 2016 et décembre 2017, et c’est vrai qu’ils mûrissent à toute allure : deux ans à l’échelle d’un.e jeune artiste doublé d’un.e athlète, c’est beaucoup !

Vous aimeriez vous lancer dans une saison 3 de Graines d’étoiles

J’adorerai ! Cinq ans d’écart entre deux saisons, c’est bien. J’ai commencé la première saison en 2011, la deuxième en 2016. Dans 5 ans, cela fait donc en 2021, c’est tout près. Je pense à des portraits, mais autrement. Ce serait intéressant de retrouver ceux que l’on a vus dans la saison 1 mais qui sont absents de la saison 2, qui ont suivi un parcours différent. Pourquoi n’y sont-ils pas ? Chaque épisode est très dense d’abord, on ne peut pas tout mettre. Et puis il y a aussi des élèves de la première série que j’ai essayé de filmer, mais les rendez-vous ne pouvaient pas se faire : ils étaient chaque fois trop occupés. Les tournages ont été reportés au point qu’à un moment donné, il a été trop tard. Je me suis dit que ce n’était pas le fruit du hasard. Une partie d’eux-mêmes n’était peut-être pas prête, ils avaient un frein intérieur à s’exposer, ce que je comprends : les mues ne se passent pas dans la lumière, il leur faut de l’intimité. 

 

Graines d’étoiles, cinq ans après de Françoise Marie diffusée sur Arte chaque dimanche à 19h entre le 23 décembre et le 20 janvier, et en vente en DVD.

 

Comments (4)

  • Léa

    Il suffit de regarder le 1er épisode, déjà en ligne sur Arte, et les 3 minutes d’extraits du 2e « être soi » (ces deux titres disent déjà tout) pour comprendre et la « crise » du sondage, qui n’est pas là qu’en filigrane, et la programmation fort peu classique d’une directrice soucieuse de remotiver les troupes en leur donnant à danser des choses qui leur conviennent.

    Cela se confirme, le classique est transmis en mode « pièce de musée », et forcément, les danseurs ne s’y retrouvent pas. Je ne sais pas ce qui est le plus triste, de cette pédagogie du classique qui ne se pose pas de questions, ou de son impact sur des jeunes qui eux, s’en posent beaucoup -et c’est normal- et du coup ne comprennent pas le sens qu’ils peuvent y trouver, n’y trouvent pas de place pour l’individualité, et au final le dansent sans joie.

    Bien des années plus tard, la maturité artistique leur permet parfois de mieux trouver leur place, mais pour beaucoup c’est trop tard, le corps ne suit plus. Ce n’est pas une fatalité, c’est le boulot aussi d’une institution que de former ou renouveler ses cadres et ses approches.

    A part ça cela fait plaisir de les retrouver et de voir, toujours, leur grande maturité de jeunes qui font un métier passion, difficile et beau.

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  • Dufr

    Très beau documentaire sur la danse et au delà, sur la passion chevillée au corps. Pour le moment, on ne voit que celles et ceux qui ont été acceptés à l’Opéra. L’interview de Françoise Marie laisse entendre que son documentaire donnera aussi la parole aux danseurs qui sont partis à l’étranger, dans d’autres compagnies ou qui ont changé de voie et c’est bien ainsi. J’avais suivi la première saison en me demandant ce qu’étaient devenus tous ces danseurs après le tournage et l’on voit bien que passé la joie et le soulagement d’être « engagé », c’est parfois le doute, la déception de passer de danseur à remplaçant, assis cinq heures par jour après avoir suivi une formation physiquement – mais pas uniquement – exigeante.On voit Pablo qui en parle, mais que se passe-t-il pour ceux qui ne réussissent pas à « monter » ? A part la classe du matin, que deviennent ces corps sollicités à l’Ecole puis, finalement, « sous employés » ou mis au placard une fois engagés ? Pour le moment, le documentaire n’y répond pas…

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    • Léa

      @Dufr : Je n’ai pas de statistiques, mais des Coryphées pendant 25 ans il y en a peu. Mais sinon, ceux qui restent durablement dans des grades à peu de volume de danse ou qui vieillissent comme sujet et finissent par être moins distribués soit partent, mais souvent deviennent « double actifs », donnant des cours, s’engageant dans des compagnies parallèles, créant leurs chorégraphies…et ont plus de temps pour leurs familles. Car nos héros sont encore jeunes, et s’il y a un jour une 3e saison, on verra aussi cet autre thème un peu oublié qu’est la vie privée et familiale.
      Certains d’ailleurs ont choisi, notamment quand ils sont sujets (un grade avec tout de même de belles opportunités), de ne plus vraiment chercher à monter, considérant que le jeu n’en vaut plus la chandelle, qu’ils n’en ont plus le désir ou la capacité, et ayant trouvé un équilibre artistique autrement. Heureusement.
      Mais j’avoue que je me pose des questions sur la pertinence même de ce grade de quadrille, ça sert à quoi à part rallonger la file d’attente pour garder les meilleurs comme Coryphées? Mais bon si on avait 4 ou 5 productions classiques où beaucoup de monde danse par saison, ils danseraient aussi ces jeunes, c’est fait pour ça au départ. C’est vraiment une question de programmation…

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  • Léa

    Après avoir tout vu, oui on retrouve ces enfants toujours touchants devenus des adultes également touchants. Matures et jeunes, passionnés et passionnants. L’épisode sur le Concours offre aussi un regard sur le lien avec les étoiles ou CdB en place ou plus anciennes, cette dimension plus immédiate de transmission entre des danseurs qui sont aussi collègues. Je ne m’y attendais pas et c’est très très émouvant. (et tout de même il y a des choses pratiques de gestion des plannings de salles qui pourraient être revus, ne serait-ce que le droit d’aller répéter ailleurs….vivement le plein déploiement de Bastille…)
    Différents de leurs ainés bien sûr, et oui, la « crise » est là, mais c’est quand même la danse qui gagne, et l’amitié, loin du cliché sur l’ambiance « pourrie ». Très belle saison 2.

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