Karl Paquette : « J’ai 25 ans d’Opéra de Paris et 25 ans de bonheur »
Après 32 ans passés à l’Opéra de Paris, dont 25 en tant que danseur dans la compagnie et neuf avec le statut d’Étoile, Karl Paquette fait ses adieux à la scène le 31 décembre, dans le ballet Cendrillon de Rudolf Noureev. Pour DALP, Karl Paquette revient sur sa carrière, son attachement à la danse classique et à cette institution, les grands moments qui ont jalonné ses années de danse ou sa volonté de transmettre.
Quel est votre sentiment à quelques jours de vos adieux ?
Je suis très heureux d’y aller. La préparation est toujours délicate, il faut être très à l’écoute de son corps et de soi-même sur ces derniers spectacles. On sait que l’on ne pourra pas repousser l’échéance, il faudra de toute façon être opérationnel. Je suis très excité aussi, je sens un enthousiasme de mon entourage, de mes confrères, de plein de personnes. Je me sens soutenu. Je sais que cela va s’arrêter et je suis content d’être accompagné jusqu’au dernier spectacle. Cette retraite à 42 ans, on y est préparé depuis le début. Après, le lendemain du spectacle, quand je réaliserai que c’est vraiment terminé… En tout cas maintenant, je suis dans un sentiment crescendo et positif.
Partir sur Cendrillon, c’est votre choix ?
Oui. Aurélie Dupont m’a demandé ce que je souhaitais danser pour mon ballet d’adieux. Tout bien réfléchi, ce fut Cendrillon et cela fonctionnait avec sa programmation. L’Acteur-vedette est un rôle qui m’a porté. C’est un personnage et un ballet festif, agréable pour partir avec trois partenaires en scène, tout le monde est content. Pour moi en tout cas, c’était l’idéal.
Revenons en arrière : quels souvenirs gardez-vous de vos premiers cours de danse ?
Mes premiers souvenirs de danse remontent aux cours chez Max Bozzoni. C’était à la fois dur et intriguant. Lui était un grand monsieur, son studio était mythique. J’y croisais Patrick Dupond, la star à ce moment-là, puis beaucoup de futurs grands danseurs et danseuses, une génération que j’ai côtoyée après : Agnès Letestu, Aurélie Dupont, Nicolas Le Riche… C’était toute une ambiance. J’ai le souvenir de beaucoup travailler, d’essayer de donner le meilleur de moi-même et de me surpasser.
Qu’est-ce qui vous a attiré dans la danse ?
Le dépassement de soi. J’ai toujours été un challenger. j’aimais me fixer un objectif et y arriver.
Quand est venue l’envie d’en faire votre métier ?
C’est venu par Max Bozzoni. Quand il m’a permis de prendre des cours dans son studio, il m’a dit : « Si tu viens ici, c’est pour présenter l’Opéra de Paris« . Cela impliquait quelque chose de concret, d’aller au-delà de juste se faire plaisir en amateur. On entre alors dans un engrenage et on ne voit plus les choses de la même manière. Grâce à lui et à Claude Bessy, des années durant, j’ai aussi mieux compris ce qu’était ce métier, ses bons côtés, j’en ai fait quelque chose de fort.
Que vous a transmis Max Bozzoni ? Une certaine philosophie de la danse ?
Je dirais même une philosophie de la vie. D’abord, que le travail paye, c’est une évidence. Mais qu’il fallait aussi parfois relativiser. Il y avait avec lui l’envie et la volonté de travailler avant tout, c’est clair, mais toujours dans une bonne ambiance et une bienveillance. Pendant son cours, il pouvait ainsi faire une pause de 5 minutes pour nous raconter une anecdote, de danse ou de vie quotidienne. Et c’est important, dans un studio de danse, de faire un break de 5 minutes, de rire 5 minutes pour repartir de l’avant. C’est bien de travailler, mais il faut que cela reste un plaisir, un moment de partage, un moment d’émotion aussi. Un danseur ne fait pas pour faire, il n’est pas une machine, il faut qu’il s’exprime. Quand on n’en peut plus, il faut savoir l’accepter et faire une pause.
C’est quelque chose que vous transmettez maintenant que vous donnez des cours ?
Quand on donne des cours de danse à un enfant, il aura l’envie toute légitime d’aller au plus facile. Mais dès le plus jeune âge, il faut leur faire prendre conscience qu’il doit prendre tôt les bonnes décisions. J’essaye de ne pas trop les écouter et de leur donner cette énergie-là. Mais quand ils ont envie de rire, je laisse partir. Même pour moi, quand je donne un cours de 90 minutes, c’est important qu’il y ait une bonne ambiance.
À l’École de Danse, quels souvenirs gardez-vous de de Claude Bessy ?
Claude Bessy est une grande dame. Elle avait un regard, une vision pour déceler le potentiel tout comme pour mettre le doigt sur un défaut quand il le fallait. Elle avait un franc-parler et en même temps une vraie bienveillance sur tous les enfants. Après, elle avait son caractère, parfois ça ne passait pas, on ne peut pas plaire à tout le monde. Mais elle arrivait à insuffler une énergie et la conviction que, si on aime ce métier, on en sortira grandi. À l’École de Danse, tout est devenu plus précis et concret. C’est évident que cela reste un métier difficile. Il faut apprendre que, quand il y a des journées difficiles, il faut savoir passer au-delà de ce mur de difficultés pour le franchir, aller plus loin, et que cela devienne plus facile le lendemain. Il y a eu des moments difficiles, mais cela reste positif malgré tout.
Y a-t-il un.e professeur.e qui vous a particulièrement marqué pendant vos années à Nanterre ?
Tous m’ont marqué, chacun à leur façon. Je pense plutôt à une continuité sur toutes mes années d’École avec les regards de Claude Bessy et de Max Bozzoni, qui étaient vraiment mon moteur principal.
Vous entrez dans le corps de ballet à 17 ans. Vous n’avez pas forcément une progression fulgurante, vous passez Premier danseur sept ans plus tard. Quel regard portez-vous sur ces années de corps de ballet ?
J’ai vraiment fait mes armes de corps de ballet. Et quand on fait bien son métier, quand on danse bien ces rôles, on a le temps de voir les autres évoluer. Cela m’a permis d’avoir le regard sur ces rôles que j’allais pouvoir potentiellement danser, j’en ai appris certains avant même de les interpréter. Cela m’a permis d’être plus serein quand je les ai abordés en tant que soliste par la suite. Je ne garde pas en tout cas de souvenirs frustrants de ces années.
Quels étaient vos danseurs modèles à cette époque ?
Il y a toujours eu Nicolas Le Riche, même si l’on a eu peu d’écart d’âge. Je l’ai croisé chez Max Bozzoni, puis à l’École de Danse où il était en première division lorsque j’étais en sixième. Et lorsque je suis arrivé en première division, lui était déjà Étoile. Peut-être qu’inconsciemment, je me demandais si ma danse ne se rapprochait pas un peu de la sienne. Il n’était pas forcément le stéréotype du physique Opéra de Paris, et je me sentais un peu dans cette veine-là alors qu’on me reprochait mes pieds et mes genoux, ce qui m’a suivi je pense toute ma carrière (sourire). Je me disais que lui, il avait une telle danse explosive et percutante qu’on en oubliait le reste. Nicolas Le Riche a fait partie d’une génération incroyable avec José Martinez ou Jean-Guillaume Bart. En première division, ils étaient mes repères, des modèles vers lesquels je tendais même si tout le monde est différent.
Vous avez eu un maître pendant ces années, quelqu’un qui vous a guidé ?
J’ai eu la chance quand je suis entré dans le ballet d’avoir José Martinez qui m’a épaulé et aidé. Il m’a pris sous son aile et il m’a fait beaucoup travailler. Ça a été un vrai petit père à ce titre. Je lui dois beaucoup dans sa façon de penser, dans ce qu’il m’a apporté de sa vision du spectacle.
Pendant vos années de corps de ballet, comment viviez-vous les Concours de promotion ?
Quand on n’est pas exposé en scène pendant toute une saison, le Concours est une chance de montrer son potentiel. Et moi, je saisis ma chance. Je voulais montrer ma valeur. Le Concours a toujours été pour moi intéressant et positif. Cela reste un concours, il faut travailler dur pendant un mois pour deux fois deux minutes en scène, c’est à la fois cruel et un moment indispensable. C’est de toute façon comme ça qu’est constitué l’Opéra de Paris, c’est ce qui fait la grande force de cette maison.
La jeune génération a tendance à remettre en cause ce Concours. Qu’en pensez-vous ?
J’ai du mal à concevoir qu’on ne veuille pas de ce Concours. Je trouve que c’est la chose la plus logique et « impartial » pour être promu. Si ce n’était qu’un choix de la direction, comme dans les autres compagnies, est-ce que les danseuses et danseurs seraient forcément plus heureux ? Je ne sais pas. En tout cas l’institution est comme ça et on ne pourra pas la changer, on est conditionné dès l’École de Danse à ce Concours avec les examens. Il faut savoir ensuite quel métier on veut faire et juste accepter les règles du jeu. Quand on est Étoile et qu’il faut assumer trois actes à danser, on s’aperçoit qu’un Concours de promotion, ce n’est rien.
Dans le corps de ballet, quel a été votre premier rôle de soliste qui a servi de déclic ?
La IXe Symphonie de Maurice Béjart à Bercy. J’avais enfin le droit de danser un petit rôle de soliste et je me sentais très bien dedans. Pour mon plus grand plaisir, Maurice, qui était là, en était lui-même convaincu. Cela a été le début de beaucoup de choses.
Qu’est-ce qui a changé une fois passé Premier danseur ?
Cela change tout, ce n’est plus le même travail. Peu importe la consistante, un pas de trois ou un rôle d’Étoile, je savais que je n’aurais que des rôles de soliste. Ça a été un gros changement car j’étais encore en train d’apprendre mon métier, je n’avais jamais eu vraiment accès à tous ces rôles. Ce passage a donc été pour moi un gros changement, presque plus que de passer Premier danseur à Danseur Étoile.
Une fois Premier danseur, vous avez beaucoup remplacé et sauvé des représentations, jusqu’à acquérir la réputation de « Superman de l’Opéra ». Cela ne vous a pas semblé réducteur ?
C’était tout simplement un fait, il fallait accepter la chose. C’était aussi ma chance pour pouvoir me lancer, une force. Plus on est en scène et plus on est en confiance. C’était également flatteur de me dire que les partenaires voulaient danser avec moi, que ça se passait bien. Il n’y a rien de mieux pour pouvoir évoluer. Cela n’a en tout cas jamais été une frustration, je n’ai jamais eu l’ego de me dire qu’il fallait que je passe avant les autres.
Il y a un remplacement particulièrement épique qui vous revient à l’esprit ?
Il y a eu pas mal de remplacements un peu fous ! Mais en même temps, un remplacement, c’est aussi tragique pour celui que l’on remplace. Le premier remplacement était un peu étrange. Il s’agissait du rôle de Solor dans La Bayadère. Je ne devais pas le danser. À midi, au cours de danse, José Martinez qui devait danser le soir même est malade. Je le vois partir et je me demande ce qui va se passer… Une demi-heure plus tard, j’apprends que c’est moi qui le remplace. J’attendais ce rôle de Solor depuis ma plus tendre enfance, et je m’entends soudain dire : « Tu vas le danser dans 6 heures« , sans savoir avec qui je vais être sur scène. Sur le plateau, tout va tellement vite qu’on ne réalise pas comment cela s’est déroulé.
Je me souviens aussi d’une tournée en Australie. On y dansait neuf Le lac des cygnes, j’y interprétais six fois Rothbart et deux fois Siegfried. J’avais donc une seule soirée de libre où je pouvais voir le spectacle. Ce soir-là, Hervé Moreau et Marie-Agnès Gillot dansaient les rôles principaux. À l’entracte, je vais en loge voir si Hervé va bien. Il venait de se couper le doigt en réparant les élastiques de ses chaussons. Je vais voir le kiné pour prendre un pansement, et quand je reviens dans la loge, on se rend compte qu’il saigne trop. Et là, tout le monde réalise que le remplaçant, c’est moi, qu’il faut que je me prépare et que j’aille en scène. Quand j’ai déboulé sur le plateau à l’entracte en costume, certains ne comprenaient pas ! La seule soirée de repos s’est finalement transformée en remplacement. Cela fait partie des expériences de la vie de danseur.
Vous avez rarement été blessé alors que vous avez été beaucoup sollicité. Comment l’expliquez-vous ? Vous avez déjà eu peur que le corps lâche, même lors d’une longue série ?
Non, jamais, ça n’a jamais été mon angoisse. Au contraire, j’ai toujours eu cette confiance en moi qui me disait que ça allait marcher tout le temps. Et plus on travaille, plus ça va. Il y a forcément une part de travail, une prise de conscience de son corps, un respect de sa personne, avoir une vie saine. On ne peut pas sortir jusqu’à 4h du matin et assumer un ballet en trois actes le lendemain. La génétique a aussi été assez favorable à mon égard.
Quels souvenirs gardez-vous de votre nomination d’Étoile le 31 décembre 2009 ?
Ça a été une vraie surprise. Il y avait bien eu quelques signes avant-coureurs, mais pourquoi est-ce que ça allait m’arriver maintenant ? C’était déjà la troisième fois que je dansais sur cette série de Casse-Noisette, il n’y avait aucune raison que ça arrive pour moi. Et puis on a tellement vu des nominations auxquelles tout le monde s’attendait et qui ne sont pas arrivées…
Vous étiez Premier danseur depuis huit ans, vous n’attendiez pas cette nomination ?
J’avais dansé tout ce qui m’intéressait. J’étais très heureux comme ça et je n’étais pas en attente de devenir Étoile. Il n’y avait là non plus pas de frustration. Et puis quand vous êtes Premier danseur et que vous voyez un jeune danseur talentueux comme Mathias Heymann arriver et monter, vous savez très bien qu’il passera devant vous. Je ne concevais pas en fait de passer Étoile avant lui, je l’ai tout de suite vu comme une graine d’Étoile.
Qu’est-ce qui a tout de même changé avec ce titre, même si vous dansiez déjà beaucoup ?
Le titre ouvre un nouveau répertoire, j’ai enfin pu par exemple danser Armand dans La Dame aux camélias de John Neumeier. Et puis j’étais tout à coup prioritaire, c’était très appréciable.
Quels rôles avez-vous particulièrement aimés danser ?
Forcément l’acteur-vedette dans Cendrillon, ce n’est pas pour rien que je pars sur ce rôle-là. Il y a eu Kourbski dans Ivan le Terrible de Iouri Grigorovitch, Rothbart dans Le lac des cygnes, L’Oiseau de feu parce que c’était Maurice Béjart, Armand dans La Dame aux camélias, Roméo et Juliette qui est une vraie tragédie, Onéguine, Basilio, Solor…
L’un de vos rôles les plus marquants reste le personnage de Rothbart dans Le lac des cygnes de Rudolf Noureev…
Je n’ai jamais dansé deux fois Rothbart de la même façon, ça a toujours été intéressant et différent. Ce rôle est passionnant. On peut le critiquer parce qu’il n’a qu’une variation et pas grand-chose à danser, mais il a tellement d’importance dans ce ballet ! La préparation est aussi difficile, mais j’adorais échanger avec mon partenaire sur le chemin que l’on voulait prendre.
Vous avez aussi dansé Basilio, l’un des rôles les plus durs du répertoire, jusqu’à vos 41 ans. Alors que plusieurs de vos collègues arrêtent les grands classiques avant la fin de leur carrière, pourquoi avoir continué ?
J’ai toujours défendu les valeurs de la danse classique. J’ai toujours été convaincu que c’était ma vocation, même si j’ai adoré danser autre chose. Alors tant que je le pouvais, tant que mon corps disait oui, j’ai continué à le danser. J’étais à la fois content et fier de danser mon dernier Basilio à 41 ans. Peut-être que ce n’était pas bien, mais ce n’est pas à moi de juger. Je l’ai fait en tout cas avec ma conviction et j’ai tout donné comme si c’était mon premier Basilio, à 41 ans.
Il n’y avait pas la peur de la comparaison avec certaines de vos collègues bien plus virtuoses sur cette même série, comme Mathias Heymann ?
Si on veut faire la comparaison, elle sera faite, mais ce n’est pas à moi de la prendre en compte. Quand je vais voir le spectacle de Mathias Heymann, avec sa jeunesse et son talent, je peux me sentir “ridicule” à côté de lui. Mais lui aussi vient voir mon spectacle, il a pu apprendre des choses en me voyant danser, c’est flatteur.
On vous a aussi vu continuer à danser des plus petits rôles, comme le Geôlier dans L’Histoire de Manon de Kenneth MacMillan. Pourquoi ce choix ?
À partir du moment où je suis devenue Étoile, j’ai laissé de côté ces troisièmes rôles. Mais j’ai pu les reprendre pour des occasions particulières. Pour le Geôlier dans L’Histoire de Manon, c’était pour les adieux d’Aurélie Dupont. La première fois que j’avais dansé ce rôle, c’était avec elle, il y a 20 ans, c’était un joli clin d’oeil. Tout comme de reprendre le rôle du Prince Grémine dans Onéguine de John Cranko pour les adieux d’Isabelle Ciaravola. J’ai par contre toujours aimé la richesse de danser à la fois le premier et le deuxième rôle : Roméo et Thibalt, Albrecht et Hilarion, Abderrahman et Jean de Brienne, Siegfried et Rothbart… C’est très enrichissant.
Vous avez aussi la réputation d’être le meilleur partenaire de l’Opéra. Vous arrivez à en retenir une en particulier ?
Il n’y en pas une. Ce sont « les » partenaires que je retiendrai. Quand j’étais jeune, les plus anciennes comme Agnès Letestu, Clairemarie Osta, Delphine Moussin ou Élisabeth Maurin m’ont aidé, soutenu et encouragé. Je me suis retrouvé avec plus d’expérience, je ne les remercierai jamais assez. Puis il y a eu Isabelle Ciaravola, Ludmila Pagliero, Dorothée Gilbert… Toute ma génération. Elles étaient heureuses de danser avec moi et inversement. Chaque fois que j’ai eu une partenaire dans les bras, j’ai toujours été aux petits soins. Dès les répétitions, j’ai toujours trouvé que le travail était plus agréable avec une bonne ambiance. Quand on travaille un grand rôle, on passe 4-6 semaines dans un studio, tous les jours. Le plaisir est indispensable.
Vous avez tissé un lien fort avec le public. Comment l’expliquez-vous ?
Il y a d’abord eu une eu époque où l’on tombait souvent sur moi quand on allait à l’Opéra (sourire). Et tant mieux. Avec le temps, les gens s’habituent à un danseur, peut-être qu’ils ont ensuite envie de voir son évolution. Et puis j’ai toujours été investi dans tout ce que j’ai fait, j’espère que c’est ça aussi que le public voulait venir voir chez moi.
Quel regard portez-vous sur votre carrière de façon générale ?
C’est dur de regarder en arrière. J’ai 25 ans de maison et 25 ans de bonheur. Je me dis que c’est plutôt positif. Je n’ai pas de souvenir de moment compliqués, la vie m’a plutôt souri. Même quand c’était difficile, si on veut s’en sortir, il faut voir le bon côté des choses. Sous la direction de Benjamin Millepied, j’étais plus en retrait. Mais cela m’a permis de prendre conscience de certaines choses, d’avoir une réflexion peut-être inconsciente pour prévoir ma retraite. Si on continue à 42 ans de vouloir tout danser la tête dans le guidon, ça ne va pas, il faut l’anticiper.
Il y a un souvenir que vous gardez particulièrement en tête sur toute votre carrière ?
Ce sera peut-être le 31 décembre 2018, on verra (sourire) ! Il n’y en a pas un, je retiens la globalité d’une carrière.
Vous êtes entré à l’École de danse il y a plus de 30 ans. Comment voyez-vous l’évolution de l’Opéra de Paris depuis toutes ces années ?
L’Opéra de Paris a évolué en positif, nous sommes passés d’une scène à deux en arrivant à assumer 100 % des spectacles. En même temps, je ne sais pas si cette institution a vraiment changé. C’est plutôt moi qui aie changé dans cette maison. J’ai d’abord eu le regard d’un enfant admiratif des Étoiles, je suis entré dans la compagnie à 17 ans avec la soif d’apprendre, je repars en tant qu’Étoile, en haut de la pyramide… Et puis on ne peut pas avoir un recul suffisant. Reposez-moi la même question dans 30 ans !
Et comment regardez-vous la nouvelle génération qui arrive ?
Il faut que tout soit dans l’instant, que tout aille très vite. Je le vois même avec mes enfants. Mais dans la danse, il ne faut pas être trop pressé. C’est un art ancestral, il y a des valeurs et il ne faut pas les perdre.
Comment voyez-vous les choses pour la suite ?
Je veux transmettre et enseigner, je ne sais pas encore dans quelles conditions cela va s’appliquer. J’ai le projet de transposer les ballets répertoire en 1h, 1h15 pour qu’ils soient accessibles aux enfants. On essaye de trouver un théâtre en France en 2019. J’ai toujours été tourné vers la transmission, je suis fils de prof, ça aide à s’y projeter (sourire). Je trouve que c’est important. Quand on réfléchit à son enfance, il y a toujours des professeurs qui vous ont marqués. C’était souvent des gens passionnés par leur métier. C’est avec des personnes comme ça que l’enfant se retrouve imprégné et que va naître chez lui quelque chose d’intéressant.
Vous prévoyez de revenir danser à l’Opéra après vos adieux ?
Non, 42 ans, c’est la retraite, il n’y a pas de raison que je revienne en tant que danseur. Il n’y a pas de bis repetita pour moi. Je peux avoir vu certains danseurs revenir légitimement parce qu’ils avaient du talent et encore l’énergie pour le faire, mais je n’ai pas ce désir-là. Pour moi, les adieux c’est concret, c’est une façon de dire au revoir à tout le monde. Je vais néanmoins danser les 22 et 23 mars à Beaubourg dans le cadre d’un programme avec l’Opéra, À bras-le-corps de Boris Charmatz et Dimitri Chamblas avec Stéphane Bullion. Je vais également danser en juillet au Japon pour dire adieux au public japonais.
Et revenir à l’Opéra pour coacher sur un rôle ?
J’aimerais bien. Ce n’est pas acté aujourd’hui mais ça ne me déplairait pas.
Comment imaginez-vous, aujourd’hui, votre soirée d’adieux ?
Je ne sais pas comment ça va être… Je pense que ça va être émouvant, forcément. J’espère en tout cas que je n’arriverai pas à me projeter avant le spectacle, je veux danser sereinement comme je l’ai toujours fait. Et si on est trop pris par l’émotion avant d’aller en scène, c’est compliqué. Par contre après… Je n’arrive pas à visualiser l’après-Cendrillon et le 1er janvier sans l’Opéra. C’est une deuxième maison pour moi, cela fait 32 ans que j’y suis et l’on n’efface pas 32 ans comme ça.
Yuki
Je vous remercie beaucoup pour cette très belle interview.