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Adrien M & Claire B : « Le numérique, c’est un corps en mouvement. Un corps en mouvement, c’est de la danse »

La Maison de la Danse de Lyon consacre une journée Danse connectée, le 19 octobre. Comment numérique et danse se mélangent ? Que peut apporter la VR (réalité virtuelle) ou la réalité augmentée à l’art de la scène ? Au programme : des spectacles (à voir toute la semaine), des expériences et expositions, ainsi que la découverte des projets lauréats du Dansathon 2018. Les artistes visuels Adrien M & Claire B fait partie de cette journée. Vous connaissez sûrement leur travail sans le savoir : c’est ce duo qui est derrière la superbe pièce Pixel de Mourad Merzouki. Lors de cette journée Danse connectée, ils montre leur projet Acqua Alta, composé d’un spectacle très réussi où le numérique se mêle à la danse, d’une expérience de réalité augmentée et d’un livre. Rencontre et discussion autour de la danse et des technologies, et du beau mariage que cela peut donner si le sensible et l’humain restent au coeur du procédé

Acqua Alta – Adrien M & Claire B

 

À priori, l’art numérique et la danse semblent opposées : l’un apparaît comme une technologie froide, l’autre est la sensibilité du corps. Comment avoir eu l’idée de les réunir ? 

Claire B : Le numérique, c’est un corps qui est en mouvement. Et un corps en mouvement, c’est de la danse. Nous nous considérons plutôt comme des artistes visuels qui construisent des expériences de théâtre, et Adrien a une pratique de jonglage forte et structurante dans son parcours. Nous aimons construire des images et les mettre en scène. Mais nous n’aimons pas construire des images toutes seules, déconnectées du corps et de la matière. Nous aimons créer des passerelles entre une image virtuelle et le monde tangible dans lequel on évolue. C’est tout l’enjeu de notre recherche, quel que soit le format que l’on déploie : créer ces seuils, ces rencontres intimes entre réel et virtuel, entre image et corps, entre matière et immatière. 

Adrien M : Le numérique est un outil avec lequel on travaille depuis toujours, cela nous semblait évident de l’utiliser. Nous avons envie que l’image rencontre les corps. Le corps de l’interprète, pour nous, c’est ce qui fait la passerelle entre le virtuel et le réel. Sans lui, notre monde n’existe pas, c’est lui qui permet au public de comprendre que c’est à lui que l’on s’adresse, à l’être humain. 

 

L’art numérique est un art vivant et sensible ? 

Claire B : C’est ce que nous voulons faire. Nous sommes dans une société entourée de machines et de technologies, et ce n’est pas prêt de s’arrêter. Ce qui nous intéresse est de chercher la juste place de cette technologie, une technologie au service de l’humain et pas l’inverse, au service de la poésie, du sensible. Il faut travailler pour que cet endroit existe et que ce ne soit pas uniquement un défi technique. 

Dans notre travail, nous construisons les coïncidences : quand un danseur fait un geste et que cela modifie le sens des pixels sur le tulle, c’est une fabrication de coïncidence. Mais comme n’importe quel spectacle vivant ! Toute l’histoire du théâtre est une fabrication de réel. Et c’est dans cette fabrication que l’on crée de l’émotion, du symbole, une expérience. 

Acqua Alta – Adrien M & Claire B

Dans vos spectacles, concrètement, comment cela fonctionne ? Dans Pixel ou Acqua Alta, l’on se demande toujours si ce sont les corps des danseurs et danseuses qui créent les pixels, ou si ce sont les pixels qui engendrent les mouvements des interprètes… 

Adrien M : Un peu comme un marionnettiste, je suis en régie, devant mon ordinateur, et je manipule les matières qui sont projetées sur le plateau. Sauf que je regarde la scène et les danseur.se.s, je ne regarde pas mon écran. C’est un peu comme du jonglage mais avec des objets qui n’existent pas. Par contre, ces objets réagissent comme des matières réelles : des bulles de pixels qui éclatent réagissent dans des bulles de savon, un tissu aura le même poids qu’une étoffe. 

Claire B : Dans nos spectacles, il y a ainsi toujours un interprète qui est caché et qui joue les marionnettistes. C’est véritablement un humain qui joue avec le danseur-la danseuse. 

 

Comment se monte ce genre de spectacle ? 

Claire B : Le travail est en deux étapes. Il y a d’abord l’écriture de la partition numérique, et j’utilise volontairement la métaphore de la musique : nous jouons du numérique. En même temps, nous fabriquons l’instrument avec lequel nous allons jouer cette partition. Cette dernière se partage entre trois médias : l’image, la musique et la danse. La deuxième étape est cette interprétation. Comme dans une partition de jazz, nous avons des thèmes que l’on va jouer à l’unisson, qui sont précis et extrêmement calés, puis des moments avec plus d’improvisation et de ressentis avec des points de rendez-vous. 

 

Lors de cette journée Danse connectée, en plus du spectacle Acqua Alta, vous proposez une expérience de VR et un livre. Comment cela va-t-il se présenter ? 

Claire B : Nous présentons un livre pop-up dont les dessins et les volumes en papier constituent les décors d’une histoire chorégraphique visible en réalité augmentée. Le livre contient dix doubles pages, comme dix tableaux, déployées sur une grande table. Le public se balade avec un iPad et un casque sonore qu’on lui prête et découvre le livre en réalité augmentée. Il s’agit de la même histoire que celle du spectacle, mais avec un média complètement différent.

Adrien M : Comme si le public regardait le même objet mais sous des axes très différents. 

Claire B : Le projet était de faire trois expériences différentes qui entrent en résonance : une expérience en VR, un livre et un spectacle. Et que, dans le parcours du public, il y ait comme un changement de posture qui donne lieu à des émotions différentes alors qu’on entre dans un imaginaire commun. C’est toujours la question du point de vue. Nous sommes des artisans de l’image et nous nous interrogeons sur le point de vue qui peut changer profondément l’objet. 

Acqua Alta – Adrien M & Claire B

Le spectacle Pixel date de bientôt cinq ans. La technologie a-t-elle beaucoup évolué depuis ? 

Adrien M : Il y a un peu plus de puissance en lumière, un peu plus de résolution et les images sont plus fines, mais cela n’a pas tant changé que ça. Par contre, il y a eu l’arrivée de la réalité virtuelle et de la réalité augmentée, que l’on ne pouvait pas utiliser à notre niveau au début de Pixel

Claire B : Même si un corps qui rentre en contact avec la projection, ce qu’est Pixel, est une certaine forme de réalité augmentée. La technique est différente, mais l’essence de cette rencontre entre deux espaces, entre l’un réel et tangible et l’autre plus imaginaire et immatériel, est finalement la même. Et cela fait des années que l’on travaille dans cette optique, dans cette recherche de rencontre entre image et corps, quel que soit le dispositif. 

 

Et comment peuvent évoluer ces technologies ? 

Claire B : C’est surtout l’imaginaire autour de ces technologies qui est en train de bouger. Nous sommes dans une période passionnante dans la construction des futures possibles avec les technologies. Et il faut que l’on soit aussi nombreux à être fabricants de situations de poésie, de douceur et de choses qui font du bien, que d’artistes qui s’emparent de ces technologies pour les dénoncer, créer des dystopies et alerter sur la place qu’elles prennent – et que l’on veut qu’elles prennent. Ces technologies sont présentes partout. Mais au-delà des multinationales du numérique, il faut que d’autres personnes puissent s’en emparer, pour proposer d’autres discours, d’autres utilisations, d’autres imaginaires.

Adrien M : Il ne faut pas oublier que les outils numériques sont aussi effroyables et inquiétants qu’il peuvent être porteurs de solutions, d’émerveillement et d’enchantement. Mais il faut que l’on soit toujours vigilant, en gardant à l’esprit que ce sont des outils créés par des humains pour des humains. Quand on garde l’empathie, on peut trouver des solutions.

Claire B : Et en se questionnant toujours sur la place de l’être humain et de la préservation de l’intention humaine, en restant dans une approche sensible. Sinon, la technologie devient une fin en soi et là ça devient un problème. 

Pixel de Mourad Merzouki

 

Acqua Alta – le spectacle, le livre et l’expérience de réalité virtuelle – à découvrir avec de nombreux autres projets lors de la journée Danse connectée de la Maison de la Danse de Lyon, le samedi 19 octobre.




 

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