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Mourad Merzouki : « J’ai la volonté de faire de la danse un art pour tous »

Présentée en ouverture des Nuits de Fourvière en 2018, Folia de Mourad Merzouki est actuellement à l’affiche du théâtre parisien Le 13ème art jusqu’au 31 décembre. Une quarantaine de dates dans un seul lieu, un sacré marathon pour un spectacle qui a déjà séduit le public lyonnais et rhône-alpin par le rapport inédit qu’il crée entre danse hip-hop et musiques baroques. DALP a rencontré Mourad Merzouki dans son bureau du CCN de Créteil (où il est reconduit jusqu’en 2022) pour parler entre autres de cette belle aventure parisienne, de sa vision de la danse hip-hop en France aujourd’hui et de son envie de travailler avec des danseurs et danseuses classiques.

Mourad Merzouki

Votre pièce Folia à l’affiche d’une salle parisienne pour une quarantaine de dates, c’est une sacré défi ! Dans quel état d’esprit êtes-vous ?

Comment ne pas me réjouir qu’on m’ait fait confiance sur une durée aussi importante ! C’est un signe très positif de la part des producteurs que d’accueillir un spectacle de danse sur autant de dates. Ils font le pari que la danse peut s’adresser à un large public. J’espère qu’à l’issue de cette série, cela donnera envie à d’autres producteurs et productrices de mieux accompagner la danse. Nous avons déjà été programmés dans des salles comme la Grande Halle de la Villette avec une grande jauge, mais là, il y a une part d’inconnu. Mais j’espère que nous toucherons un public différent de celui que nous touchons en tournée.

 

S’installer pendant une assez longue période dans un lieu, comment est-ce vécu par les danseur.euse.s ? Cela induit-il quelque chose sur la façon de travailler ?

Le fait d’être dans une série va nous permettre de continuer à affiner, d’avoir une danse plus fluide. La pièce va se peaufiner au fur et à mesure que tout le monde se sera approprié l’espace. Après, cela risque de générer beaucoup de fatigue, de stress. Quel va être leur degré d’endurance ? On espère qu’il n’y aura pas de blessures. Nous disposons seulement de deux interprètes en soutien. Heureusement, il s’agit d’une équipe jeune, motivée par cette belle aventure.

 

Pourquoi les avez-vous choisi.e.s ?

J’ai fait deux auditions, une à Paris et une à Lyon. J’ai cherché la polyvalence, mais aussi des personnalités différentes comme cette danseuse classique ou ce danseur derviche. Ce qui m’intéresse, c’est leur désir d’aller vers l’inconnu, de s’ouvrir à d’autres techniques, de sortir de leur zone de confort.

 

Comment est née cette pièce ?

En deux temps. En 2014, j’ai d’abord eu une commande du réseau 7STEPS pour un projet européen réunissant dix danseuses hip-hop issues de cinq pays. L’idée était de dépasser les barrières des langues, des cultures pour révéler une universalité des corps. J’avais eu envie de les bousculer un peu en les confrontant à un autre univers musical. J’avais alors demandé à Franck-Emmanuel Comte, le directeur artistique du Concert de l’Hostel Dieu, de me confectionner une bibliothèque musicale pour mieux connaître la musique baroque. J’ai d’emblée eu l’impression qu’il y avait des passerelles entre le hip-hop et ces musiques. Les danseuses se sont senties à l’aise avec ce rythme binaire qu’elles connaissent bien. Il y avait comme une évidence. Ça m’a plu. Mais on avait travaillé avec une musique enregistrée.

Quand Dominique Delorme, le directeur des Nuits de Fourvière m’a demandé d’ouvrir l’édition 2018 avec une nouvelle création, j’ai contacté de nouveau Franck-Emmanuel Comte pour prolonger le dialogue entre ces musiques et la danse. Et comme il fallait habiter cette grande scène, j’ai eu l’idée d’y faire cohabiter danseur.euse.s et musicien.ne.s.

Folia – Mourad Merzouki

Vous avez toujours eu envie de confronter le hip-hop à d’autres univers ?

Dans Folia, l’idée est de faire se rapprocher deux mondes qui, à première vue, sont éloignés, voire n’ont aucun point commun. Quand je raconte Heather [Newhouse, soprano], je ne sais pas trop jusqu’où je peux aller et très vite, elle joue le jeu. Alors je décide de la confronter au mouvement. J’aurais pu laisser les musiciens dans la fosse, mais ce qui m’amuse, c’est de créer un véritable dialogue entre eux. Et de la surprise pour que le public porte un regard différent. Comment ouvrir d’autres portes aux personnes ne connaissant rien au hip-hop, et inversement à ceux qui découvriraient la musique baroque ? Si je prends mon exemple personnel, j’ai mis les pieds dans un théâtre très tardivement. J’ignorais tout de l’univers de la danse contemporaine ou de la musique classique.

 

On a l’impression que vous vous plaisez à explorer des terres inconnues, à vous lancer des défis à chaque nouvelle pièce ?

Sans doute suis-je habité par l’inquiétude de l’artiste, celle qui le pousse à se renouveler sans cesse, par crainte de lasser le public. Nous sommes un peu des funambules. Un jour tout peut s’arrêter. Chaque fois que je suis devant ma page blanche, il faut que je me surprenne moi-même. Si j’ai souvent initié des rencontres périlleuses, je reste tout de même dans le registre du divertissement. Il faut qu’on sente le plaisir de danser. J’ai toujours cherché la légèreté, l’humour, la poésie. Je ne suis pas ce que l’on appelle un chorégraphe engagé, ce qui ne m’empêche pas de tout entreprendre avec le plus grand sérieux et la plus grande exigence. Mon souci, c’est de partager des images avec le public pour qu’il puisse se raconter l’histoire dont il a envie.

J’ai toujours cherché la légèreté, l’humour, la poésie. Je ne suis pas ce que l’on appelle un chorégraphe engagé, ce qui ne m’empêche pas de tout entreprendre avec le plus grand sérieux et la plus grande exigence.

Vous avez initié aussi deux festivals Karavel et Kalypso  qui montrent la vivacité de la création chorégraphique hip-hop. C’est une manière de passer le relais à d’autres danseurs/danseuses et chorégraphes ?

J’ai appris à danser avec mes copains. Des personnes m’ont tendu la main comme Guy Darmet à la Maison de la danse de Lyon ou Jean-Marie Bihl à Saint Priest. Quand vous sentez qu’on vous fait confiance, qu’on vous accompagne, vous faites un bond de géant, humainement et professionnellement. C’est parfois un tout petit déclic qui peut changer une vie. Aujourd’hui, j’ai la chance de diriger une maison comme le Centre chorégraphique national de Créteil et je me sens des responsabilités en tant que passeur de relais. Je sais combien ce métier est difficile quand on n’a pas les espaces pour s’exprimer. Il y a toute une jeunesse qui demande qu’on lui fasse confiance, qu’on lui permette d’avoir une vitrine pour montrer au public et aux professionnels ce dont elle est capable. Si quelques compagnies émergent, c’est un peu l’histoire qui se perpétue avec cette nouvelle génération.

 

Justement, quel regard portez-vous sur cette nouvelle génération hip-hop ?

Ils sont moins dans l’urgence que nous. Nous étions dans l’inconnu. Nous n’avions jamais dansé un studio. Nous ignorions ce qui se passait derrière la porte d’un théâtre. Aujourd’hui, grâce aux réseaux sociaux, à internet, les danseurs et danseusesde hip hop ont accès à beaucoup plus de choses. À 19 ans, je ne savais même pas que danseur pouvait être un métier ! Ils ont plus de réflexes professionnels.

 

Dans Folia, il y a cette danseuse sur pointes. On sent chez vous une envie d’aller à la rencontre de la danse classique. Est-ce exact ?

La technique des danseurs et danseuses classiques m’attire et me donne envie d’aller plus loin dans l’exploration d’un travail commun. Il y a plus de points communs entre ces deux esthétiques qu’on ne l’imagine. Il me semble qu’il y a là un champ de possibles où des mouvements pourraient rayonner ensemble.

Folia – Mourad Merzouki

Certains vous appellent le « nouveau Béjart ». Que vous inspire cette comparaison ?

Je crois que ceux qui font ce parallèle veulent souligner ce qui nous lie ce grand monsieur – que je n’ai pas eu la chance de connaître – et moi : la volonté de faire de la danse un art pour tous et de partager nos pièces avec le plus grand nombre. L’idée que mes chorégraphies vont attirer un public qui n’aurait pas forcément poussé les portes d’un théâtre pour aller voir un spectacle de hip-hop me plait. Après, comme je n’oublie jamais d’où je viens, je me dis juste : « Pourvu que ça dure ! »

 

Folia de Mourad Merzouki au 13eme art jusqu’au 31 décembre. Direction artistique et chorégraphie : Mourad Merzouki. Conception musicale : Franck-Emmanuel Comte, Grégoire Durrande et Le Concert de l’Hostel Dieu. Scénographie : Benjamin Lebreton. Lumières : Yoann Tivoli. Costumes musiciens : Pascale Robin. Costumes danseurs : Nadine Chabannier.

Festival Kalypso jusqu’au 17 décembre dans 22 lieux répartis sur 17 villes d’Ile-de-France.




 

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