Paroles de danseuses et danseurs (dé)confinés – Maia Makhateli, Raúl Serrano Nuñez et Hortense de Gromard
Après deux mois de confinement, comment se portent les danseuses et danseurs ? Certains n’ont encore aucune visibilité sur leur reprise. D’autres au contraire ont démarré leur rentrée en studio, avec des protocoles sanitaires parfois drastiques. Des projets commencent à voir le jour, même si la véritable rentrée semble encore loin. Comment vivent-ils cette période si étrange ? Comment s’entraînent-ils ? Comment imaginent-ils le retour en studio, de nouvelles façons de créer ? Chaque semaine, DALP laisse la parole à deux trois personnalités du monde chorégraphique, d’une compagnie française ou non, en CDI ou en free-lance.
Cette semaine, place à Maia Makhateli (Principal au Het Nationale Ballet), Raúl Serrano Nuñez (danseur au Ballet de l’Opéra de Lyon) et Hortense de Gromard (actrice et danseuse free-lance, au casting de la série Opéra et membre de la compagnie La Marche bleue)
Maia Makhateli – Principal au Het Nationale Ballet
Propos recueillis par Pauline Catalan
La reprise
J’étais impatiente de retourner en studio, mais j’étais un peu inquiète aussi, j’avoue… La reprise des cours a eu lieu tout récemment, le vendredi 15 mai, en quatre groupes, avec un protocole précis. Tout était bien préparé : quelques jours avant, nous avions reçu un mail très complet concernant les gestes barrières à respecter (prise de température à l’arrivée, chemin à emprunter dans le théâtre pour ne pas se croiser, gel hydroalcoolique à appliquer, ne pas utiliser les vestiaires…). Dans le studio, on était peu nombreux: le maître de ballet, le pianiste et les quelques danseurs et danseuses de mon groupe.
C’était super agréable d’être à nouveau dans les murs de ma deuxième maison, je m’y sentais bien. D’être de retour et d’avoir l’impression qu’il y ait à nouveau de la lumière et de l’espoir d’une motivation future. Oui, c’était très bien d’être de retour, même si ce n’était pas facile de partir aussitôt après le cours, sans pouvoir parler aux autres artistes. Mais il faut faire tout notre possible pour continuer dans la bonne direction. Pour limiter les risques, il nous est aussi demandé de ne pas utiliser les transports en commun, par exemple. Heureusement, nous avons une petite voiture.
L’annonce du confinement
Nous avons appris la nouvelle le 9 mars. J’étais à Rome, en Italie, pour répéter mon rôle de Médora dans Le Corsaire pour le Ballet de l’Opéra de Rome, avec Kimin Kim comme partenaire. Les répétitions de ce ballet remonté par José Martinez, assisté d’Agnès Letestu, se passaient très bien, elles étaient remplies d’un enthousiasme créatif. On répétait sur scène, quand soudain, ils nous ont annoncé que tous les spectacles devaient être annulés. Nous devions même nous rendre à Ljubljana, en Slovénie après, pour la première mondiale. Tout était annulé ! Ça a été vraiment très dur sur le moment, d’autant plus qu’aux Pays-Bas, tout continuait normalement à ce moment-là. J’avais du mal à y croire, c’était très bizarre. J’étais confuse et complètement bouleversée. J’ai continué à espérer un peu au début mais rapidement, je suis rentrée à Amsterdam. Une semaine plus tard, le confinement y a commencé également. Avec le recul, cet épisode m’a appris une chose importante : d’être reconnaissante pour chaque fois que je suis sur scène, pour chaque occasion de me produire car on ne sait jamais ce que l’avenir nous réserve.
Son entraînement confiné
Depuis le début du confinement, ma vie a totalement changé. Après le sentiment d’abandon, de confusion, de déprime du début, je suis maintenant dans une phase où je me tourne plus vers les autres : je veux m’occuper de mes proches du mieux possible, apprécier le fait d’être ensemble. Ce virus, c’est peut-être un message de l’univers pour nous enseigner de prendre davantage soin les uns des autres… Un avantage toutefois : j’ai plus de temps pour m’occuper de mon fils Luka qui vient d’avoir trois ans en avril car avant, j’étais très souvent en voyage. Je suis très heureuse de pouvoir être plus souvent avec lui pendant ces années importantes pour son développement, d’avoir plus de temps pour me consacrer à mon rôle de mère, que je suis aussi. Avec Artur (ndlr : Artur Shesterikov, son mari et père de son enfant, également Principal au Het Nationale Ballet), on a réussi à trouver une nouvelle routine, de nouveaux repères dans la journée.
Pour que nous puissions rester en forme, notre compagnie a très vite mis en place des cours quotidiens en ligne, permettant de recréer notre routine de danseur et danseuse. De plus, je fais des cours de pointes, du yoga. Ils nous ont même livré un mini-studio avec barre et sol de danse. Mais il est important d’avoir un objectif, et ça, c’est plus dur sans les spectacles. Là, ça ressemble plus aux périodes de congés, la tension des muscles est différente. De toute façon, je me sens surtout en forme lorsque je me produis sur scène ! Comme on n’a d’autre choix que de se maintenir en forme le mieux possible en ce moment, j’essaie me concentrer sur des détails, de me lancer des défis, au niveau de l’en-dehors par exemple car il n’y a pour moi pas de limite à la perfection, c’est sans fin, on peut toujours faire mieux, s’améliorer… De toute façon, le cours journalier, dans notre métier, c’est la base de tout, c’est comme un rituel religieux. Cela commence dès l’école de danse, avec beaucoup de règles, de contraintes, d’objectifs à atteindre, le désir d’exécuter les mouvements d’une façon la plus précise possible.
Cet épisode m’a appris une chose importante : d’être reconnaissante pour chaque fois que je suis sur scène.
Ce qui lui a manqué
Avant tout, de l’espace pour danser. Avoir suffisamment de place pour bien effectuer les grands sauts, par exemple, car ils permettent d’utiliser ses muscles au maximum de leurs possibilités et de les rendre plus forts. Mais heureusement, je peux utiliser de temps en temps un studio en ville dans lequel je donne des cours de danse d’habitude. Sinon, les spectacles bien sûr ! Mais je fais en sorte que, quand je serai à nouveau sur scène, je serai encore plus forte, je fais vraiment tout pour ça. De toute façon, rien de mieux qu’un ballet comme Le Lac des cygnes par exemple pour que je me sente bien. Et, bien sûr, le contact avec les autres membres de la compagnie me manque beaucoup, ça va de soi !
Un hobby de confinement ?
Depuis plusieurs années, je fabrique mes propres tiares. C’est un passe-temps, ça me détend. Parfois, j’ai même pu en porter une sur scène, comme par exemple dans La Belle au bois dormant. Là, j’en avais préparé une pour Le Corsaire que je devais porter en Slovénie. Mais depuis le confinement, je n’en ai pas fait d’autre car mes journées sont bien remplies et je n’en ai pas ressenti le besoin. Mais ça reviendra, je pense.
Une carrière à son apogée
Il me tarde bien sûr de remonter sur scène, d’autant plus que je suis à un moment important de ma carrière, qui est, comme pour tout danseur et danseuses, très courte. J’espère que nous pourrons reprendre les spectacles dans un délai raisonnable.
Je viens d’une famille de danseurs. Mon grand-père était soliste au Ballet national de folklore de Géorgie. Mon père, ma mère et mon frère (ndlr : David, ancien Principal au Royal Ballet) étaient danseurs. Ma grand-mère, elle, était cantatrice à l’Opéra de Tbilissi, et maquilleuse dans ce théâtre plus tard. Très tôt, j’ai voulu suivre l’exemple familial. Ma mère a commencé à me donner des cours dans un studio du théâtre. J’ai vraiment grandi dans ce théâtre. Mes parents adorent le ballet, et ils ont toute une collection de vidéos que j’ai regardées pendant toute mon enfance. Et c’est là qu’un jour, j’en regarde une montrant celle qui est devenue mon idole et mon exemple depuis, la célèbre danseuse française Sylvie Guillem. Elle était, et elle est toujours, mon inspiration avec un grand « I ». J’ai ainsi un souvenir fort d’un gala international de ballet en 2009 à Tokyo, au Japon, où j’étais sur scène avec elle. J’ai même gardé une photo en souvenir. J’y ai d’ailleurs dansé Roméo et Juliette avec mon frère comme partenaire, une expérience assez particulière, vous vous en doutez.
Au fond, peu importe le rôle, pour moi, l’important, c’est de danser.
La danse me rend heureuse, je me sens « chez moi », je me sens au complet. J’avais environ trois ans quand j’ai décidé que mon avenir serait dans la danse. À 9 ans, j’ai été prise à l’Institut chorégraphique Vakhtang Chabukiani, à Tbilissi, en Géorgie. En parallèle, je m’entraînais beaucoup avec mon père à la maison. J’étais très déterminée, je ne doutais pas du tout. À l’âge de 16 ans, je suis partie aux États-Unis pour étudier à l’école de ballet San Valley, dans l’Idaho. Après avoir dansé pendant quatre ans au Ballet du Colorado, je voulais intégrer une compagnie plus importante, en Europe. En 2006, j’ai rejoint le Ballet de Birmingham, au Royaume-Uni. Mais je ne m’y sentais pas très bien, pas vraiment à ma place. J’ai alors auditionné en 2007 au Het Nationale Ballet, où mon frère avait dansé, sous la direction de Wayne Eagling à l’époque. C’était juste avant les congés d’été, et même si je ne suis pas très grande pour des compagnies du nord de l’Europe, j’ai été engagée (ndlr : en tant que grand Sujet. Promue Première danseuse 2009, Principal en 2010).
Mes rôles préférés ? C’est une question difficile ! (rires.) J’adore les ballets qui racontent une histoire car ils provoquent des émotions particulières, en rapport avec la vie, et permettent de s’exprimer pleinement. C’est le rôle de Marguerite dans La Dame aux camélias que je garde particulièrement dans mon cœur car il y a une progression importante du personnage au cours de l’histoire. Mata Hari aussi, Giselle, même si c’est un peu différent. Et Frida, bien sûr, une nouvelle création d’Annabelle Lopez Ochoa. C’est le rôle que j’ai dansé avec la compagnie juste avant le confinement. Comme il s’agissait de « danser la vie » d’une artiste ayant connu une souffrance particulière (ndlr : Frida Kahlo était une peintre mexicaine souffrant des suites de la polio qu’elle avait contractée à l’âge de 6 ans, et d’un grave accident de voiture à 18 ans), ce rôle était particulièrement intéressant sur le plan humain et artistique, avec beaucoup de facettes à exprimer. Le processus artistique m’a obligé à puiser au fond de moi-même. Mais j’aime aussi d’autres types de ballets, comme par exemple ceux de George Balanchine, qui était un vrai génie. Au fond, peu importe le rôle, pour moi, l’important, c’est de danser. La danse m’est essentielle, c’est une façon de vivre !
Raúl Serrano Nuñez – Danseur au Ballet de l’Opéra de Lyon
Propos recueillis par Amélie Bertrand
Une reprise progressive
Au Ballet de l’Opéra de Lyon, nous avons démarré par des visites médicales à la mi-mai, avec le centre de soins qui nous suit habituellement, pour prévenir tout accident : 8 semaines d’arrêt, c’est très long, c’est plus que nos vacances d’été. Le suivi médical est fait de façon très sérieuse à l’Opéra de Lyon. Nous avons eu des électrocardiogrammes, des tests d’effort, pour être sûr qu’il n’y ait pas de séquelles. Ceux et celles qui le souhaitaient ont eu un test sérologique. Je l’ai passé et j’ai été testé positif. J’avais des doutes car je suis tombé malade en février, avec des symptômes qui n’ont pas été violents. Je me considère comme chanceux.
J’ai été testé en début de semaine, je n’ai donc pas le droit de revenir pour l’instant. Les cours n’ont pas repris mais les deux studios sont rouverts. Nous pouvons y aller un danseur-une danseuse à la fois, avec trois sessions par jour : seuls six d’entre nous pouvons ainsi y aller chaque jour, sachant que nous sommes 30 artistes, ça ne fait pas beaucoup. Nous portons un masque dans les couloirs de l’Opéra mais pas dans le studio, c’est trop compliqué de danser avec. Les vestiaires sont fermés, on doit prévenir si on entre dans notre loge pour qu’elle soit désinfectée ensuite. Nos trois kinés ont constitué trois groupes de dix pour de la remise en forme et du suivi physique, un groupe a fait une session au Parc de la Tête d’Or, en respectant les distances de sécurité.
La véritable rentrée sera plutôt pour septembre. On ne sais pas encore quand est-ce que l’on pourra tous se retrouver.
Le confinement
Nous étions parti en tournée, en Australie et Nouvelle-Zélande. On devait aller aux États-Unis mais le confinement a démarré, la tournée a été interrompue et nous sommes rentrés en France. Des cours de danse classiques et de gyrotonic ont été proposés par l’Opéra de Lyon. Pour le classique, il s’agissait de cours avec des professeur-e-s invité-e-s, comme le reste de l’année. Les cours de gyrotonic ont été assurés par un de nos collègues diplômés et une ancienne danseuse de la troupe. Nous n’avions forcément pas de machine mais nous avons travaillé la technique sur chaise, que tout le monde peut faire dans un espace confiné. C’était super intéressant, je n’en avais jamais fait avant.
Nous étions dans l’idée de se maintenir en forme plus que de progresser, même si la forme a baissé. C’est logique, quand on passe de 7h à 1h ou 1h30 d’entraînement par jour. J’étais assez contre l’idée de faire un cours de danse en entier avec un espace restreint et un mauvais sol, quand je voyais certains faire des grands sauts chez eux, je n’y tenais pas trop. On se bat à l’Opéra pour avoir un bon sol, autant ne pas en rajouter chez soi. Mon corps n’aurait pas tenu de faire un cours en entier sur un mauvais sol, mes articulations, mon bas du dos, mes chevilles auraient fini par ne pas aimer.
À la rentrée, les tests de cardio ont été durs. Même si on essaye de se maintenir en forme et de suivre des cours, on reste dans un espace restreint. Je n’avais que je ne pouvais pas avoir la même résistance au moment de la reprise.
Ce qui lui manque
Les studios de danse sont maintenant rouverts en solo. Mais moi, ce qui me manque, c’est l’énergie du groupe. Pour moi, la danse est un partage : avec un chorégraphe, avec le public, avec nos collègues. Me retrouver seul en studio n’est pas ce qui me manque : ce qui me manque reste le groupe.
Une nouvelle rentrée
Le début de la saison prochaine a été transformée. Julie Guibert, notre nouvelle directrice, a eu l’idée d’une série de solos sur scène ou ailleurs, en septembre et octobre. Elle a demandé aux danseurs et danseuses leur avis et leur envie de retrouver la danse. Elle nous a demandé avec quel artiste nous aimerions travailler pour un solo. Normalement, le-la chorégraphe vient nous chercher, cette fois c’est nous qui proposeront quelque chose à quelqu’un. Et c’est une super idée, on ne nous demande pas souvent ce que nous voulons faire. Julie Guibert décidera de ce qui se fera au final, en fonction du projet et si l’artiste peut venir et est intéressé. Certains projets ont déjà démarré, avec des rencontres et du travail à distance en vidéo.
Normalement, notre début de saison aurait dû être occupée par la Biennale de la Danse, un gros événement. Nous devions travaillé avec Kyle Abraham, qui ne pourra pas voyager en France, le projet est donc reporté. Julie Guibert voulait tout de même faire quelque chose d’important pour le ballet. Ces créations de solos restent quelque chose de fort et démarrent bien la nouvelle saison. Ce projet permet aussi à Julie Guibert de se faire connaître du public et de mettre son empreinte sur cette saison qui a été faire par Yorgos Loukos, notre ancien directeur.
Me retrouver seul en studio n’est pas ce qui me manque : ce qui me manque reste le groupe.
Une nouvelle direction
Julie Guibert est arrivée à la tête du Ballet de l’Opéra de Lyon mi-février. La première chose qui lui tombe dessus est la tribune de soutien à Yorgos Loukos (ndlr : licencié par le conseil d’administration de l’Opéra suite au procès où il a été jugé coupable de discrimination), le deuxième est le confinement ! Ce n’est pas évident. Mais entre tous les membres de la troupe, les danseurs et danseuses comme le staff, on s’est serré les coudes. Le bateau doit continuer à avancer, on doit maintenir notre belle place dans le monde de la culture française. On essaye de faire en sorte que tout fonctionne. Julie Guibert a un profil très différent de Yorgos Loukos. Elle a très envie de travailler avec nous, et nous de travailler avec elle. Nous construisons une compagnie différente.
L’idée de Julie Guibert est d’aller vers la création et le renouveau de la danse. Elle est très ouverte pour faire percer de nouveaux artistes, et nous en tant que danseurs et danseuses pour aller d’explorer d’autres territoires. Tout en continuant à danser « nos classique » à l’Opéra de Lyon, comme le répertoire de William Forsythe ou Jiří Kylián, qui restent dans ses lignes et seront présents dans nos programmations.
Hortense de Gromard – actrice et danseuse free-lance, au casting de la série Opéra et membre de la compagnie La Marche bleue
Propos recueillis par Amélie Bertrand
L’arrêt brutal des projets
Quand le confinement a été annoncé, je venais de vivre une semaine très intense et chargée en émotion avec les premiers jours de de tournage en Belgique de la série Opéra (ndlr : à venir sur OCS en 2021) avec beaucoup de scènes de danse, notamment de répétitions du Lac des cygnes. J’avais aussi fait un aller-retour à Caen pour une répétition avec ma compagnie La Marche bleue de Léo Walk. Elle venait tout juste d’être créée mais on avait déjà de très belles perspectives avec des spectacles en avril au Bataclan et une tournée en mai. J’étais donc en pleine effervescence et très investie, heureuse dans ces projets.
Pour la série Opéra, nous avions commencé à répéter en janvier avec les chorégraphes, suivant les personnages. On s’était ainsi déjà tous rencontré, nous avions pu créer une vraie cohésion de groupe et on était tous très impatiente de commencer. Quand le tournage a démarré, l’épidémie était déjà bien présente mais on ne se rendait pas compte. On se posait des questions, il y avait des rumeurs, mais j’étais tellement plongée dans tout ça, tellement contente, que je pensais pas que le confinement pouvait nous arriver. Le tournage devait durer jusqu’en juillet.
Son entraînement
Astrid Boitel, la coordinatrice artistique extra de la série Opéra, nous a tous réuni dans un groupe sur les réseaux sociaux, avec les danseur-se-s, comédien-ne-s et chorégraphes pour organiser des classes un peu tous les jours : une barre classique, une barre au sol, du pilates… pour que ceux et celles qui voulaient continuer et en sentaient le besoin. On a pu ainsi garder un lien avec les autres et garder cette cohésion de groupe qui commençait à se créer. Astrid Boitel a donné des barres, notre chorégraphe Marc-Émmanuel Zanoli aussi. Maud Jurez, une danseuse comédienne du casting, donnait des cours de pilates. Cassandre Leblanc, qui fait partie des danseuses, donnait des cours de barre au sol, etc. Pour ma part, c’était dur de trouver tous les jours une motivation. J’ai aussi eu du mal à suivre les cours au ligne au début, j’avais du mal à m’y retrouver parmi toute l’offre proposée. Je n’ai pas mis de routine précise en place, je voyais tous les jours ce dont mon corps avait besoin. J’ai pris des barres, du renforcement musculaires, beaucoup de yoga avec Mathilde Lin, une amie danseuse qui donnait des cours en petit groupe, ce qui était agréable.
J’ai également travaillé l’improvisation, c’est très important et ça m’a manqué dans ma formation très classique. C’est quelque chose sur laquelle je dois travailler et prendre confiance. Au sein de ma compagnie La Marche bleue, les autres danseurs et danseuses viennent beaucoup du milieu du break et ils ont une très importante culture du free-style. Pour ce travail, je fonctionne à l’instinct. Je mets des musiques et j’essaye le plus possible d’arriver à lâcher prise et à explorer différentes gestuelles. Au fur et à mesure, je sens que je prends de plus en plus confiance. Je suivais aussi des sessions de Mathilde Lin qui proposait des cours d’improvisation avec des consignes toutes simples pour explorer un type de mouvement ou une énergie.
Je n’ai en tout cas pas ressenti de pression. Pour la série, je sais que j’ai le niveau, j’ai continué à travailler le corps bien sûr. Le travail de pointes manque plus, j’attends de pouvoir faire des séances avec un kiné pour renforcer ma cheville, mon point faible. La série Opéra est mon premier vrai projet conséquent sur le jeu d’actrice. C’est très nouveau pour moi. Je n’ai pas eu de formation en jeu, je n’ai pas forcément les clés pour continuer à travailler seule, mais j’ai été bien préparée par une coach avant le début du tournage, sur comment aborder un scénario, aborder un personnage, les questions à se poser pour l’approfondir et l’approprier, aussi pour me rassurer. La peur de ne plus avoir le niveau est là mais elle n’est pas liée au confinement : c’est une peur que je peux avoir parce que c’est nouveau, il faut que je sois au top et que tout fonctionne bien.
Ses conditions matérielles
Je suis à Paris avec mon compagnon, sans trop d’espace et de verdure. Financièrement, j’ai mon intermittence. Je devais renouveler mes droits en mars et tout a été décalé. Mais j’avais mes heures, je n’étais donc pas dans une situation dangereuse. Et si le tournage reprend, je devrais faire mes heures pour l’année prochaine. Je suis assez privilégiée de ce point de vue. Parmi les autres membres de la série, d’autres sont dans des situations plus délicates, mais comme le tournage avait commencé, on peut bénéficier du chômage partiel et être indemnisé sur les cachets que nous devions faire en mars et avril.
La peur de ne plus avoir le niveau est là mais elle n’est pas liée au confinement : c’est une peur que je peux avoir parce que la série Opéra est quelque chose de nouveau, il faut que je sois au top et que tout fonctionne bien.
Son état d’esprit
Comme on ne pouvait pas se projeter, j’ai essayé de profiter au maximum du moment présent. J’ai eu l’impression de retrouver des sensations d’enfance, pendant ces grandes vacances avec tout le temps devant soi et où l’on s’ennuie parfois. Mais je me suis rendu compte que l’ennui est propice à la création. J’ai beaucoup dessiné, j’aime beaucoup ça mais je n’ai pas forcément le temps de m’investir dedans. J’ai dessiné beaucoup de fleurs, de mers, de champs… C’était un moyen de me projeter ! Et comme tout le monde j’ai lu, j’ai cuisiné, j’ai regardé des films, des anciens de François Truffaut que je n’avais jamais vus.
La reprise ?
Le déconfinement ne change pas grand-chose pour moi. Tout est incertain. On ne sait pas quand le tournage de la série Opéra va reprendre et dans quelles conditions. Cela sera peut-être dans le meilleur des cas en août-septembre, avec quelques répétitions avant.
Avec ma compagnie La Marche bleue, on essaye d’organiser une résidence en juin, en Italie, pour se retrouver et danser à nouveau, et chercher de la matière. Mais tout est au conditionnel. Les spectacles sont pour l’instant reportés en septembre-octobre, avec même une date de plus au Trianon. Le spectacle, qui s’appelle Première Ride, est signé Léo Walk. C’est une sorte de voyage entre l’adolescence et l’âge adulte, de l’insouciance à la réalité, avec plusieurs tableaux aux énergies différentes. Le vocabulaire est un mélange de contemporain et de hip hop, et chacun danse selon sa formation et d’où il vient.
C‘est compliqué d’accepter que tout se soit arrêté, qu’il faille attendre, de ne pas savoir quand tout ça va reprendre, et surtout si tout va pouvoir s’organiser correctement. Mais je me trouve privilégié : j’ai des projets qui m’attendent. Mon stress, en ce moment, est surtout de savoir si je pourrais continuer ces deux projets, le tournage et la compagnie : c’est un stress de privilégiée. Pour les prochains mois, j’aimerais aller voir mes parents, qui sont à plus de 100 kilomètres de Paris. Cela fait longtemps que je ne les ai pas vu, et que quand les choses vont reprendre, le rythme va être intense. C’est le moment d’aller les retrouver.