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Paroles de danseuses et danseurs (dé)confinés : Allister Madin, Jeanne Morel et le photographe Julien Benhamou

Depuis le début du confinement, nous laissons régulièrement sur DALP la parole à des danseurs et danseuses qui nous racontent leur quotidien : d’abord leurs journées confinées, puis leur rentrée, petit à petit, quelques projets qui se dessinent et encore beaucoup de questionnements quant à la rentrée. Pour cette dernière, nous laissons la place à Allister Madin, Principal au Royal New Zealand Ballet qui nous raconte la crise de l’autre côté du monde et ce que cela a créé chez lui comme réflexions, la danseuse, actrice et exploratrice Jeanne Morel qui a dansé sur son balcon et les réseaux sociaux pendant le confinement, et le photographe Julien Benhamou, pour qui l’absence de spectacle n’a pas empêché de monter quelques séances photos avec danseurs et danseuses. 

 

Allister Madin – Principal au Royal New Zealand Ballet 

Propos recueillis par Amélie Bertrand

La crise sanitaire en Nouvelle-Zélande

Nous avons été très chanceux en Nouvelle-Zélande, la crise a été très bien gérée et nous n’avons plus aucun cas de Covid sur notre territoire aujourd’hui. Nous avons eu deux mois de confinement, à peu près en même temps qu’en France, alors qu’il n’y avait qu’une centaine de cas. Puis nous avons eu une quinzaine de jours de semi-confinement, où la compagnie a pu retourner en studio en deux groupes, comme nous ne sommes qu’une quarantaine d’artistes dans la troupe. Nous avons ensuite été autorisés à revenir tous ensemble en studio. Aujourd’hui, tout est redevenu comme avant, les restaurants ont rouvert fin mai. Nous dansons sans distanciation et répétons sans interdiction. On parle beaucoup de bulles ici, une bulle qui s’élargit de plus en plus : nous sommes une bulle de 40 danseurs et danseuses, et à l’intérieur de cette bulle, on peut se toucher, etc.

Allister Madin

Son confinement

J’aurais pu revenir en France… mais je ne suis pas sûr que j’aurais pu revenir. L’Opéra de Paris m’a aussi proposé de me réintégrer au début du confinement. J’ai préféré rester en Nouvelle-Zélande. Notre salaire a été maintenu à 100 %, ça a été une chance. J’ai quelques amis aux États-Unis où la question se pose vraiment : ils ne savent pas ce que ça va donner, si les compagnies vont survivre, si eux aussi pourront continuer à danser, c’est terrible. Même à l’Opéra de Paris la situation est instable.

Beaucoup ont voulu être très productif pendant ce confinement et faire plein de choses. Pour ma part, rien que s’en sortir mentalement, c’était déjà pas mal (sourire). Le Royal New Zealand Ballet a mis en place des cours de danse tous les jours et trois cours de renforcement musculaire par semaine. J’ai aussi travaillé avec deux chorégraphes par Zoom pour une soirée mixte, nous n’avons pas chômé. Le ballet Les Liaisons dangereuses prévu en août/septembre a été remplacé par un programme mixte, comprenant Waterbaby Bagatelles de Twyla Tharp et Aurum d’Alice Topp, qui devait à l’origine avoir lieu au printemps. Nous avons eu des répétitions virtuelles pour se rappeler de tout ce que l’on avait déjà vu avant le retour en studio. C’était intéressant et plutôt insolite, mais ça n’a qu’un temps.

Sa reprise

Personnellement, en voyant tout ce qui se passait en Europe, j’ai préféré ne pas retourner dans les studios tout de suite. Alors quand je suis revenu, tout le monde dansait déjà ensemble et c’était un peu bizarre pour moi qui n’avais touché personne pendant deux mois ! On a repris très vite le travail, un peu trop peut-être. Nous sommes payés de 9h à 18h, alors la compagnie voulait utiliser au maximum ce temps, mais ce n’était pas évident pour le corps. Je me suis bien entraîné trois heures par jour tout en ne sortant quasiment pas de chez moi pendant deux mois. Je suis ainsi rentré en forme pour la danse, mais faussement en forme : mon corps n’était pas prêt à être debout pendant huit heures. Les muscles n’étaient pas prêts à supporter cette charge de travail et il y a eu des blessures.

Je suis ainsi rentré en forme pour la danse, mais faussement en forme : mon corps n’était pas prêt à être debout pendant huit heures.

Ses questionnements de confinement

Le confinement est forcément une période de remise en question. Est-ce que j’ai envie de continuer, mais aussi quelle est ma place en tant qu’artiste, danseur, chorégraphe ? Nous nous sommes rendu compte que l’art est aussi indispensable à nos vis, que l’on en a besoin alors que c’est peu valorisé et que ça ne l’est pas plus dans la gestion post-Covid.

Depuis que je suis déconfiné, j’ai aussi été très chamboulé par la vague anti-raciste que je trouve absolument nécessaire. Cela me pose beaucoup de questions. Qu’est-ce que je peux faire à mon niveau et qu’est-ce que je peux faire pour faire réagir l’institution à laquelle j’appartiens ? J’ai eu de grandes discussions avec la direction du Royal New Zealand Ballet sur ce sujet et constaté l’inconfort que provoquent ces conversations. Qu’est-ce qu’on fait face à cette vague anti-raciste ? Dans quelle mesure inclut-on la diversité ? La culture maorie est valorisée en Nouvelle-Zélande, elle est très vivante et fait partie du quotidien, bien plus que la culture aborigène en Australie. Pourtant, il n’y a aucune personne maorie dans la compagnie. Ma directrice est américaine, en tant qu’étrangère, elle ne veut pas prendre position, ce dont je suis en complet désaccord. Mais ce sont des discussions ouvertes entre nous. Je me suis questionné aussi sur l’Opéra de Paris. Nous sommes conditionnés, et je me mets dans le lot, à penser d’une certaine façon, à trouver normal tout un tas de choses qui ne le sont pas, et que je perçois maintenant que je suis loin et que je suis entouré de danseurs et danseuses de diverses nationalités et d’histoire différentes.

Ses projets chorégraphiques

Le Royal New Zealand Ballet a donné à quelques danseurs et danseuses, dont je fais partie, l’opportunité de monter des créations avec la troupe. Je vais faire une pièce avec dix danseurs et danseuses. Qu’est-ce qu’on crée maintenant, par rapport au confinement, par rapport aux mouvements sociétaux ? J’ai envie de me saisir de chaque opportunité qui va se présenter pour faire une différence et évoquer des sujets sensibles. Pendant le confinement, j’ai suivi une formation de Reiki, qui est un travail sur l’énergie. Il y a notamment un symbole de guérison que j’ai transposé sous forme de matériel chorégraphique. Cette pièce est basée sur le contact humain, c’est si particulier quand on embrasse quelqu’un après n’avoir touché personne pendant deux mois. J’avais vraiment envie que le toucher, le contact et la connexion à l’autre soient au centre. J’ai aussi fait un court solo sur l’incapacité à parler et ce de se sentir impuissant par rapport à ce qui se passait. J’ai travaillé sur la parole en utilisant la respiration ou le cri, qui souvent gênent les danseur-se-s, qui ne sont pas habitués à travailler avec. Cela représente l’inconfort que j’ai pu amener par ces discussions sur le racisme ou que nous pouvons avoir en pensant à ces micro-agressions que nous avons pu faire sur d’autres personnes sans le vouloir.

Chorégraphiquement, cela n’a rien à voir avec ce que j’ai pu faire par le passé. C’est comme si j’avais digéré mes différentes influences. Je travaille sur une danse néo-classique contemporaine, avec une recherche chorégraphique dégenrée, où les rôles peuvent être interprétés indifféremment par un homme ou une femme. J’essaye surtout de proposer une chorégraphie humaine !

Qu’est-ce qu’on crée maintenant, par rapport au confinement, par rapport aux mouvements sociétaux ?

Son futur professionnel

Je n’ai pas besoin du confinement pour réfléchir à ma carrière (sourire). En Nouvelle-Zélande, nous avons été tellement préservés que je pense que ça ne va pas changer grand-chose : le public a envie de revenir au théâtre et nous n’avons plus de mesure de distanciation, cela n’oblige pas à repenser une saison. Il y aura bien sûr un impact financier, nous avons annulé une quinzaine de dates au printemps. Il y aura ainsi peut-être plus de reprises que de créations la saison prochaine, peut-être un impact sur le nombre de contrats. Plusieurs compagnies australiennes ne seront pas sur scène avant 2021, cela ne nous impacte pas dans nos dates de spectacles, nous ne tournons pas forcément en Australie. Par contre, plusieurs danseurs et danseuses néo-zélandaises, qui travaillent dans des troupes australiennes, sont revenus chez eux pendant le confinement et vont travailler avec nous à l’automne en attendant que leur compagnie reprenne, tout comme un danseur néo-zélandais du Houston Ballet. C’est bien, ça va nous apporter un peu de sang neuf. Pour ma part, j’attends de voir ce qui va se passer. Comment la programmation du Royal New Zealand Ballet va-t-elle évoluer ? Comment l’Opéra de Paris va revenir ? Ces questions n’ont pas encore de réponse pour l’instant.

 

 

Jeanne Morel – Danseuse, actrice et exploratrice

Propos recueillis par Claudine Colozzi

Ses « danses confinées »

La danse a toujours été présente dans ma vie. L’une des premières questions que je me suis posée lors du début de la crise a été « Comment danser lorsque le monde est arrêté ? ». Et il m’est rapidement apparu encore plus indispensable de continuer de danser quel que ce soit le lieu où je me trouvais. En l‘occurrence, mon appartement parisien. Je suis habituée à danser dans des milieux confinés ou, au contraire, dans de grands espaces sauvages. Avec mon associé et compagnon Paul Marlier, nous créons en milieux extrêmes. Nous travaillons avec des neuro scientifiques et des médecins sur l’impact de la danse et de la création en territoires extrêmes et, notamment, en apesanteur.  A la manière des astronautes avec lesquels je travaille, nous nous retrouvions dans un espace confiné face à un extérieur hostile.

Au début, ces danses étaient destinées à mon père, médecin dans l’Est de la France, au front, dévoué à ses patients. J’avais peur pour lui. Danser l’espoir sur des musiques qu’il aime était un moyen de lui dire que je pensais à lui, lui donner du courage. Il m’a confié que ces moments suspendus lui avaient fait du bien et l’avaient fait voyager. Progressivement, j’ai dansé au-delà de mon cercle familial, pour les voisins, les passants, pour mon voisin Monsieur Hervé, que je ne connaissais pas avant le confinement et qui m’envoie des poèmes d’Eluard qu’il lit en filmant ses fleurs. J’ai dansé pour tous ceux qui attendaient les live sur Instagram et m’ont laissé des mots d’encouragement sur les réseaux sociaux, pour ceux qui ont dansé en retour, pour les enfants qui m’ont envoyé des dessins, pour tous ceux qui m’ont dit qu’ils aimaient ces moments. J’ai dansé quand l’envie de voyager a été la plus forte, pas forcément tous les soirs, mais avec le besoin de tisser de l’espoir entre nos solitudes.

Jeanne Morel

Sa routine quotidienne

Danser a eu, comme toujours, un effet thérapeutique. Ça m’a fait du bien. J’ai donc aussi beaucoup dansé pour moi, je l’avoue. Pour tenir bon, pour lutter contre l’angoisse de l’inconnu. Pour laisser s’exprimer cette danse qui m’a toujours sauvé la vie. Ces parenthèses m’ont également permis de continuer à m’entrainer.  Même si ma danse est très instinctive, elles ont nécessité une certaine préparation ; allant du choix de la musique à la mise en scène, chaque fois dans un nouvel endroit de l’appartement. Même si le balcon s’est vite imposé. Puis il y avait le temps du montage et de la restitution de ce message, pour tous.

Son état d’esprit

Le confinement a révélé la créativité de chacun d’entre nous. J’ai découvert parmi mes proches des artistes que je n’avais pas vu naître, les réseaux sociaux sont devenus un tissu de petites expositions, un réel endroit d’expression. Je trouve cela extrêmement positif. Le plus touchant, ce sont les gens qui m’ont avoué qu’ils pensaient ne pas aimer la danse. Cet art a parfois une réputation élitiste qui a volé en éclats. Je crois qu’il faut rendre la danse accessible au plus grand nombre et il est vrai que j’ai été heureuse de pouvoir emmener, un petit peu, la danse sur les  médias nationaux. C’est un beau cadeau que ces petites danses de balcon puissent donner un peu matière à rêver, au milieu de ce monde incertain, en plein bouleversement.

Ses projets

Continuer ! Au nom de cette solidarité incroyable qui a jailli durant cette période. Danser autrement, danser pour donner, pour accompagner, toujours hors des sentiers battus. Notre premier acte artistique fort post confinement a été « La Lettre à la Terre » que nous avons envoyée le 5 juin à l’occasion de la journée mondiale de l’environnement. Un film de danse réalisé par Paul Marlier, tourné dans des territoires majestueux qui inspirent le respect et nous renvoient à notre place d’êtres humains. Avec Paul, notre travail tend à sensibiliser et célébrer la beauté et la fragilité de notre planète, de son souffle, de ses océans… Une manière artistique d’éveiller les consciences, écologiques et sociales.

De cette crise sanitaire est sorti quelque chose d’essentiel : plus que jamais, nous avons besoin d’art.

Sa vision des prochains mois

Beaucoup d’espoir est né de ce moment suspendu. Et j’entretiens aujourd’hui cet espoir à travers différents projets artistiques : un livre, une exposition avec de nouveaux artistes avec lesquels j’ai commencé à travaillé pendant de confinement. Durant cette période, de nouveaux contacts se sont tissés, des liens forts pour témoigner d’une époque où l’on a cru voir le monde changer. Une époque qu’on ne doit pas oublier. De cette crise sanitaire est sorti quelque chose d’essentiel : plus que jamais, nous avons besoin d’art. Parce que c’est la nourriture de l’âme et qu’il nous donne accès à d’autres mondes, d’autres possibles. Chacun à notre manière nous avons ressenti ce goût pour l’art, un art dépourvu de compétition et de monétisation. J’ai vraiment pris conscience de ce pouvoir qu’a la danse. Un pouvoir d’accompagnement. Un pouvoir de guérison, peut-être.

 

 

Julien Benhamou – Photographe de danse

Propos recueillis par Amélie Bertrand

La reprise des séances photos

J’ai repris mon activité dès le 10 mai avec la réouverture des studios. J’avais plusieurs choses en attente, comme des prises de vous pour des magazines. Et j’avais très envie de reprendre le travail, j’ai mis pas mal de séance photos en place. Nous mettons des masques pour la préparation, mais je travaille comme d’habitude pendant les photos. J’ai ainsi fait une prise de vue avec François Alu, il avait besoin de matières photographiques pour plusieurs parutions presse. On a fait quelques portraits en studio, comme il est aujourd’hui, avec son nouveau look. Je suis resté proche de lui pendant le confinement, par la cagnotte que nous avons monté avec lui, Paul Marque et Francesco Mura, qui a rapporté 7.000 euros à la Croix-Rouge.

Les séances photos du confinement

Pour casser la routine du confinement, j’ai voulu faire une séance photo ludique avec Paul Marque, en extérieur, devant les grands monuments de Paris comme la Tour Eiffel. Et contrairement à ce que l’on pourrait croire en voyant la photo, il y avait un peu de monde, mais c’était agréable de pouvoir conduire dans Paris sans bouchon ! Cela donne des photos un peu cartes postales, un peu plus anecdotiques artistiquement parlant, mais qui m’amusent et qui restent agréables à faire. J’ai retrouvé Paul Marque en forme physiquement. Plus généralement, j’ai trouvé que les danseurs, après ce confinement, avaient une réflexion encore plus approfondie sur leur métier, sur leur positionnement en tant qu’artiste. C’est parfois bien de prendre un peu de recul. Les danseurs n’ont en général pas le temps de s’arrêter pour penser à leur carrière et à ce qu’ils veulent faire alors que ce sont des artistes sensibles. J’ai aussi fait une séance photos avec Axel Magliano, avec qui j’avais déjà travaillé il y a quelque temps. Je suis allé en banlieue parisienne, chez lui, dans un champ. J’ai emmené un fumigène rouge, j’aime travailler avec des accessoires qui donnent des résultats aléatoires.

Son confinement et l’évolution de son travail

J’ai vraiment fait une pause dans mon travail et me suis beaucoup occupé de ma fille. Le confinement a été une période agréable pour moi, j’ai apprécié ralentir un peu le rythme. J’ai rangé mes archives, regardé ce que je faisais il y a cinq ou six ans, constaté l’évolution de mon travail. Je trouve que ma démarche est plus radicale maintenant. J’ai eu aussi beaucoup de tendresse à retomber sur d’anciennes photos d’Eve Grinsztajn ou Mathilde Froustey d’il y a quelques années. Je suis resté fidèle avec certains. Mickaël Lafon, François Alu… il y a des gens comme ça qui restent dans mon travail depuis des années, c’est quelque chose dont je suis assez fier. Le point commun de toutes ces danseuses et danseurs ? Leur intelligence : ils réfléchissent à leur place en tant qu’artiste, ils ont une grande humilité et belles qualités artistiques qui me touchent. J’aime travailler avec eux, aussi passer du temps avec eux.

 

 
 
 
 
 
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Jumping in Paris 📸 @benhamoujulien1 😜

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Sa situation professionnelle

Pour les photographes, certains ont eu 1.500 euros d’aide selon des seuils de revenus. Je n’ai rien eu pour ma part, mais des paiements d’anciennes commandes sont tombés au printemps. Je ne sais pas ce qui va se passer pour les productions des théâtres la saison prochaine, je n’ai pas de visibilité, alors que mon travail est d’habitude rythmé par les saisons des théâtres. Le spectacle, c’est mon inspiration première. Si cela doit devenir compliqué, je m’adapterais, je me tournerai plus vers le studio. J’ai d’autres projets, je ne suis donc pas acculé financièrement. Je reste serein, cela me laisse aussi plus de temps pour réfléchir.

Ses envies pour la suite

Pour moi, l’importance du lieu est primordiale. J’aime choisir des lieux qui sont graphiquement intéressants. Je travaille en ce moment pour trouver de nouveaux lieux. J’aime avoir du contraste : soit un lieu très chargé avec des dorures, des boiseries, un théâtre à l’italienne, soit quelque chose de très brut, comme une friche. Si les lecteurs et lectrices de DALP ont des plans, je suis preneur !

 




 

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