Rencontre avec Laurent Choukroun pour IDanceMusic, plateforme de streaming de musiques de cours de danse
Chef de chant et pianiste à l’École de Danse de l’Opéra de Paris, Laurent Choukroun a lancé en juillet dernier IDanceMusic, plateforme et application regroupant de multiples musiques de cours de danse en streaming. Un outil idéal pour les professeur.e.s de danse, pour préparer leur cours avec un vaste choix de musiciens et musiciennes. Mais aussi pour les danseurs et danseuses professionnelles, amateurs et élèves, pour danser et travailler chez soi, d’autant plus que le confinement oblige aux cours à domicile. Que peut-on retrouver sur IDanceMusic ? Et plus généralement qu’est-ce qui fait un vrai musicien.ne de cours de danse ? Laurent Choukroun nous en dit plus sur une application que l’on a beaucoup aimé chez DALP.
À l’heure où le streaming est dominé par des multinationales comme Deezer ou Spotify, comment est venue l’idée de monter IDanceMusic, une plateforme indépendante et spécialisée ?
Depuis 2001, je vends mes CDs, 30 à ce jour, de musiques de cours de danse. Mais depuis 4-5 ans, on me demandait de plus en plus souvent de pouvoir télécharger ma musique ou de l’utiliser en streaming, beaucoup de professeur.e.s de danse travaillant avec leur téléphone ou leur ordinateur. J’ai d’abord essayé de faire du téléchargement ou du streaming sur mon propre site web. Puis j’ai fait un essai sur les grosses plateformes de streamings en y mettant deux anciens albums. J’ai eu la surprise d’avoir tout de suite des résultats encourageants, avec 7.000 écoutes par jour un peu partout dans le monde. À la fin du mois, cela fait beaucoup d’écoutes, mais je n’arrivais pourtant qu’à toucher 1.200 euros toutes plateformes confondues. Je me suis rendu compte qu’il y avait bien trop d’intermédiaires. Il y a deux ans, j’ai donc eu l’idée de monter ma propre plateforme de musiques de cours de danse. L’idée était plutôt, au départ, de rendre ma musique plus accessible techniquement aux professeur.e.s de danse, qu’ils puissent travailler correctement et trouver facilement ce dont ils avaient besoin. Puis petit à petit, l’idée est venue d’ouvrir la plateforme à d’autres musiciens et musiciennes de cours de danse.
Que contient aujourd’hui IDanceMusic ?
Au lancement de la plateforme, j’ai appelé tous les musiciens et musiciennes que je connaissais. Le bouche-à-oreille a fonctionné et nous avons aujourd’hui plus de 30 pianistes et musiciens pour des cours de danse classique, contemporaine, de caractère ou de barre au sol. Chacun.e a mis en ligne plusieurs CDs, ce qui donne un très vaste choix pour les professeur.e.s de danse. On peut rechercher ce que l’on veut par musicien.ne.s, par niveau (débutant, avancés, etc.), par moments de cours (barre et milieu), par type d’exercice… Un.e professeur.e peut ainsi écouter toutes les musiques des pliés et choisir sa préférence selon ce qu’il.elle veut. Il peut faire des recherches plus précises, comme « un dégagé en trois temps ». Cela lui donne un immense choix. Et c’est intéressant d’avoir des styles, des compositeurs et compositrices, des couleurs différentes pendant un cours de danse, selon la sensibilité de chacun.
On y retrouve des musicien.ne.s que l’on connaît déjà, qui jouent pour l’École de Danse de l’Opéra de Paris ou le CNSMDP, comme vous-même, Gaëlle Sadaune, Sylvain Durand ou Deborah Shannon. Mais lesquels pourrons-nous découvrir ?
Je pense à Elena Baliakhova, une pianiste russe qui a une sensibilité et une subtilité magnifique, à Nolwenn Collet qui travaille en Irlande. J’aime beaucoup Kim So Hyu’n qui vient de Corée et qui a une grande sensibilité, ça respire avec elle ! On ressent ce fil intérieur qui va permettre de se repousser du sol. Ray Lindsey aussi, qui vient des États-Unis, et qui propose de bons CDs pour les cours pour enfants, notamment avec les chansons de Disney.
Pour la rémunération, combien touchent les musiciens et musiciennes sur IDanceMusic ?
Le prix de l’écoute est défini par rapport au nombre d’abonné.e.s et au minutage de l’écoute. Par rapport aux autres plateformes de streaming, les musicien.ne.s sur IDanceMusic touchent trois fois plus.
Comment sélectionnez-vous les musiciens et musiciennes présentes sur IDanceMusic ?
Le but est d’avoir de la qualité plutôt que de la quantité. Soit j’écoute quelque chose, soit les musicien.ne.s viennent à moi. Cela peut me plaire ou non, je ne fais pas une sélection selon ma sensibilité et ma subjectivité, mais il faut qu’ils proposent les éléments nécessaires pour qu’un cours de danse puisse se dérouler dans de bonnes conditions. J’écoute ainsi la qualité du jeu pianistique, la qualité d’écoute, la compréhension du mouvement : on doit voir le mouvement en écoutant la musique. J’insiste beaucoup sur cette notion quand je forme des pianistes. On entend ainsi le dégagé, le rond de jambe, etc. Un mouvement s’écoute, une musique se regarde. Si on a compris ça, on y arrive, sinon ça ne marche pas. J’écoute aussi la générosité, la sensibilité, éventuellement l’originalité. Mais la danse a des contraintes précises, on ne peut pas faire n’importe quoi.
Un mouvement s’écoute, une musique se regarde.
En quoi la musique est-elle si importante pour un bon cours de danse ?
Un danseur peut rester aérien ou rester plombé rien que par la musique. Beaucoup de professeur.e.s disent : « Je voudrais un deux temps, un trois temps », mais ça ne veut rien dire. Un deux temps pour faire quoi ? Choisir un rythme binaire ou ternaire doit avoir un sens. Pour les sauts par exemple, une musique en deux temps va donner une précision au niveau du pied au sol, un trois temps va donner une élévation, un 6/8 va donner un rebond à la façon Cecchetti. Tout est précis. D’ailleurs pour moi, la meilleure indication d’un.e professeur.e. de danse… c’est quand il n’y en a pas.
Comment travaille un.e musicien.ne de cours de danse alors ?
Le.la professeur.e de danse montre son exercice aux élèves puis laisse faire le.la musicien.ne. Chacun son métier. De mon côté, je vais proposer la musique que j’ai comprise de l’exercice demandé. Et si je ne sais pas où il.elle veut aller, je vais lui demander ce qu’il.elle veut travailler. Un cours de danse, pour moi, c’est un triangle : le.la professeur.e montre son pas aux élèves et au musicien.ne. Puis on retourne le triangle : le.la musicien.ne retransmet ce qu’il.elle a vu et compris au.à la professeur.e et aux élèves.
Qu’est-ce qui fait un.e bon.ne musicien.ne de cours de danse ?
D’abord, on fait ce métier parce que l’on aime la danse. Mais au-delà, le.la musicien.ne doit avoir une parfaite connaissance du métier de danseur. Il ne faut pas savoir danser mais il faut connaître chaque pas et les besoins musculaires de chaque pas. Quand je forme mes élèves pianistes, on travaille ainsi les pas avec les mains, comme les jeunes danseur.se.s, en marquant bien les tensions et appuis. Comment travaille la jambe de terre ? C’est quelque chose que l’on doit entendre dans la musique. L’appui de la jambe de terre prend l’énergie dans le sol pour se repousser, cela peut se faire dans la musique avec une note medium/grave qui va avoir une résonance.
On trouve aussi sur IDanceMusic les documentaires de Dominique Delouche. Pourquoi ce choix ?
J’avais tourné dans certains de ses films et je les aime beaucoup. Et j’ai fait ce métier parce que j’ai un jour rencontré Yvette Chauviré. Je travaillais au Capitole en tant que chef de chant lyrique et elle est venue remonter Les deux pigeons. Nous avons ensuite beaucoup travaillé ensemble. Mon parcours s’est fait avec des gens très riches : Violette Verdy, Boris Akimov, Serge Peretti. Comme tous les anciens, ce dernier était très dur mais professionnel, on n’avait pas le droit à l’erreur, la musicalité était obligatoire. Mais il avait beaucoup d’humour aussi ! On retrouve aussi dans ces films de Dominique Delouche Pietro Galli, le plus grand musicien de danse pour moi, il a été le premier à comprendre l’importance de l’interprétation du mouvement dansé.
Comment va évoluer IDanceMusic ? Que va-t-on pouvoir y trouver par la suite ?
Nous allons bientôt avoir Lynn Stanford, le musicien de tous les studios new-yorkais des années 1950 à 2000, décédé maintenant. Nous allons aussi développer la partie Danse contemporaine, qui contient déjà des musiques très sympas, une rubrique pour la danse de caractère et pour les taps dances (claquettes, danse irlandaise). La plateforme ne doit pas être que classique. Je vais aussi rajouter des musiques de variations. On peut aujourd’hui trouver sur IDanceMusic 12 musiques de variation, en entier et découpées en plusieurs parties pour les travailler, toutes enregistrées avec Élisabeth Platel qui m’a donné les tempi. Mais j’en ai une quinzaine d’autres en réserve.
J’aimerais aussi rajouter des vidéos de spectacles, des séances de travail, pourquoi pas des podcasts sur le chausson, sur le travail de pointe. J’espère que l’on pourra faire découvrir de jeunes musiciens et musiciennes qui ont envie de présenter leur musique aux danseurs et danseuses, mais aussi aux chorégraphes à la recherche de nouvelles musiques.
IDanceMusic – Formule d’abonnement à 8,99 euros/mois, 6,99/mois pour les mois de 20 ans.
Code promo DALP : DALP-ID