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Kader Attou : « Le lien avec le public a été abîmé. Nous, artistes, avons envie de redonner de l’espoir au public »

Kader Attou tourne toute cette saison avec sa nouvelle création, Les Autres. Une pièce hip hop pour six danseurs et danseuses… un Cristal Baschet et un thérémine, deux instruments de musique aussi étranges que poétiques, qui donnent le ton de l’ambiance du spectacle. Cette pièce est aussi l’occasion pour le chorégraphe de renouer avec le public après ces longs mois d’arrêt. Tout comme de clôturer ses 13 ans à la tête du CCN de La Rochelle. En 2008, quand il y fut nommé, il était le tout premier chorégraphe hip hop à ce poste. À l’occasion de la première de Les Autres, DALP a pu rencontrer Kader Attou, pour parler de cette pièce qui séduit par sa poésie sombre, aussi pour évoquer cette reprise particulière ou son mandat qui se termine à La Rochelle. 

Kader Attou

Les Autres a été créée le 29 septembre, après 18 mois de pandémie et de théâtres fermés. Comment cette création a-t-elle été influencée par la crise ?

Contrairement à d’autres créations, Les Autres n’a pas été décalée : sa création a toujours été prévue pour cette rentrée 2021. Mais elle a été impactée d’une autre manière. Cette période a été terrible, ça a été un coup fatal pour l’art. Ça a été compliqué pour moi, je pense avoir fait une semi-dépression. Du jour au lendemain, tout s’arrête alors que notre vie est d’être sur le plateau. Cette crise a forcément nourri mon état de chorégraphe, qui est retranscrit d’une certaine manière dans le spectacle.

 

Pour parler de cette pièce, vous évoquez un « espace-temps poétique où l’extraordinaire se substitue à l’ordinaire« . L’art est là pour que le public s’évade ?

Ce spectacle, c’est une sorte de pied de nez à tout ce qui nous tire vers le bas. Le spectacle vivant est là pour bousculer, provoquer, faire voyager le public.

Les Autres de Kader Attou

Et comment retrouvez-vous le public après ces longs mois de fermeture ?

Albert Camus disait : « L’artiste se forge dans cet aller-retour perpétuel de lui aux autres« . Nous, artistes, n’existons que par le public, et vice-versa. Mais avec la crise, nous avons été coupés de ce lien et ça a été violent. Aujourd’hui les théâtres rouvrent mais avec des séquelles : un tiers du public ne vient plus. Peut-être parce qu’il n’est pas vacciné. Mais il y a autre chose, cette crise a laissé des traces et ce lien avec le public a été plus abîmé qu’on ne le croit. Alors nous, artistes, nous avons envie de redonner de l’espoir au public, de reconnecter ce lien. Les choses ne seront plus jamais comme avant, je ne sais pas comment elles seront mais il y aura un après-Covid.

 

Quel est le point de départ de Les Autres ?

Je suis partie de deux musiciens jouant d’instruments rares : Loup Barrow qui joue du Cristal Baschet et Grégoire Blanc qui joue du thérémine. Le premier est extraordinaire visuellement et a un son incroyable, un peu comme le thérémine où le corps de l’instrumentiste devient l’archet. Cet instrument devait servir à calculer les ondes, il a été transformé en instrument de musique par hasard. Ma rencontre avec ces deux musiciens est la genèse du spectacle. J’ai aimé ce côté étrange et soudainement très poétique de ces instruments. D’où est venue l’idée de base : l’étrange poétique. J’ai exploré, plein d’images me sont arrivées. J’ai essayé de chercher la poésie là où elle se trouve, y compris dans l’obscurité ou la noirceur. Il y a aussi quelque chose de beau dans ces zones-là si on y est sensible.

Pour la danse, il y a sur scène deux danseuses venant plutôt de la danse contemporaine et quatre danseurs plutôt du hip hop, et tout ça se mélange. Mais ils sont d’abord des artistes-interprètes au service d’un chorégraphe, qui a sa vision. Comme à chaque fois, je suis parti de ce que sont les danseurs et danseuses, comment ils répondent à mes exigences de chorégraphe. Et j’ai essayé de dessiner les contours d’un univers à la fois beau et étrange.

 

Le 31 décembre, vous quitterez le CCN de La Rochelle que vous avez dirigé pendant 13 ans. Quel bilan en tirez-vous ?

J’ai porté haut et fort le projet sur lequel j’ai été choisi, qui reposait sur trois socles : la rencontre, l’échange et le partage. Ces trois notions ont trouvé leur force et leur place. Ce CCN est l’un des quatre sur les 19 à avoir le mieux marché, il fonctionne à 200 %, les compagnies ont été accompagnées de manière haute et forte. La diversité chorégraphique était là, avec un point sur le hip hop forcément, mais aussi sur l’action sur le territoire ou la création Festival Shake. Il y a eu tellement de choses faites en 13 ans de manière extraordinaire ! Je ne peux pas retenir qu’une compagnie accompagnée ou qu’une programmation. Mon plus beau retour, ce sont les gens qui m’interpellent dans les rues de La Rochelle, qui nous remercient pour tout ce que nous avons apporté en 13 ans. Le public était là et on a vibré ensemble.

Les Autres de Kader Attou

Et qu’est-ce que vous auriez voulu accomplir que vous n’avez pas pu ?

J’aurais aimé porter une grande parade rue, un défilé chorégraphique. Le Festival Shake était un bon vecteur pour développer ce projet mais ça ne s’est pas fait. J’aurais aussi aimé plus développer ce festival qui commençait vraiment à se déployer sur le territoire. La cinquième édition a été annulée par le Covid, je ne sais pas ce que ma successeure Olivia Grandville compte faire. Je trouve dommage de ne pas avoir été associé au choix de la personne qui allait me succéder. Mais laissons-lui le temps d’arriver avec le projet sur lequel elle a été choisie.

 

En 2008, vous êtes le premier chorégraphe hip hop à prendre la tête d’un CCN. Comment avez-vous vu évoluer cette danse au fil de ces 13 ans ?

Le hip hop a évolué de manière extraordinaire ! Cette danse ne cessera de me surprendre, à la fois dans son inventivité, dans ses défis, dans sa manière de créer de nouvelles choses, on a ainsi vu l’arrivée du krump il y a 10 ans. Nous avons une histoire extrêmement jeune, dans les années 1990 on ne nous laissait pas rentrer dans les théâtres. Mais nous avons travaillé, relevé le défi, fait en sorte que le hip hop soit reconnu comme une danse à part entière. Et on a porté au plus haut les couleurs de la France à l’étranger. Cette forte culture de la danse est une spécificité française, qui n’existe pas ailleurs. Et quand nous dansons ailleurs, je suis fier de me dire que mes spectacles représentent la culture française.

Les Autres de Kader Attou

Le 1er janvier prochain vous quittez le CCN La Rochelle. Vers quoi voulez-vous aller ?

Pour moi, le cœur de mon travail est aujourd’hui la création et mes spectacles tournent toujours. Je suis en train d‘implanter la compagnie dans les Bouches-du-Rhône. J’aimerais ensuite, peut-être, porter une programmation pour un théâtre, tout en continuant mon travail d’artiste. J’aime créer une saison et mettre en lumière les talents qui émergent. Ce sont les chorégraphes de demain qui m’intéressent.

 

Les Autres de Kader Attou – À voir en tournée : le 12 octobre au Théâtres en Dracénie de Draguignan, le  14 octobre au Théâtre La Colonne de Miramas, les  3, 4 et 5 décembre au Théâtre Les Gémeaux de Sceaux, les 9, 10 et 11 juin à La Villette… 

 

 



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