Cinquième Biennale d’Art Flamenco – Rencontre avec Jann Gallois et David Coria pour Imperfecto
La cinquième Biennale d’art flamenco s’est ouverte au Théâtre national de la Danse de Chaillot. Deux semaines qui mêlent différentes tendances et couleurs de cet art multiple avec la volonté de son créateur, Didier Deschamps, de provoquer des rencontres propres à mélanger les styles. Pour cette édition 2022, Jann Gallois venue du hip hop et David Coria, dont on avait découvert le puissant spectacle Fandango! il y a deux ans, ont entremêlé leurs univers et présentent dans la grande salle Jean Vilar Imperfecto du 11 au 13 février. DALP a interrompu quelques minutes leur travail au Centre Chorégraphique National de Belfort. Jann Gallois et David Coria nous racontent leur rencontre et comment ils ont conçu cette collaboration, mélangeant leurs savoir-faire et leurs styles.
Comment vous êtes-vous rencontrés, vous qui évoluez dans deux planètes stylistiques différentes ?
Jann Gallois : C’est l’ancien directeur du Théâtre National de la Danse Chaillot qui nous a rapprochés. Didier Deschamps souhaitait que l’on puisse croiser deux univers et voir si l’on pouvait imaginer créer une pièce ensemble pour la Biennale. Nous nous sommes rencontrés durant la pandémie alors que les théâtres ne jouaient plus que pour un événement Tik-tok en décembre 2020. Nous faisions chacun une performance. Nous avons fait connaissance avec David Coria et ça a très vite fonctionné entre nous.
David Coria : Je dois ajouter que Daniela Lazary, qui est co-programmatrice de la Biennale, m’avait incité à discuter avec Didier Deschamps. J’avais très envie de me confronter à un autre style de danse.
Est-ce que cela a pris du temps pour sentir que cette rencontre pouvait être féconde ?
D.C. : J’ai très vite ressenti une connexion avec Jann, ce fut très rapide. Nous avions une manière commune de ressentir les choses. Et à partir du moment où cette sensation existe, peu importe que nous ayons des langages différents, je savais que nous pourrions collaborer ensemble.
On a trouvé plein de dénominateurs communs qui nous ont servis comme point de départ pour ensuite aller ailleurs.
Etiez-vous familiers de l’univers de l’autre?
J.G : Honnêtement non. J’ai vu le travail de Rocío Molina ou d’Israel Galván. Mais c’est en travaillant avec David que j’ai compris toute la richesse qu’il y a à l’intérieur du flamenco et la collaboration avec les musiciens qui est passionnante. J’ai pu goûter ce monde qui est chargé d’une histoire, d’une technique, d’une rigueur traditionnelle. Nous en parlons souvent avec David : comment ne pas entacher cette tradition du flamenco, mais au contraire l’amener dans un autre endroit tout en la respectant. Et c’est intéressant de réfléchir à deux à ces notions-là, comment mon univers peut se marier avec cette technique. Il s’est avéré que, très vite, on a trouvé les points communs, ou plus exactement des dénominateurs communs en terme de qualité de mouvement qui sont pour moi issus de la danse hip hop. En terme aussi de puissance énergétique, la façon d’emmagasiner une énergie et de la projeter de manière assez explosive, ce qui est aussi spécifique au flamenco : la complexité et la rigueur du rythme. Et cela résonne aussi avec un travail que je développe depuis quelque temps avec des instruments parce que je suis également percussionniste. On a ainsi trouvé plein de ces dénominateurs communs qui nous ont servis comme point de départ pour ensuite aller ailleurs
D.C. : J’avais vu quelques spectacles de hip hop mais très peu.
Comment avez-vous lancé ce travail ? Aviez-vous un thème en tête ?
D.C. : Nous avons commencé tout d’abord dans le studio durant une semaine. C’était le moyen d’apprendre à se connaître, à apprivoiser nos corps respectifs et commencer à réfléchir en commun sur ce que nous avions envie de faire.
J.C. : C’était un premier travail de laboratoire. Après cela, nous avons été très vite d’accord pour traiter la même thématique autour de la fragilité, de l’imperfection qui existe au sein de chaque être humain. Ce fut un peu comme une évidence de ne pas montrer deux personnalités puissantes avec leurs bagages, sûres d’elles. On voulait aller vers ce que peut-être les gens attendent le moins et se mettre presque à nu, exprimer nos peurs, nos défauts et ne pas avoir peur de les montrer pour justement désacraliser les attentes.
Est-ce que la pandémie a influé sur votre travail ? Est-ce que ce contexte si particulier vous a affecté car il y a toujours cette menace que le rideau ne s’ouvre pas ?
D.C. : Oui, c’est difficile et on a toujours peur. On est obligé d’en tenir compte dans notre manière de travailler.
J.G : Pour tout le monde, on est obligé de réinventer nos façons de faire car il faut en permanence surfer avec les aléas du quotidien, les cas contact qui n’en finissent pas et qui obligent à reporter les résidences. Il faut faire des répétitions en « visio » ce qui paraissait impensable. Mais finalement, on trouve tout de même des moyens d’avancer. Je pense que cette thématique d’imperfection et le désir d’en parler avec légèreté n’est pas venue par hasard : s’il n’y avait pas eu ce contexte de Covid, nous n’aurions peut-être pas eu cette idée de nous jeter un peu dans le vide. Nous aurions sans doute choisi un terrain plus sûr, plus coup de poing. Je crois que David et moi, nous avons eu envie d’aller vers cela, de comprendre que toutes ces imperfections donnent naissance à de la beauté. On arrive à persévérer dans une forme de joie malgré les difficultés et les défauts. On parle beaucoup de la mort aussi. Mais le but, c’est de montrer ce qui rend l’instant présent joyeux.
Avant d’être montrés dans des théâtres, le flamenco comme plus récemment le hip hop, sont issus de traditions populaires au sens propre du terme avec un contact direct avec le public. N’est-ce pas aussi un point de rencontre dans votre travail?
D.C. : Pour moi, ce qui compte, c’est de quoi on parle, le message que tu veux transmettre. Mais la forme du mouvement n’a pas d’importance. L’intention et la force que l’on met dans la communication sont bien plus importantes que la forme.
On voulait aller vers ce que peut-être les gens attendent le moins et se mettre presque à nu, exprimer nos peurs, nos défauts et ne pas avoir peur de les montrer pour justement désacraliser les attentes.
Se pose aussi la question de la musique dans votre collaboration. Comment avez-vous décidé de choisir un univers sonore ?
J.G. : Il était important de ne pas se limiter à un seul style et nous avons eu la chance de travailler avec un trio de musiciens : David Lagos qui est chanteur, le pianiste Alexandre Rojas qui travaille d’une manière très ouverte et le percussionniste Daniel Suarez. On a donc choisi un panel de trois musiciens qui pouvaient refléter l’union de nos deux univers. Le mien est très électro dans toutes les créations que j’ai pu faire. Je n’avais pas nécessairement besoin de conserver ce timbre pour cette pièce mais avoir des percussions et un instrument acoustique – le piano – me parlaient énormément. On est en fait dans un voyage entre nos deux mondes.
D.C. : Je crois que le flamenco et la musique flamenca ont toujours été très ouverts aux influences extérieures. Le flamenco, à mon avis, possède un tel caractère d’authenticité qu’il peut cohabiter avec de nombreux styles. David Lagos dit toujours : une personne qui chante de l’opéra peut chanter une chanson de flamenco mais ce ne sera jamais du flamenco. Mais un chanteur flamenco peut chanter quelque chanson que ce soit, très éloignée du flamenco, ce sera tout de même du flamenco car cet art a une technique tellement particulière et un tel cadre émotionnel qu’il peut incorporer d’autres types de disciplines ou de styles. Je crois que, dans ce spectacle que nous construisons avec Jann, on ne pourra pas dire : cette partie-là, c’est flamenco, celle-là c’est électro. C’est une nouvelle façon de faire cohabiter le flamenco avec d’autres styles musicaux.
Imperfecto de David Coria et Jann Gallois, à voir du 11 au 13 février au Théâtre National de la Danse Chaillot, dans le cadre de la Cinquième Biennale d’Art Flamenco.
La Biennale d’Art Flamenco continue jusqu’au 18 février. À voir aussi : Humano, performance de David Coria, dans le Foyer de la Danse du 16 au 18 février.