[Les Étés de la Danse 2016] Rencontre avec Sara Mearns, Principal flamboyante du New York City Ballet
En 2006, Sara Mearns a 19 ans et est encore dans le corps de ballet du New York City Ballet. Peter Martins, le maître de ballet en chef de la compagnie, la choisit néanmoins pour danser dans sa version du Lac des Cygnes. Succès immédiat qui propulse sa carrière et lui faire griller les étapes dans la hiérarchie de la compagnie. Deux ans plus tard, Sara Mearns est nommée Principal. Danseuse lyrique, passionnée, elle est la muse de tous les chorégraphes qui viennent collaborer au NYCB. À Paris aux Étés de la Danse, elle danse dans pas moins de sept ballets de George Balanchine, mais aussi dans le Barber Violin Concerto de Peter Martins et dans le sublime Tableau d’une exposition d‘Alexeï Ratmansky. Avant de s’envoler pour Paris et entre deux répétitions, Sara Mearns a confié à Danses avec la plume comment elle abordait cette nouvelle tournée parisienne.
La dernière fois que le NYCB est venu à Paris, c’était en septembre 2008 et vous veniez tout juste d’être nommée Principal. Vous revenez à Paris pour une tournée de presque trois semaines au Théâtre du Châtelet. Comment vivez -vous ce retour dans la capitale française ?
Oh ! Je suis ravie et très excitée à l’idée de retourner à Paris et d’ailleurs, toute la compagnie est dans cet état d’esprit. La dernière tournée avait été incroyable. Je crois que j’avais dansé à peu près dans toutes les représentations. C’était une tournée très dure physiquement pour moi mais je dois dire que j’avais adoré danser à l’Opéra Bastille. C’est une de mes salles préférées dans le monde, c’est immense et on se sent tellement libre de danser sur cette scène. Ce fut vraiment une expérience magnifique pour moi. Cette fois-ci, nous dansons au Châtelet que je ne connais pas mais Robert Fairchild y a dansé plusieurs semaines lors de la création d’Un Américain à Paris et je sais que c’est une salle superbe.
Qu’est-ce qui est différent pour vous et pour la compagnie lorsque vous dansez à l’étranger, devant un autre public qui est moins familier de votre répertoire et de la troupe ?
Tout d’abord, la programmation est un peu différente lorsque nous sommes à l’étranger. Nous proposons le meilleur de George Balanchine, c’est donc particulièrement dur pour moi physiquement car c’est justement le cœur de mon répertoire. Mais ce sont aussi le plus souvent mes ballets favoris, ce qui me procure une joie immense. J’aime savoir que je vais être très occupée et que je vais beaucoup danser. Pour ce qui est du public, vous ne savez jamais à l’avance s’il va aimer ou pas ce que vous lui montrez. Il y a toujours un moment de doute mais nous avons toujours eu des publics formidables, où que nous allions. En particulier à Paris, avec des salves d’applaudissements et de bravos. Et là, vous éprouvez vraiment une immense satisfaction, plus encore peut-être encore qu’à New York, parce que nous sommes ailleurs, dans un autre théâtre, un autre environnement.
J’imagine que l’ambiance est aussi différente au sein de la compagnie durant ces tournées car vous êtes ensemble du matin au soir et du soir au matin ?
Oui ! En tournée, nous développons une proximité et une forme d’intimité, même si cela sera un peu différent cette fois-ci car certain.e.s danseur.se.s ont préféré prendre des chambres chez l’habitant. Mais nous partageons tout, de la classe au diner. C’est une autre ambiance, très agréable.
Vous allez danser sept ballets de George Balanchine lors de la tournée aux Étés de la Danse. Est-ce que vous vous considérez comme une danseuse balanchinienne ? Est-ce que c’est dans votre ADN de danseuse ?
Absolument ! Quand vous apprenez ces ballets et qu’en même temps vous entendez la musique qui vient de l’orchestre, tous les pas font sens et viennent naturellement. Vous vous sentez bien dans votre corps même si c’est très difficile techniquement. Et franchement, on ne peut comparer George Balanchine à rien d’autre, à aucune autre forme de danse ou de chorégraphies. Il y a évidemment d’excellents chorégraphes qui créent des pièces superbes mais pour moi, George Balanchine, c’est la suprématie absolue dans le ballet.
Quels sont les ballets de George Balanchine que vous préférez parmi les pièces que vous allez danser à Paris ?
Mozartiana, c’est pour moi comme le paradis ! Walpurgisnacht Ballet est aussi un de mes favoris car c’est l’un des tout premiers que j’ai dansé comme soliste, et cela fait dix ans que je le danse. C’est un peu comme une définition de ma manière de danser : large, explosive, dramatique… Symphony in C évidemment. Quand vous arrivez au final qui est si brillant, vous sentez le public qui est prêt à applaudir à tout rompre. À ce moment-là, vous vous dites : « Il n’y a vraiment rien de mieux que cela !« .
Vous venez de terminer la saison de printemps du NYCB. Ce sont six semaines avec huit représentations par semaine. C’est un rythme insensé d’autant que vous êtes distribuée dans de très nombreuses pièces. Comment se passent ces moments très intenses ?
Il n’y a plus de vie en dehors. Vous ne pouvez absolument rien planifier durant cette période, pas même un diner. Vous vous levez, vous allez au studio pour la classe, puis vous répétez, vient le show et enfin vous rentrez chez vous. Dieu merci, ici à New York, on peut facilement se faire livrer de la nourriture à toute heure car je n’aurais pas une minute pour cuisiner ! Oui, c’est très intense. Je veille à avoir toujours tout ce dont j’ai besoin dans ma loge au théâtre car vous n’avez pas envie de sortir pour acheter quoi que ce soit. Donc, le matin, je pense minutieusement à tout ce dont je pourrais avoir besoin au cours de la journée. Quand la saison de printemps arrive, vous savez d’avance que vous n’aurez pas une seule minute à vous. Il faut en permanence rester concentrée sur son propre corps pour qu’il puisse fonctionner. C’est ça le challenge : être toujours concentré sur soi pour être au maximum physiquement. C’est un peu comme être dans une bulle durant six semaines.
Revenons en arrière pour parler un peu de votre carrière. Comment le ballet est-il entré dans votre vie ?
Ma mère m’a fait prendre des cours dès l’âge de 3 ans. Elle se demandait quoi faire avec une petite fille et elle a choisi tout naturellement le ballet. Elle me dit souvent qu’à cette époque, je trépignais et criais car je ne voulais pas aller au studio mais quand j’y étais, tout se passait bien. C’est vraiment une décision de ma mère car il n’y a pas de danseur.se.s dans ma famille, c’est vraiment à elle que je dois d’avoir appris le ballet.
Et vous rappelez-vous à quel moment vous avez commencé à prendre du plaisir à apprendre le ballet classique ?
Très tôt, autant que je me souvienne. J’ai des souvenirs assez vagues mais notre professeur essayait toujours de nous amuser tout en apprenant. J’avais toutes mes meilleures amies dans la classe et très vite, c’est devenu mon principal centre d’intérêt. Ballet, claquettes, la danse jazz, il n’y avait rien d’autre dans ma vie.
Quand avez-vous réalisé que vous vouliez faire partie du New York City Ballet ? Est-ce que vous avez choisi cette compagnie ou bien est-ce la compagnie qui vous a choisie ?
Je crois que je ne savais pas vraiment ce qu’était le New York City Ballet et ce que représentait cette compagnie. C’est quand je suis venu à l’école du NYCB (la School of American Ballet) à plein temps que tout a vraiment commencé : j’allais voir les spectacles tous les soirs, je voyais les danseuses tous les jours dans les couloirs. Vous travaillez en studio, vous commencez à apprendre ces ballets fantastiques de George Balanchine, une variation, puis une autre, et là vous vous dites : « C’est ce que je veux faire, ce sont ces ballets que je veux danser« . Cela vient alors tout naturellement, et vous rêvez de faire partie du New York City Ballet, votre objectif numéro un est d’intégrer la troupe. Mais vous savez, j’ai commencé tout en bas de la classe lors de ma première année à l’école. C’est en seconde année que quelque chose s’est passé en moi : soudainement, je me suis épanouie. Peter Martins a probablement vu quelque chose en moi, c’est lui bien sûr qui choisit celles et ceux qui vont intégrer la compagnie. Mais tout cela, je n’en avais pas vraiment conscience avant de venir à l’école.
Il y a dix ans maintenant, vous avez dansé Le Lac des Cygnes dans la version de Peter Martins pour la première fois. Vous n’aviez que 19 ans et vous étiez encore dans le corps de ballet. Vous avez dit à plusieurs reprises à quel point ce ballet vous tenait à cœur. Est-ce que Le Lac Des Cygnes reste votre meilleur souvenir sur scène ?
Oui ! Cela fait partie en tout cas de mes plus fortes impressions. En 10 ans, j’ai dansé beaucoup de rôles et il y a une multitude de moments forts et privilégiés, je pourrais facilement les comparer. Mais Le Lac des Cygnes fut un moment iconique et déterminant dans ma carrière de danseuse, c’est quelque chose de particulier pour moi. Il n’y a rien d’aussi épanouissant que de mener de bout en bout un ballet comme Le Lac des Cygnes avec la sensation si particulière que vous avez accompli quelque chose avec votre partenaire. Je ne sais pas vraiment pourquoi ce ballet est si spécial pour moi. C’est l’une des premières choses que j’ai faite, j’ai appris les pas de deux très jeune avec mon frère, je devais avoir 8 ans, pas plus. Ce ballet m’a ainsi accompagnée depuis le tout début. J’ai vu la vidéo avec Natalia Makarova, je suis tombée amoureuse de l’histoire, de la musique. Le Lac des Cygnes fait partie de moi depuis toujours et il est inscrit dans ma danse, dans mon art, dans mon âme.
Il y a quatre ans, vous avez été blessée. Votre dos a littéralement cédé et vous avez dû vous arrêter de danser pendant 8 mois. 8 mois dans une vie, cela peut paraître peu de choses mais dans une vie de ballerine, c’est une éternité. Qu’est-ce qui a changé pour vous le jour où vous êtes remontée sur scène ?
Quand quelque chose que vous faites et qui est votre passion vous est subitement repris sans que vous ne puissiez rien y faire, parce que c’est hors de votre contrôle, et que vous ne savez pas si cela vous sera redonné un jour, et de quelle manière vous pourrez danser, cela change complètement votre psychologie. Je suis revenue sur scène en étant reconnaissante à chaque pas que je faisais et en ayant en tête tous ces longs moments de ma vie où je ne pouvais pas danser et où je ne savais même pas si je pourrais un jour revenir sur scène. Depuis ce jour-là, je ne tiens rien pour acquis. Bien sur, j’espère que cela ne m’arrivera plus car je suis passée par là et je sais à quel point c’est difficile. Mais en même temps, je ne regrette pas d’avoir été confrontée à cette blessure car cela a totalement changé la perspective sur ce que je fais, sur mon métier. Je sais maintenant pourquoi je me lève chaque matin. Ce fut une étape déterminante dans ma vie de danseuse et dans ma vie tout court.
Est-ce qu’il y a encore des rôles dans le répertoire que vous voudriez danser ou des chorégraphes avec lesquels vous souhaitez travailler ?
Je rêve de danser un jour Juliette. Je ne sais pas si ça arrivera car je ne danse pas le Roméo et Juliette du New York City Ballet, il faudrait donc que j’aille voir ailleurs. Mais c’est vraiment un rôle que je voudrais aborder. Il y a encore quelques ballets de George Balanchine que je voudrais danser et qui sont sur ma liste : Agon et Chaconne, Thèmes et Variations peut-être. Et puis du Jerome Robbins aussi. Il y aura dans deux ans le centenaire de sa naissance, j’espère aborder des nouveaux rôles lors de ces célébrations. Mais je me sens si privilégiée avec le répertoire du New York City Ballet que je n’ai pas vraiment l’occasion de penser à d’autres univers. Cela dit, j’ai le projet de travailler avec des femmes chorégraphes, avec mon propre groupe que je suis en train de créer. Mais je suis disponible pour tous les chorégraphes qui viennent travailler avec la compagnie.
J’ai aussi l’impression que la nomination de Justin Peck comme chorégraphe en résidence du NYCB a instillé une nouvelle énergie à la compagnie.
Absolument. C’est si agréable de travailler avec Justin Peck en studio. Il est patient et en même temps, c’est toujours une vraie collaboration. Il ne se contente pas de nous montrer les pas, il les travaille avec nous et observe comment cela fonctionne sur nous. Il est plein d’énergie, toujours positif. C’est vraiment génial de faire partie de son travail. C’est un plaisir constant.