Rencontre avec Denis Rodkine, nouvelle Étoile du Ballet du Bolchoï
Le Ballet du Bolchoï a enfin trouvé son prince blond et viscéralement russe. Il a à peine 25 ans, la carrure d’un athlète, le type slave. Récemment nommé Danseur Étoile, Denis Rodkine est devenu le nouveau visage du Bolchoï. Il a rejoint la compagnie en 2009 après avoir étudié à l’école de danse du théâtre national académique Gjel. Depuis, il a révélé au fil des saisons sa propre identité jusqu’à connaître un envol fulgurant en 2014-2015. Il s’est illustré dans les grands rôles du répertoire classique mais s’est montré particulièrement à l’aise dans l’univers viril de Youri Grigorovitch. Le style Rodkine ? Un port de bras lyrique, sans maniérisme, à la russe allié à l’élévation spectaculaire qui fait la fierté de l’école moscovite.
Je l’ai rencontré à Moscou, quelques jours avant l’annonce officielle de sa nomination. Il sortait d’une salle de répétition du Bolchoï, insistant sans relâche sur la notion de travail. Travailler est d’ailleurs l’un des verbes qu’il emploie le plus quand il parle de sa profession. C’est par son travail acharné, année après année, qu’il a gagné les faveurs du maître du Bolchoï Youri Grigorovitch, réputé pour sa sévérité. Il faut souligner qu’il a été sportif avant d’être danseur et qu’il s’exprime pour le moment plus avec son corps qu’avec ses tripes. Honoré de plusieurs invitations, en juillet, Denis Rodkine était sur le point de partir danser à Saint-Pétersbourg, à Londres, à Barcelone et à Tokyo. Il a répondu avec simplicité, évoquant son parcours académique, l’enseignement de Nikolaï Tsiskaridzé son « pédagogue« , son épanouissement artistique et son regard neuf sur la danse en Russie, en France… Portrait d’un artiste en éclosion, représentatif d’une nouvelle génération de danseurs russes mi-patriotes et mi-cosmopolites, ambassadeurs modernes de l’excellence artistique nationale.
Découverte de la danse
Vous avez certes une apparence très « Bolchoï » mais vous avez une allure particulièrement athlétique et, parait-il, une passion pour le football. Alors, pourquoi avez-vous commencé la danse ?
Je n’ai jamais été un joueur professionnel de football, je le pratiquais comme un hobby. J’étais passionné par ce sport et j »avais mon équipe de football préférée : l’Arsenal Football Club. Mais ma mère me voyait davantage comme un danseur classique. C’est pourquoi elle m’a emmené dans une école de danse. Au début, les trois premières années, les cours de danse rimaient avec souffrances mais quand j’ai dû arrêter le football, à cause d’une blessure à la jambe, j’ai commencé à apprécier la danse jusqu’à réaliser que je voulais en faire ma profession.
Enfant, quels étaient les danseurs que vous considériez comme des modèles ?
Je n’avais pas de modèle dans la danse étant enfant, je ne m’intéressais pas vraiment à la danse.
En tant qu’étudiant alors, aviez-vous des modèles ?
Ah étudiant, bien sûr, plein. Noureev, Barychnikov, Vassiliev. Et pour les danseurs de l’actuelle génération : Nikolaï Tsiskarizdé.
Je n’ai jamais été un joueur professionnel de football, je le pratiquais comme un hobby. J’étais passionné par ce sport et j’avais mon équipe de football préférée : l’Arsenal Football Club. Mais ma mère me voyait plus comme un danseur de ballet.
Vous avez été formé à l’école Gjel, à Moscou. Elle n’est pas très connue en dehors de Russie. Pourriez-vous en parler ?
Comme je l’ai dit précédemment, c’est ma mère qui m’a emmené aux cours de danse. J’ai commencé dans cette école municipale. Ce n’était pas la meilleure école professionnelle, elle n’avait pas rang d’école d’État. En 2003, l’école a été renommée Académie chorégraphique d’État de Moscou et a commencé à travailler avec de grands professionnels, notamment du Bolchoï. Gjel s’est développé depuis et à présent, Boris Akimov (ndlr : ancien Danseur Étoile et directeur artistique du Bolchoï), en est le directeur. C’est devenu une très bonne école et quelques diplômés ont fait leur chemin au Bolchoï.
A partir de cette formation, comment avez-vous intégré le Ballet du Bolchoï ?
En 2009, un festival de ballet s’est tenu à l’académie du Bolchoï. En tant que l’un des meilleurs danseurs de Gjel, j’y ai dansé le pas de deux de La Sylphide. Le jury n’a pas apprécié ma partenaire, une autre apprentie danseuse de mon école, mais m’a remarqué. J’ai été envoyé sur la scène du Bolchoï pour la finale du concours. J’y ai interprété une variation seul et j’ai séduit le jury. Ils m’ont demandé pourquoi un tel danseur n’étudiait pas à l’académie du Bolchoï. Alors, je me suis dit que si j’avais réussi à impressionner ce jury de l’académie du Bolchoï, je serais peut-être capable de danser dans le Ballet du Bolchoï. Mes professeurs à Gjel m’ont dit : « Ne t’attends pas à être accepté mais essaie quand-même« . Je me suis présenté à l’examen du Bolchoï. On ne m’a rien dit pendant deux mois puis on m’a annoncé que j’étais engagé dans le corps de ballet. Mes premières rôles consistaient à me tenir droit au fond de la scène, comme un joli objet de décoration, à cause de ma grande taille. Mais j’ai vu cela comme un début. Le plus important était d’être accepté et après, « Au travail » !
Quel style le Bolchoï enseigne-t-il à ses jeunes recrues venues de l’extérieur ?
J’ai été très chanceux en arrivant au Bolchoï car j’ai travaillé avec Nikolaï Tsiskaridzé. Je l’ai déjà dit, c’était mon modèle. Il est très exigeant sur tout, de l’échauffement aux dernières minutes des répétitions. Chaque professeur a son propre style. Nikolaï Maximovitch (ndlr : nom en russe soutenu de Nikolaï Tsiskaridzé) est très strict, concentré sur la discipline. On peut dire que de nombreux professeurs de danse ne prennent pas leurs fonctions à cœur. Ce n’est clairement pas le cas de Nikolaï Maximovitch. C’est pourquoi j’ai beaucoup travaillé en arrivant au Bolchoï. Je savais que c’était le seul moyen de réussir.
Épanouissement artistique au Bolchoï
Vous êtes devenu très populaire cette année. On vous a confié des premières, des partenariats prestigieux, des retransmissions cinématographiques…
(Incrédule). Je suis populaire ? Je ne sais pas. C’est la première fois que je l’entends. En Europe, peut-être avec les retransmissions au cinéma ? Mais je n’ai pas l’impression d’être populaire. Ce n’était pas mon objectif premier. Évidemment, c’est très agréable quand des gens remarquent votre danse.
Avant toutes ces prises de rôles principaux, vous souvenez-vous de votre premier rôle de soliste ?
Mon premier rôle en tant que soliste sur la scène du Bolchoï, c’était lors de ma première saison au Bolchoï (2009-2010) et c’était celui de l’Oiseau bleu dans La Belle au bois dormant. Mon professeur m’a alors dit que si j’avais réussi à faire l’Oiseau bleu, je pourrais tout danser. Cela s’est avéré vrai. C’était mon rôle le plus difficile.
Si vous n’aviez pas eu de rôle de soliste au Bolchoï, auriez-vous pu partir ? Danser plus ailleurs que moins dans votre ville natale ?
(Sans hésitation). Oui j’aurais pu aller ailleurs J’estime qu’un danseur doit avoir de grands objectifs. Pour être honnête, selon moi, danser dans le corps de ballet n’est pas la vocation d’un danseur. Un homme doit danser en tant que soliste. Et si c’est une Étoile, c’est encore mieux !
Comment appréhendez-vous vos rôles d’un point de vue mental ?
Cela dépend du rôle mais en général je suis très nerveux avant de danser sur scène. Une fois sur scène je suis débarrassé du stress et des tremblements liés à la crainte d’une erreur. Je suis à fond dans mon personnage. Avant d’entrer en scène, je ne parle pas, je me concentre sur moi-même pour tout donner au public. Il ne faut pas me poser de question en coulisse, je ne répondrai pas ! (ndlr : Il ne peut s’empêcher de revenir sur la notion de travail technique). Pour le travail du corps, je suis vraiment du matin. Mon corps a besoin de se réveiller tôt, je le prépare donc dès le matin, surtout avant une prise de rôle.
Quel est le rôle que vous préférez danser ?
(Pensif). Je ne sais pas vraiment… C’est une question très difficile. Sûrement Eugène Onéguine.
Je vous ai vu dans ce rôle l’an dernier, avec Anastasia Goriatcheva. Avez-vous lu le livre pour vous préparer ?
Oui j’ai lu le livre, j’ai regardé des films, l’opéra… Mais Eugène Onéguine dans le ballet est légèrement différent du personnage littéraire. Donc c’est toujours intéressant de glaner des éléments dans le livre mais il faut y ajouter une partie de soi. Onéguine, ce n’est pas un homme bien et c’est plus intéressant de jouer un mauvais garçon qu’un gentil. Et puis, il y a l’adage final, qui est le point culminant du ballet, il faut voir ce ballet rien que pour cet adage. Je ne connais personne qui n’ait pas été ému par cette scène. Le point le plus important, c’est qu’Onéguine est absolument différent du premier au troisième acte et c’est très intéressant d’interpréter deux personnes dans le même spectacle.
Je ne connais personne qui n’ait pas été ému par la dernière scène d’Eugène Onéguine.
A l’inverse, y a-t-il un rôle que vous avez eu du mal à apprivoiser ?
Taor dans La Fille du pharaon et Federicci dans Marco Spada.
Ah ! Les ballets de Pierre Lacotte...
Ils sont très durs à danser car ils nécessitent une grande préparation pour nous. Il y a beaucoup de mouvements rapides du bas de jambe auxquels l’école de danse russe ne nous prépare pas vraiment. A mon avis, le seul danseur du Bolchoï qui est à l’aise avec cette technique, c’est David Hallberg. Il faut sûrement avoir étudié à Paris pour danser ce genre de chorégraphie. Ou alors il faut répéter sans relâche et annuler toutes ses autres représentations pour se concentrer sur ce rôle en particulier. Nous, danseurs russes, avons aussi une bonne technique mais différente. On aime quand même danser ces rôles ! (rires).
Une question peu originale mais c’est une déesse pour moi : que pouvez-vous dire de votre partenariat avec la Tsarine du Bolchoï, Svetlana Zakharova ?
Svetlana est une magnifique danseuse, l’une des meilleures du monde. Et pour autant, elle ne se comporte jamais comme une diva en salle de répétition. Elle essaie d’aider son partenaire. C’est un grand plaisir de danser avec elle. Elle place la barre extrêmement haut. Même quand je danse une variation seul, je dois essayer d’être à son niveau. C’est beaucoup de travail. De manière générale, il faut se hisser au niveau de sa partenaire. Je m’estime très chanceux, à mon jeune âge, de pouvoir danser avec Svetlana Zakharova dans trois ballets : Le Lac des cygnes, Légende d’amour et Carmen. J’espère que je vais danser Armand Duval dans La Dame aux Camélias avec elle bientôt. Et plein d’autres ballets avec elle.
Le Ballet du Bolchoï qui excelle dans le répertoire classique s’est enrichi d’œuvres néoclassiques narratives récemment (Onéguine en 2013, La Dame aux Camélias en 2014). Il n’y a pas encore beaucoup de place pour la danse contemporaine. Est-ce un univers qui vous attire ?
Je ne danse pas de contemporain au Bolchoï parce que les chorégraphes ne me voient peut-être pas comme un danseur contemporain. En réalité, un danseur doit s’ouvrir à plusieurs types de danse et la danse contemporaine n’est pas inintéressante. Seulement, actuellement, ma priorité et de danser tous les rôles du répertoire classique (ndlr : doré dit-il en russe). Il y a quatre rôles que je dois interpréter pour m’accomplir en tant qu’artiste : Conrad, dans Le Corsaire, Albrecht dans Giselle, Désiré dans La Belle au bois dormant et Solor dans La Bayadère. Ensuite je pourrai réfléchir sérieusement à la danse contemporaine.
Vous avez pourtant interprété le rôle de Solor au Théâtre des Champs-Elysées en mars dernier !
Oui mais c’était avec la troupe du Saint-Pétersbourg Ballet Theatre. Pour moi c’est très important de le danser dans la version du Bolchoï, sur la scène du Bolchoï.
Quels sont les chorégraphes modernes/contemporains qui vous intéressent toutefois ?
J’adore Wayne McGregor, j’aimerais danser dans ses ballets. Et puis William Forsythe.
Lors de la saison 2015-2016 du Bolchoï, il y aura une soirée de danse contemporaine avec Jiří Kylián, Sol Leon et Paul Lightfoot. Allez-vous y participer ?
J’aimerais oui mais cela ne dépend pas de moi… En parlant de Jiří Kylián, j’ai dansé La Symphonie des psaumes au Bolchoï.
La danse en Russie
Vous avez dit plus tôt que vous adoriez Noureev quand vous étiez adolescent. Il a forgé une grande partie du répertoire de du Ballet de l’Opéra de Paris. C’est un mythe en Occident. A votre avis, pourquoi Noureev n’est-il pas populaire en Russie ?
Il est très populaire en Russie.
Mais ni le Mariinsky ni le Bolchoï, les deux grandes compagnies de danse en Russie n’ont d’œuvres de Noureev à leur répertoire…
Ah, en tant que chorégraphe ? C’est sûrement à cause des politiques artistiques de ces deux théâtres. Au Bolchoï, nous avons surtout des chorégraphies de Youri Grigorovitch. Mais nous avons également depuis peu John Neumeier ou John Cranko. Nous nous ouvrons de plus en plus aux chorégraphies occidentales. Je pense qu’on pourrait même avoir du Rudolf Noureev au Bolchoï. Il y a des artistes polyvalents au Bolchoï qui pourraient parfaitement danser ses chorégraphies (ndlr : en Russie, on a coutume de différencier Noureev le danseur de Noureev le chorégraphe. Les chorégraphies de Noureev ne font d’ailleurs pas l’unanimité. Certains critiques les définissent comme étant torturées et inesthétiques).
Nous nous ouvrons de plus en plus aux chorégraphies occidentales. Je pense qu’on pourrait même avoir du Noureev au Bolchoï.
Quel est-il ce fameux style Bolchoï, par rapport aux autres compagnies ?
Eh bien, à l’académie du Bolchoï ils enseignent les traditions du Bolchoï de telle façon que les élèves ne voient aucune autre perspective que de danser au Théâtre du Bolchoï. Parce qu’on leur a toujours dit que c’était la meilleure troupe de danse… À Moscou, c’est vrai. Et à Saint-Pétersbourg, on entend la même chose au sujet du Mariinsky. C’est également une excellente compagnie. A mon avis, il n’y a que deux scènes sur lesquelles un danseur russe doit vouloir danser. Ce sont ces deux-là. À Moscou, le Bolchoï c’est le Bolchoï et à Saint-Pétersbourg, le Mariinsky c’est le Mariinsky.
Est-ce qu’on peut dire au sujet de ces deux écoles de danse que le Bolchoï a un style soviétique/héroïque et le Mariinsky un style impérial/aristocratique ?
Non, je ne dirais pas ça car cela dépend des artistes. Au Bolchoï, il y a des danseurs qui abordent des rôles « aristocrates » et d’autres « héroïques ». Certains sont les deux à la fois : ceux-là sont uniques. C’est pareil au Mariinsky, où il y a également d’excellents danseurs. C’est aussi très intéressant de les regarder.
La danse en Europe et aux États-Unis
Le ballet est né en France puis il s’est développé en Russie. On peut parler d’une alliance historique franco-russe du ballet. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Que représente le Ballet de l’Opéra de Paris aux yeux de la nouvelle génération de danseur-se-s russes dont vous faites partie ?
Je dirais que tous les danseurs du Bolchoï et du Mariinsky rêvent de danser sur la scène de l’Opéra de Paris, parce que c’est une scène historique pour le ballet. Leur école de danse ne ressemble pas du tout à celles du Bolchoï ou du Mariinsky. C’est une des meilleurs compagnies en Europe. Je pense que quand un-e danseur-se russe est invité à se produire sur cette scène, c’est une énorme reconnaissance car il y a peu d’invitations d’artistes russes. Évidemment j’aimerais beaucoup danser sur la scène de l’Opéra de Paris, avec sa troupe. (ndlr : fait intéressant, Denis Rodkine dit littéralement Opéra de Paris alors que ses aînés du ballet russe disent « Grand Opera », en français).
N’êtes-vous pas venu danser en 2011 ?
Oui, dans le cadre de la tournée du Bolchoï, j’ai dansé dans les Flammes de Paris. Mais c’est beaucoup plus honorifique d’être invité à interpréter un ballet du répertoire de l’Opéra de Paris, avec la troupe de l’Opéra de Paris. C’est une autre perspective, c’est beaucoup plus important.
Le nouveau directeur du Ballet de l’Opéra de Paris, Benjamin Millepied, a les yeux plutôt rivés sur l’Amérique où il a dansé, que sur la Russie.
C’est vraiment dommage. Aux États-Unis, il y a de bons hamburgers, du bon coca cola (Rires partagés). Mais pour danser et voir des ballets, je pense que c’est mieux en Russie (Rires) ! L’Amérique est un beau pays, c’est juste qu’en matière de ballet, nous sommes meilleurs ! De nombreux artistes du Bolchoï et du Mariinsky dansent d’ailleurs à New-York. Evguenia Obraztsova ou Diana Vishneva par exemple.
En Occident, vous êtes notamment connu des balletomanes grâce aux retransmissions mondiales au cinéma assurées par Pathé Live. Ressentez-vous une pression particulière quand vous êtes filmé ?
Non absolument pas ! J’ai oublié le nom de la personne qui se charge de ces retransmissions mais il met les danseur-se-s à l’aise. Toute l’équipe française est très sympathique et encourageante. On me dit comment me maquiller sans en mettre trop. De cette sorte, je ne suis pas du tout stressé quand il y a une retransmission. Sur scène, j’oublie les caméras et l’adrénaline prend le pas sur le reste.
Ces retransmissions en Occident sont très importantes. Elles participent d’une véritable démocratisation du ballet dans le monde, tout en faisant une excellente publicité pour le Bolchoï. En France, les gens qui n’ont plus les moyens d’aller à l’Opéra de Paris ou qui vivent en province et qui ont fait le choix d’aller voir les retransmissions au cinéma connaissent plus les artistes du Bolchoï que les Étoiles nationales de l’Opéra de Paris !
Oui, le principe de la retransmission est une très bonne idée. Parce qu’il y a en effet des gens qui n’ont pas les moyens de venir nous voir sur scène. À certains égards, on voit mieux le ballet sur écran qu’au théâtre, même si on ne nous voit pas en chair et en os. C’est une expérience différente. La retransmission devrait être utilisée davantage à mon sens.
Projets
Vous allez ouvrir – une nouvelle fois – la prochaine saison du Bolchoï avec Le Lac des cygnes. Un soir vous dansez le Mauvais génie, l’autre soir vous dansez le Prince Siegfried. N’est-ce pas un peu schizophrène ? Quel rôle préférez-vous interpréter ?
Siegfried. Tout simplement : Nikolaï Tsiskaridzé est un Mauvais génie extraordinaire. Personne ne peut le dépasser dans ce rôle ! À mon avis, il y a moins de princes d’anthologie. Donc je préfère danser Siegfried, qui me correspond davantage.
Avec quelle ballerine étrangère aimeriez-vous danser ?
(Pensif). Je n’y ai jamais réfléchi. Sûrement avec une ballerine de Covent Garden ou de l’Opéra de Paris, pour m’enrichir de ses enseignements.
Une danseuse de l’Opéra de Paris ?
Je connais Élisabeth Platel. (Quelques secondes passent). Il faudrait vraiment que je mémorise le nom d’autres ballerines.
Une question classique pour clore cet entretien. Que diriez-vous à de jeunes garçons qui envisagent une carrière dans la danse classique ?
Passer outre les difficultés qui sont nombreuses mais passagères. Dans la vie d’un artiste il y a des périodes noires. Il faut aller de l’avant, travailler et ne pas tirer de conclusions hâtives. Notre profession est comme ça, un jour c’est blanc, un jour c’est noir. Tout au long de sa vie il faut montrer de quoi vous êtes capables. Si vous travaillez dur et constamment, vous ne pourrez que réussir, vous serez remarqué (sourire). Si vous avez du talent, tout ira bien.
Question d’ouverture : allez-vous ouvrir un fan club ?
(Inquiet). Où l’ouvrirais-je ?
C’était une façon de parler, pour dire que vous aviez de nombreux fans, surtout des filles, et que le phénomène allait s’amplifier. Êtes-vous prêt ?
Je n’y pense pas vraiment. En réalité c’est très agréable à entendre, cela veut dire que j’ai bien travaillé. Si j’ai des fans, j’espère ne pas les décevoir quand je danse. Cela me donne envie de m’améliorer chaque soir. Je suis très reconnaissant de leur attention.
Remerciements à Anna Zakharova pour son aide précieuse lors de la retranscription.
alena
Remercions de tout cœur Madame Rodkin mère.
Zaza
Merci milles fois pour cette interview!! Je ne connaissais pas bien ce danseur et j’adore en apprendre plus sur la façon dont les danseurs abordent leur métier, leur manière de travailler. J’espère qu’il y en aura d’autres !
Fabien
Interview très intéressante. C’est tout de même impressionnant de constater à quel point la culture russe reste différenciée de la culture occidentale (pour ne pas dire hermétique !) ! Ceci dit ca permet de préserver l’identité très forte du ballet russe et ce n’est pas un mal !
JP
Interview bien menée et très intéressante! par contre, Jade, B Millepied a déjà parlé de collaboration avec le Mariinsky et avait posté sur les réseaux sociaux plusieurs photos de la semaine qu’il avait passé là bas. Je ne vous accuse pas de mauvaise foi mais votre inimitié envers le nouveau directeur est pour le coup un peu lassante 😉 (oh et j’ose demander….à quand une interview de LA Zakharova ? J’adorerais , et ne pense pas être le seul :D)
Jade Larine
S’agissant des interviews de manière générale, vous pouvez en trouver dans la rubrique « pas de deux ». Il y a des Étoiles, de jeunes talents, des personnalités du monde de la danse et même des artistes russes, dont une interview multiple de Svetlana Zakharova, Denis Rodkine et Anna Nikoulina, réalisée en octobre dernier par Amélie Bertrand à l’occasion de la reprise de Légende d’amour au Bolchoï.
Concernant ma remarque sur la politique artistique de Benjamin Millepied, si vous relisez ma question, je dis qu’il » a les yeux davantage rivés sur l’Amérique où il a dansé, que sur la Russie ». L’éventualité d’un échange avec le Mariinsky ne contrebalance pas l’américanisation du répertoire, la mode anglo-saxonne du triple (quadruple etc.) bill, l’embauche d’une recrue américaine dans le corps de ballet cette année, le recours à des chorégraphes américains ou faisant leur carrière aux États-Unis, la sollicitation de mécènes américains… C’est un fait objectif, sur lequel je ne porte aucun jugement moral dans l’interview. D’un point de vue plus subjectif, il est vrai que la technique, l’expressivité et le répertoire russe correspondent totalement à ma vision personnelle de la danse classique. Après tout, nos grands ballets classiques (Lac des cygnes, La Bayadère, La Belle au bois dormant) viennent de Russie et nombre de danseurs russes ont marqué l’histoire de la danse. Et les artistes du Bolchoï (Svetlana Zakharova en premier lieu) sont de véritables stars dans leur milieu, contrairement aux danseurs français et américains de la même génération. Benjamin Millepied n’a manifesté aucun intérêt explicite pour cela, jusqu’à présent. Mais il ne faut pas monter en épingle la remarque, modérée, que je faisais à Denis Rodkine quand il parlait des invitations de l’ONP. Du temps de Brigitte Lefèvre, il y avait beaucoup de danseurs russes invités (plusieurs fois par an, certaines années). A présent il n’y en a plus. Cela changera peut-être à moyen terme. Dans tous les cas, affirmer que Benjamin Millepied est imbibé de danse américaine n’est ni un parti pris ni une propagande, c’est à mes yeux une lapalissade 🙂 Vous trouverez chez Danses avec la plume des plumes plus enthousiastes à l’égard de la nouvelle direction artistique. Et qui sait, peut-être l’an prochain aurons-nous en guise d’ouverture de saison une soirée Noureev-Nijinski-Millepied ?
JP
Merci Jade pour votre réponse , je comprend ainsi mieux votre remarque. Je cours lire les autres interviews !
Anne-Laure
Bonsoir, merci pour cette interview. Je l’avais beaucoup apprécié dans Flammes de Paris en 2011.
La culture russe m’est plutôt familière et je me permets juste une petite remarque ; ) « Nikolaï Maximovitch (ndlr : nom en russe soutenu de Nikolaï Tsiskaridzé) » : il s’agit en fait de son patronyme et c’est une façon plus officielle de parler de quelqu’un et une marque de respect.
Il est dommage en effet que Millepied remarque moins du côté de la Russie
Jade
Anne-Laure, vous semblez être parmi les premières à avoir remarqué Denis Rodkine ! S’agissant du patronyme, il aurait été trop long d’expliquer comment cela se passe en Russie. Aussi ai-je résumé en parlant de langage soutenu. Mais les précisions que vous avez souhaité apporter seront peut-être utiles aux lecteurs qui ne sont pas au courant des us et coutumes russes.