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Rencontre avec Charles Jude, directeur du Ballet de l’Opéra de Bordeaux

Le Ballet de l’Opéra de Bordeaux démarre sa saison 2015-2016 le 5 octobre avec Pneuma de Carolyn Carlson. Danses avec la plume a pu discuter avec Charles Jude, le directeur de la compagnie, sur cette nouvelle programmation. Il évoque les spectacles à venir, les tournées de la troupe bordelaise ou ses projets pour la suite, comme une Fille mal gardée ou, pourquoi pas, une école de danse.

Charles Jude, directeur du Ballet de l'Opéra de Bordeaux

Charles Jude, directeur du Ballet de l’Opéra de Bordeaux

 

Pouvez-vous présenter cette saison 2015-2016 du Ballet de l’Opéra de Bordeaux en quelques mots ?

Nous commençons avec une reprise importante, Pneuma de Carolyn Carlson. Nous aurons une entrée au répertoire avec La Reine morte de Kader Belarbi. Pour les reprises, nous proposons La Belle au bois dormant pour les Fêtes et Giselle en mai. Nous terminons avec Le Messie de Mauricio Wainrot, qui allie les trois forces artistiques de la maison : le Ballet, le choeur et l’orchestre. C’est un ballet qui marche très bien. Nous avons aussi des compagnies invitées (Kader Attou, Béatrice Massin ou le L.A. Dance Project cette année). Nous proposons ainsi un mélange de contemporain, de classique et néo-classique durant toute la saison. Et le public est présent à tous les types de spectacles, c’est ça qui est intéressant.

 

Pneuma de Carolyn Carlson, ouvre la saison. Il a été créé pour le Ballet de l’Opéra de Bordeaux…

Pneuma s’inspire des poèmes de Gaston Bachelard. Carolyn Carlson voulait montrer ce qui est invisible, c’est-à-dire l’air. Ce ballet est comme un air qui souffle. Il y a beaucoup d’accessoires, comme un ballon qui vole, c’est l’univers de Carolyn. Je l’invite également en octobre avec sa troupe pour sa dernière création, Now, qui est aussi sur l’oeuvre de Gaston Bachelard. Cela montre au public les deux facettes de cette chorégraphe.

Pneuma de Carolyn Carlson - Ballet de l'Opéra de Bordeaux

Pneuma de Carolyn Carlson – Ballet de l’Opéra de Bordeaux

Carolyn Carlson vient régulièrement au Ballet de l’Opéra de Bordeaux. Comment se passe cette collaboration ?

La première fois que j’ai travaillé avec Carolyn Carlson, c’était en 1973 alors qu’elle était à l’Opéra de Paris. J’ai toujours suivi ce qu’elle faisait. Nous sommes proches. Elle vient assez souvent à Bordeaux, je l’ai aussi invitée avec sa compagnie de Roubaix. Son travail est pour moi très intéressant.

Carolyn Carlson n’aime pas les choses figées, elle n’aime pas compter pas sur la musique. Elle crée et elle laisse petit à petit aux danseur-se-s le soin de trouver leur propre musicalité. À ce moment-là, elle arrive à les corriger pour les mettre en musique sur ce qu’elle a dans sa tête. C’est un processus un petit peu spécial mais ça fonctionne très bien. Les danseur-se-s ont une grande liberté, jusqu’à ce qu’ils trouvent le mouvement juste qu’elle veut voir. Je sais qu’elle adore cette compagnie, qu’elle trouve les artistes très disciplinés et qu’ils ont vraiment un mouvement spécial lorsqu’elles leur demandent de faire quelque chose. Ils se lâchent. Les workshops avec elle sont vraiment intéressants. Elle crée avec les danseur-se-s, les danseur-se-s créent aussi avec elle, lui proposent des mouvements. Ce sont de véritables ateliers.

 

La saison se poursuivra avec un colloque sur Marius Petipa organisé par l’équipe CLARE « Cultures, Littératures, Arts, Représentations, Esthétiques » de l’université Bordeaux Montaigne. Il se déroulera du 21 au 23 octobre au Grand-Théâtre, avec un gala par le Ballet de l’Opéra de Bordeaux. Comment avez-vous organisé ce programme ?

Pour cette soirée j’ai voulu remontrer le parcours de Marius Petitpa. Les danseur-se-s interpréteront le pas de deux de Don Quichotte qu’il a créé en 1869, ensuite un extrait Casse-Noisette qui date de 1892. Puis Le Lac des Cygnes de 1895, et enfin Raymonda, le dernier ballet de Marius Petipa. Les scientifiques sont toujours à la recherche de savoir comment Marius Petitpa a su relier dans la danse classique les mouvements avec la musique, avec une chorégraphie qui est architecturale. Comment est-il arrivé à ça ?

 

Et vous, en tant qu’artiste, quel regard portez-vous sur Marius Petipa ?

J’ai un regard forcément admiratif sur ses ballets, tellement durs, qui sont dans toutes les compagnies et qui continuent à se donner. Ce sont des chefs-d’oeuvres, même si ces ballets ont forcément été remaniés, il n’y avait pas toute la technique d’aujourd’hui à l’époque de Marius Petipa. Rudolf Noureev, par exemple, les a remontés en y mettant la technique de son époque, mais en gardant l’essence même de ce que voulait Marius Petipa. Ce dernier disait lui-même que ses œuvres ne pouvaient continuer que si des chorégraphes les faisaient revivre, les remettait au goût du jour.

Casse-Noisette - Ballet de l'Opéra de Bordeaux

Casse-Noisette – Ballet de l’Opéra de Bordeaux

Le Ballet de l’Opéra de Bordeaux reprend La Belle au bois dormant pour les Fêtes, dans votre version. Qu’avez-vous gardé de celle de Marius Petipa ?

Je garde l’architecture principale du ballet, avec certains moments qui sont vraiment chorégraphiés par Marius Petipa. L’essence même des pas de danse classique qu’a voulue Petipa est là, même si la technique a évolué et que les danseurs sautent plus haut. L’Oiseau bleu, par exemple, n’a pas changé, il est dansé partout dans le monde dans la même version. C’est immuable. Le pas de deux final a évolué. À l’époque de Marius Petipa, il n’y avait pas de variation pour le danseur et pas de coda. Le danseur qui a créé La Belle au bois dormant avait en effet 53 ans ! Il était plus porteur et partenaire.

 

La Belle au bois dormant et Giselle sont donnés cette année, dans votre version. Comment ces productions évoluent-elles au fil des années ?

Il y a forcément une évolution des ballets, dans la musicalité ou les pas. Mais le véritable changement se fait par l’interprétation des danseur-se-s, ce sont eux-elles qui donnent vie à ces ballets. Tout se joue dans le rôle, l’interprétation. L’émotion que peuvent donner les danseur-se-s change d’une représentation à une autre. Ces ballets vivent par les artistes.

 

Avez-vous envie de remonter d’autres ballets du répertoire ?

J’ai envie de reprendre La Fille mal gardée, qui a créée à Bordeaux. C’est le ballet emblématique de la ville. Je devais en fait le faire l’année dernière, mais ça a été annulé pour des questions de budget. C’est repoussé, j’attends de savoir quand (sourire), je pense pour dans un an. Je sais à peu près où je veux aller. Je veux garder l’histoire, mais changer la forme. Ce sera peut-être transposé dans une ferme américaine, la musique de la danse des sabots est américaine.

 

En mars 2016, place à La Reine morte de Kader Belarbi, directeur du Ballet du Capitole. Il reprend votre Coppélia aussi cette saison pour sa troupe. Comment se passe cette collaboration ?

Kader Belarbi a vu Coppélia à Bordeaux, il l’a voulu pour le Ballet du Capitole. Je lui ai donc proposé de faire un échange et de proposer ainsi des ballets différents à notre public. Il m’a proposé La Reine morte. C’est un ballet assez intimiste, il n’y a pas beaucoup de personnages. C’est un très beau ballet.

Coppélia de Charles Jude (Ballet de l'Opéra de Bordeaux)

Coppélia de Charles Jude (Ballet de l’Opéra de Bordeaux)

Entre le Ballet de l’Opéra de Bordeaux, le Ballet du Capitole et le Malandain Ballet Biarritz, le Sud-Ouest a une belle activité pour la danse. Il ne manque pas une école ?

C’est une question que je me pose depuis 15 ans ! Je demande aux élus de pouvoir créer une école de danse nationale dans le Sud-Ouest, mais sans succès. Il y a toujours Paris, Lyon et Marseille, et rien à côté. Alors qu’il y a un potentiel ici. Certain-e-s danseur-se-s de la région montent à Paris, d’autres ne le peuvent pas. Je vais peut-être moi-même créer cette école. J’ai commencé à monter un stage international de danse à Arcachon cet été. Ça a très bien marché, certain-e-s veulent déjà revenir l’année prochaine. Alors créer une école à Bordeaux, une école professionnelle, pourquoi pas. Aujourd’hui, je n’ai pas beaucoup de temps (sourire). Mais je vais être à la retraite bientôt, je vais peut-être commencer à voir ça plus sérieusement.

 

Comment voyez-vous l’évolution du Ballet de Bordeaux depuis votre arrivée en 1996 ?

La troupe a pris une ampleur internationale, elle part désormais à l’étranger sans problème. Nous partons fin octobre à Saint-Pétersbourg, au prestigieux Théâtre Mariinsky. Nous allons aussi tourner en région et à Paris cette saison (ndlr : en février 2016 au Théâtre de Chaillot avec Pneuma).

Il y a aussi plus de danseur-se-s. Lorsque je suis arrivé dans la compagnie, en 1996, il n’y avait que 31 postes. J’avais dit que, si je restais à Bordeaux, il me fallait 45 danseur-se-s. On m’en a donné 40, en disant que l’on verrait plus tard, et ça ne s’est jamais fait. Avoir cinq postes de plus, c’est aujourd’hui difficile…  Pour moi, une compagnie, c’est 45 artistes dans l’idéal. Là, on peut monter des oeuvres comme Giselle ou Coppélia sans avoir besoin de surnuméraire. Avec uniquement des titulaires, les ballets peuvent se remonter beaucoup plus vite. Des productions comme Le Lac des Cygnes ou La Belle au bois dormant demandent plus de danseur-se-s, 65 artistes en scène. Nous avons dans ce cas forcément besoin de surnuméraires. Mais ces gros ballets ne sont pas donnés tout le temps, seulement tous les 4 ou 5 ans.

Le Lac des Cygnes - Ballet de l'Opéra de Bordeaux

Le Lac des Cygnes – Ballet de l’Opéra de Bordeaux

Toutes les troupes souffrent de restrictions budgétaires. Est-il plus difficile de travailler aujourd’hui ?

Il y a des restrictions budgétaires, bien sûr, nous parlions plus haut de La Fille mal gardée. Mais nous arrivons toujours à créer et à faire des choses intéressantes.

 

La saison dernière, plusieurs promotions ont eu lieu au sein du corps de ballet. Y aura-t-il bientôt des nominations d’Étoile ?

Forcément ! Il y aura de nouvelles nominations. Les Étoiles qui sont là le sont depuis pas mal de temps, elles arrivent en fin de carrière. C’est normal qu’il y ait un changement. Et il y a pas mal de talents à Bordeaux !

 

Quand allez-vous quitter la direction du Ballet de l’Opéra de Bordeaux ?

J’ai encore 3 saisons ½ à faire, je suis ensuite obligé de partir, C’est vite passé ! Je n’ai aucune spéculation sur qui prendra ma suite. Je n’espère qu’une chose : laisser une compagnie en très bon état, et que mon-ma successeur-e aura une grande joie à travailler avec la troupe.

Don Quichotte - Ballet de l'Opéra de Bordeaux

Don Quichotte – Ballet de l’Opéra de Bordeaux

 

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