Roland Petit au Ballet de l’Opéra de Lyon – Rencontre avec Noëllie Conjeaud, l’une des Carmen
Le Ballet de l’Opéra de Lyon fait entrer Roland Petit à son répertoire. La troupe propose, du 3 au 19 novembre à l’Opéra de Lyon, une soirée réunissant L’Arlésienne et Carmen, deux chefs-d’oeuvre du chorégraphe. Un choix surprenant pour cette troupe qui danse essentiellement du répertoire contemporain ? Pas vraiment. Son directeur, Yorgos Loukos, a en effet été l’assistant de Roland Petit au Ballet de Marseille pendant plusieurs années.
Noëllie Conjeaud, qui a rejoint le Ballet de l’Opéra de Lyon cette saison, sera l’une des Carmen. Elle évoque pour Danses avec la plume sa vision de ce rôle mythique, son travail sur ce ballet et ce que représente Roland Petit.
Roland Petit n’est pas le répertoire habituel du Ballet de l’Opéra de Lyon. Pourquoi le danser maintenant ?
Notre directeur Yorgos Loukos voulait rendre hommage à Roland Petit avec qui il avait travaillé, rendre hommage à ces chefs-d’oeuvre et les faire découvrir au public de Lyon. On l’oublie, mais Roland Petit fait partie de ces grands chorégraphes français qui ont participé à un grand changement dans la danse. Carmen a été créé en 1949, c’était très moderne pour l’époque.
Comment avez-vous découvert Roland Petit ?
Dès l’École de Danse de l’Opéra de Paris, où j’ai fait mes études. J’ai eu la chance non seulement de voir son répertoire, mais aussi d’en faire partie. À 12 ans, j’ai ainsi dansé la petite fille acrobate dans Les Forains, alors dansé par la compagnie. Nicolas Le Riche interprétait le rôle principal. Pour moi, Roland Petit était un immense chorégraphe, c’était une chance inouïe de le voir en studio, de danser un de ses ballets. Dans l’univers du ballet français, c’est quelqu’un de très important. À l’Opéra de Paris, à cette époque-là, il y avait Rudolf Noureev et Roland Petit, c’était une grosse partie du répertoire. Il avait fait pas mal de créations avec la troupe, il était très présent.
Et quand avez-vous découvert le ballet Carmen ?
Je l’ai vu pour la première à l’Opéra de Paris, dansé par Carole Arbo et Wilfried Romoli. Ce ballet m’a beaucoup impressionnée dans sa manière de raconter l’histoire. C’est condensé, c’est très intense, c’est une histoire très forte racontée en seulement ¾ d’heure, ça ne n’arrête jamais. Ça m’avait marquée, même si je n’avais pas tout compris, j’étais jeune. Mais j’en garde un souvenir très net. J’ai eu la chance ensuite de voir ce ballet par plusieurs autres danseuses, chacune avec leur propre interprétation et personnalité. Mais pour moi, c’est important de me retrouver dans ce rôle-là, de ne pas faire comme quelqu’un d’autre.
Quelle est votre vision du rôle de Carmen ?
Avant tout, Carmen est une femme libre. C’est elle qui décide de son destin. Elle ne se laisse pas dicter sa conduite, c’est ce que j’aime chez elle. Quand elle a une idée, elle va au bout. Elle reste cependant assez vulnérable. Carmen veut rester libre, mais son dernier souffle est tout de même pour Don José. Est-elle si libre que cela ? Elle n’en reste pas moins une femme très moderne. Elle est aussi très féminine. De nos jours, beaucoup de femmes sont indépendantes. Mais il y a toujours ce problème d’image : des femmes fortes s’empêchent d’être féminines dans leur allure car cela pourrait leur ferait perdre du pouvoir. On a peur de passer pour ceci ou cela. Carmen n’a peur d’aucun jugement. Elle est forte, et féminine, et sensuelle.
Pourquoi, à votre avis, avez-vous été choisie pour danser Carmen ?
Luigi Bonino, qui a longtemps travaillé avec Roland Petit et s’occupe de remonter ses ballets, est venu à Lyon. Il a regardé une classe, puis nous avons eu une répétition tous ensemble, sans que chacun ait un rôle défini. Nous avons commencé à répéter les premières entrées de Carmen. Je pense que Luigi Bonino a regardé qui avait une bonne technique classique, mais surtout qui pouvait vraiment incarner le personnage. Qui avait potentiellement une puissance intérieure qui ne serait pas difficile à faire sortir. Quelqu’un de timide peut être la meilleure danseuse du monde, mais pour ce rôle, il faut sortir quelque chose de soi-même.
Comment se sont passées les répétitions ?
Nous travaillons depuis septembre avec Luigi Bonino. J’ai aussi pu un peu travailler avec Eleonora Abbagnato, partager quelques idées avec elle. Cela m’a vraiment beaucoup apporté. Eleonora Abbagnato a dansé ce rôle il n’y a pas longtemps, elle a été nommée Danseuse Étoile avec ce ballet, ses impressions restent encore très fraîches. Avec Carmen, on peut vite tomber dans quelque chose de très fort, parce que c’est une femme très forte, tout en gardant toute cette sensualité, qu’Eleonora Abbagnato a très naturellement (rire). C’était très important pour moi. Elle m’a parlé du rôle, des moments où ça allait être difficile. Elle m’a donné des petits trucs techniques qu’elle avait pu trouver. Il faut essayer de s’en sortir le mieux possible, chacune avec son corps.
Carmen est un rôle dur techniquement. Comment l’avez-vous appréhendé ?
Le rôle de Carmen est un challenge technique. Les variations sont dures, mais aussi très longues. C’est donc aussi bien une question de technique que de souffle. J’ai eu la chance au cours de ma carrière (ndlr : au Ballet de l’Opéra de Bordeaux, aux Grands Ballets Canadiens ou à la Compagnie Nationale de Danse d’Espagne) d’appréhender d’autres grands rôles difficiles avant de danser ce ballet. J’ai donc de l’expérience. Avoir Carmen comme premier grand rôle, cela doit être impressionnant !
Le rôle de Carmen est marqué par deux grandes variations. Comment les voyez-vous ?
Elles sont très différentes ! La variation de la taverne demande un peu plus de prouesses et moins d’interprétation. Celle de la chambre est très technique, mais c’est aussi tout un jeu d’interprétation. Elle veut le séduire, être avec lui sans être avec lui, l’attirer sans vraiment l’attirer, cela demande beaucoup d’idées.
Eleonora Abbagnato, que vous évoquiez plus haut, a dansé ce rôle avec et sans perruque. Et vous ?
Ce sera avec la perruque ! On ne m’a pas laissé le choix, mais pour moi, pour rentrer dans ce personnage, il faut cette coupe à la Zizi Jeanmaire. Cela fait partie intégrante du rôle. J’ai beaucoup regardé la version de Zizi Jeanmaire. C’était en 1949, elle était déjà si moderne dans son interprétation.
Qu’avez-vous découvert sur ce ballet au fil des répétitions ?
Je ne me rendais pas compte de la modernité de ce ballet du point de vue de la danse, du style. Je l’avais tellement vu que je n’avais pas de recul sur les choses. En le travaillant et l’incarnant, je me suis rendu compte que Carmen était aussi très moderne dans son vocabulaire stylistique. Roland Petit, avec Carmen, a vraiment développé une autre manière de bouger. Il s’est approprié le vocabulaire de la danse classique, avec un côté bien à lui. Il a développé cet amour de faire travailler des femmes, avec beaucoup de sensualité dans les pas. Dans L’Arlésienne, cet aspect se ressent aussi, même si c’est plus discret.
Comment le Ballet de l’Opéra de Lyon s’est préparé à ce programme, très différent de son répertoire habituel ?
Je pense qu’il y a eu au début des appréhensions de tous les côtés : des danseurs et danseuses, de notre directeur Yorgos Loukos, de Luigi Bonino. Est-ce que les compétences allaient être là ? Mais à partir du moment où les répétitions ont commencé, tout a été oublié. Il n’y a pas de problème là-dessus.
Qu’est-ce que le Ballet de l’Opéra de Lyon peut apporter à ces pièces de Roland Petit ?
Il n’y a pas chez nous de hiérarchie dans la troupe, nous sommes d’abord un groupe. On sait que chaque personnalité apporte quelque chose au groupe, quel que soit son rôle, tout le monde se connaît. Sur scène, il y a Carmen, Don José et Escamillo, mais nous sommes d’abord un groupe. Nous racontons la même histoire nous allons dans la même direction. Tout le monde est ensemble.