[Festival du cirque actuel CIRCa] Cinq questions au Collectif Petit travers pour leur spectacle Dans les plis du paysage
Le Collectif Petit travers ouvre le 29e Festival du cirque actuel CIRCa à Auch avec son spectacle Dans les plis du paysage, un spectacle de jonglage aussi étonnant que poétique. La pièce a été créée il y a quelques semaines à la Biennale de la Danse de Lyon. C’est là qu’une rencontre a été organisée entre la presse et les deux directeurs artistique du collectif, Nicolas Mathis et Julien Clément, pour parler de leur vision du jonglage.
Dans Dans les plis du paysage, vous êtes sept jongleurs et jongleuses sur scène. Comment créez-vous ensemble ces temps de suspension des balles ?
Il y a plein de moyens d’arriver à créer cette suspension. Nous travaillons sur le temps, le découpage du temps, sur la pulsation. Nous avons des outils à la fois rythmiques et corporels, dans la musique ou dans la danse, pour être ensemble, au plateau. Cette suspension naît si nous avons les mêmes sensations du déroulé de l’espace et du temps, et que nous partageons ça sur le plateau. La première difficulté est d’ailleurs de s’accorder : accorder tous les éléments du plateau, la musique, la lumière, notre présence et celle des objets. C’est un gros travail pour être ensemble, d’autant plus que l’outil du jonglage nécessite une distance entre les corps. Sur scène, nous ne nous touchons pas, ou presque, et nous partageons pourtant beaucoup de choses. On partage en s’envoyant des balles. C’est une manière particulière d’être ensemble.
L’autre difficulté du jonglage, c’est la chute presque inévitable de la balle. Comment la gérez-vous ?
On ne peut pas éviter la chute, les échecs. Nous les prenons donc en compte dans des notions dramaturgiques, pour trouver des solutions qui nous permettent de continuer notre parcours. Et puis nous essayons d’enlever toute la gravité dans l’acte de jongler, notamment l’appréhension de la chute. Il faut avoir une virtuosité suffisamment sûre pour se servir de la chute. Nous faisons donc tout un travail de composition et d’interprétation autour de cette virtuosité que le jonglage impose. Nous n’avons pas envie de nous battre en permanence avec les balles. S’il est tendu, un corps n’est pas disponible pour recevoir la balle. Chacun essaye plutôt de trouver son propre rapport avec ces objets.
Dans les plis du paysage fait souvent penser à la danse, dans son rapport à la musique par exemple. Vous vous considérez plus comme circassien ou comme danseur ?
Tout dépend de comment on le prend. Nous faisons du cirque dans le sens où nous venons d’écoles du cirque et de tout un mouvement du cirque qui s’est développé en France dans les années 1980 et 1990. Mais la danse est ce qui nous fait réfléchir et avancer le plus aujourd’hui dans le spectacle vivant. Administrativement, nous sommes conventionnés en danse, alors que la plupart des compagnies de cirque le sont en théâtre. Il y a d’ailleurs toute une dimension liée au théâtre dans nos spectacles. Nous travaillons dans l’espace du théâtre, nous proposons des consonances poétiques ou dramatiques. Nous manipulons aussi les outils du théâtre, comme la lumière ou le corps vecteur de poésie, même si nous n’utilisons pas la parole. Le jonglage a aussi ceci de particulier dans le cirque : il permet vraiment de tisser des rapports avec d’autres domaines artistiques. On peut traiter de la composition, de la forme, des formes musicales. Il y a un potentiel de richesse que l’on ne retrouve pas forcément dans d’autres disciplines de cirque.
Quel est votre rapport à la musique d’ailleurs ? Dans Dans les plis du paysage, elle vient d’un batteur qui est présent sur scène.
Nous avons en fait plutôt une écoute entre nous qui est de l’ordre du musicien, plus que du danseur. Dans une précédente pièce où nous étions trois sur scène, nous fonctionnions vraiment comme un ensemble de musique de chambre, avec une pulsation et une respiration communes, une conscience commune de la forme. Nous étions reliés sur scène par une écoute globale et l’écoute des trajectoires. Avec Dans les plis du paysage, nous sommes plus comme des musiciens d’orchestre, avec une pulsation extérieure d’un chef. C’est la batterie qui joue ce rôle.
Le jonglage peut-il aussi être considéré comme un langage ?
On peut se parler avec une balle gentille, une balle fougueuse. Nous utilisons d’ailleurs des qualificatifs pour évoquer ces balles, non pas comme objet mais comme un lancé, une trajectoire et une rattrape. C’est cet ensemble-là qui peut être de l’ordre du langage. Quelqu’un qui lance une balle très forte à l’autre dit quelque chose d’important sur la relation entre ces deux personnages. Comme dans le langage, il y a des questions de rythme, d’adresse et d’intention. Nous travaillons aussi beaucoup sur la matière. Les balles ne se voient pas forcément comme des personnages, mais comme des traits d’énergie.