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[Suresnes cités danse] Rencontre avec la chorégraphe Jann Gallois pour sa pièce Compact

Venue à la danse par le hip hop, Jann Gallois a été la brillante interprète de Sébastien Lefrançois, Sylvain Groud, Angelin Preljocaj, Sébastien Ramirez ou Kaori Ito. Sa première création en tant que chorégraphe, P=mg, lui a valu de remporter une dizaine de prix internationaux. La deuxième, Diagnostic F20.9, a séduit par l’intelligence et la générosité de son propos, la finesse de ses mouvements. Juste avant la première de sa nouvelle pièce Compact, dans le cadre Suresnes cités danse, Danses avec la plume a eu envie d’en savoir un peu plus sur cette jeune chorégraphe de talent.

Jan Gallois

Jan Gallois

Avant que nous parlions de votre dernière création, Compact, dont la première aura lieu lors de la 24ème édition de Suresnes cités danse, j’aimerais que nous évoquions votre parcours. Comment une jeune fille qui étudie la musique classique au Conservatoire rencontre-t-elle le hip hop ?

Ça n’était absolument pas prémédité. Comme vous l’avez dit, je viens d’un univers, d’une famille de musiciens professionnels. J’ai donc été éduquée à la musique classique depuis toute petite, au Conservatoire. J’ai commencé par le violon, je suis passée au piano, au basson et j’ai fini par le cor. Tout ça très intensément. C’était quelque chose qui était presque obligatoire chez nous. Mes parents sont musiciens, mes frères et sœurs sont musiciens aussi. Nous baignons dedans depuis toujours. C’est pour ça que je suis passée d’un instrument à un autre. Mes parents espéraient à chaque fois que j’y trouve une accroche, et que j’en fasse peut-être mon métier.

C’est à 15 ans, à la période de l’adolescence, qu’il y a eu cette espèce de burn out. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai appelé ma compagnie, par la suite, Burn Out. C’était dû à tout ce poids, à cet univers dans lequel je ne me sentais pas moi. Ce n’était pas ce que j’avais envie de faire. J’ai toujours eu cette envie de crier, je dirais, par le corps. Je parle de cri parce qu’à cette époque-là, c’était vraiment ce qui sortait tout de suite, le cri, une forme d’urgence. Et un jour, en me baladant dans le forum des Halles, je suis tombée sur des danseurs hip hop qui s’entrainaient. J’étais subjuguée, vraiment, bouche bée devant ce qu’ils faisaient avec leur corps. Je ne connaissais vraiment rien à la culture hip hop et c’était un choc, j’étais fascinée. Alors j’ai tout envoyé en l’air. Tout ce qu’on avait construit dans la musique pour moi. Tout ce qu’on m’avait forcée à faire, pour mon bien.

Et puis adolescente, on est sensible à ce qui est la mode. Le hip hop c’est fun, ça a un côté très attirant quand on est jeune. Et dynamique, et revendicateur. C’était l’opposé total de ce que j’avais connu.

Jann Gallois

Jann Gallois

L’adolescence est aussi une période où il est parfois nécessaire de  s’opposer à ses parents…

Tout à fait. Inconsciemment j’avais l’envie de piquer, évidemment. Ça les a d’ailleurs beaucoup piqués, malgré moi, pardon papa, pardon maman (rires) ! Mais voilà, mes premiers pas dans la danse se sont faits dans le hip hop, « à l’arrache ».

Ce qui me fascinait totalement aussi et m’attirait, c’est la liberté qu’ils avaient de jouer de leur art n’importe où. Quand ils voulaient, où ils voulaient, selon ce qu’ils voulaient. C’était à l’opposé de ce que j’avais connu. Moi je jouais de mon instrument uniquement dans ma chambre, ou au Conservatoire, ou dans un auditorium, dans des temps bien déterminés. Cette grande liberté m’a conquise. Je me suis dit : « C’est ce que je veux faire« .

 

Et à partir de ce moment vous vous êtes mise à pratiquer ?

Je me suis mise à m’entrainer, oui. À entrer dans des crews, des groupes de danse en fait, à faire connaissance. Au début j’y allais en touriste et puis, petit à petit, quand vous montrez que vous avez de la hargne, que vous vous entrainez dans votre coin, des liens se créent. On a souvent tendance à croire  que le hip hop est encore aujourd’hui un milieu hyper macho, fermé, mais ce n’est plus du tout le cas. Personnellement je n’ai jamais ressenti d’exclusion, quelle qu’elle soit, du fait d’être une femme.

 

Mais ça a quand même été le cas pendant de nombreuses années. Il y avait, au début, peu, voire pas de femmes reconnues dans cette discipline. Aussi  bien dans les battles que lorsque le hip hop a commencé à investir la scène.

Oui c’est certain. Ça a été vrai jusque dans les années 2000. Mais moi j’ai eu de la chance, je suis arrivée en 2004. D’autres femmes avaient déjà fait tout le travail. On me pose souvent cette question : « As-tu ressenti une grande exclusion ? » Mais en fait pas du tout, au contraire.

Roméos et Juliettes de Sébastien Lefrançois

Roméos et Juliettes de Sébastien Lefrançois

Comment se sont faits vos premiers pas en tant que danseuse professionnelle ?

À 18 ans, ayant atteint la majorité, j’ai décidé de me présenter à des auditions. Et j’ai eu la chance d’être prise à la première ! Je dis la chance parce que j’étais là au bon moment, au bon endroit. J’ai été choisie pour une pièce de Sébastien Lefrançois qui s’appelle Roméos et Juliettes. C’était une reprise de rôle, je dansais celui de Juliette. Il s’avère qu’il cherchait non seulement une danseuse mais aussi un physique, il ne faut pas le nier. Il avait besoin de quelqu’un de jeune, fragile, puisque la Juliette de Shakespeare a 15 ans. Et moi j’étais là, à 18 ans, et je correspondais à ce physique. J’ai été engagée et je me suis retrouvée tout de suite plongée, immergée dans le milieu professionnel. La pièce était produite par le théâtre de Suresnes.

 

Déjà Suresnes…

Oui déjà. C’est à Suresnes que j’ai fait mes premiers pas sur scène. C’était une grosse production, une grosse tournée, une grosse équipe, un gros spectacle, un gros rôle… Enfin tout était gros (rires) ! Et ça a été dur parce que, même si j’étais ravie évidemment, j’ai eu pendant longtemps un souci de légitimité. Je ne me sentais pas du tout légitime à cette place, avec toute cette visibilité. Je ne me sentais pas à la hauteur.

 

Mais si Sébastien Lefrançois vous a donné le rôle, c’est sûrement qu’il croyait en vous. Ça ne pouvait être uniquement pour votre physique.

Oui bien sûr. Mais il était vraiment dur avec moi. Il me faisait comprendre que je n’étais pas encore à la hauteur. Nous avions de bonnes relations mais c’était vraiment difficile. Il était très exigent. Enfin, c’est comme ça que je me suis retrouvée lancée, et même propulsée, dans le milieu de la scène que je ne connaissais pas du tout. Jusqu’alors j’étais dans le milieu underground du hip hop, les battles, les clips…

 

Cela me fait penser aux débuts du hip hop. La transition de la rue à la scène n’a pas été facile. Il y avait pour les pionniers beaucoup de nouvelles choses à appréhender, l’occupation de l’espace scénique notamment.

Oui, c’est un vrai travail à part entière que l’on n’a pas dans la rue. Ce sont deux choses complètement différentes. Interpréter sur scène ça n’a rien à voir avec ce que je faisais avant. Mais j’y ai découvert une manière de m’exprimer dont je ne soupçonnais pas l’existence. Ça a vraiment réveillé des vocations en moi, très fortes.

Elles de Sylvain Groud

Elles de Sylvain Groud

Ces premiers pas sur scène ont étés difficiles pour vous mais ont malgré tout fait naître un vrai engouement ?

Oui, une grande excitation. Et ce problème de légitimité s’est peu à peu apaisé avec les autres expériences que j’ai eues par la suite, où j’étais vraiment en création avec les chorégraphes. Ça change tout. J’ai enchainé les rôles. Comme beaucoup de chorégraphes avaient pu me voir sur scène, ils me contactaient, nous faisions des essais et je me suis, comme ça, retrouvée sur beaucoup de projets. J’ai aussi passé quelques auditions, mais plus aucune ces quatre dernières années. Quand vous vous êtes fait un réseau, qu’il est là, c’est suffisant pour que ça marche.

Ma deuxième expérience a été Elles, une pièce de Sylvain Groud. La rencontre avec l’écriture contemporaine, via ce chorégraphe-là, a été un moment très fort. Il m’est apparu comme une évidence que c’était plus ma voie que le hip hop. C’est peut-être dû à mon père qui est un musicien contemporain de renom (ndlr : Pascal Gallois), j’ai baigné dans cet univers. C’est peut-être inconsciemment pour cette raison que j’ai mieux vu mon avenir dans cette direction-là.

 

Vous êtes entrée dans la danse par le hip hop mais finalement, votre chemin est plutôt le contemporain ?

Oui. Mais je ne me suis pas dit du jour au lendemain, « Ok, maintenant je fais du contemporain« . C’est vraiment petit à petit que j’ai tourné dans cette direction.

Ce solo dans Elles, la pièce de Sylvain, mêlait texte et danse. Ceci m’a plu énormément et m’a donné envie de prendre des cours de théâtre, pour mon plaisir personnel mais aussi pour enrichir mon interprétation sur scène. Je n’en ai fait qu’un an, mais assez intensément. J’allais à l’Ecole de Théâtre de Paris, une petite école sans grande prétention mais que j’ai trouvée très valorisante, très juste.

Royaume Uni d'Angelin Preljocaj

Royaume Uni d’Angelin Preljocaj

La première fois que je  vous ai vue danser c’était justement dans Elles, à l’amphithéâtre de l’Opéra Bastille. Je vous avais trouvée très talentueuse. Je vous ai revue ensuite à Suresnes, dans Royaume Uni d’Angelin Preljocaj, dans lequel vous m’aviez à nouveau fait forte impression. Pouvez-vous nous parler de cette expérience ?

Merci ! Cette expérience avec Angelin a elle aussi été très forte. Il est d’une extrême exigence, que je n’avais pas. Qu’aucune des quatre interprètes n’avait d’ailleurs. J’avais d’énormes lacunes en danse contemporaine, je ne maitrisais pas du tout cette technique. J’ai donc commencé à prendre des cours en parallèle, chez Peter Goss qui est un super pédagogue. Il m’avait été conseillé par l’assistante d’Angelin.

Pour cette pièce j’ai vraiment appris en l’observant, lui, travailler. Il met une grande distance avec ses interprètes quand il est en création. Il s’isole, crée dans son coin et ensuite il vous livre des phrases chorégraphiques. On est obligé de s’adapter, de prendre au vol, de réinterpréter à notre manière en étant le plus fidèle possible à l’idée du début. C’est un autre travail. Vous mettez votre danse personnelle de côté et vous êtes complètement au service d’une autre esthétique. Vous êtes un peu la machine qui exécute. Mais j’ai adoré. Adoré ce travail parce qu’il m’a vraiment appris ce qu’amène l’exigence dans le mouvement. Ce que ça donne, quel en est le résultat. Ça a beaucoup résonné en moi.

J’ai aussi travaillé avec beaucoup d’autres chorégraphes, hip hop comme contemporains.

 

Après ce parcours, comment êtes-vous venue à la chorégraphie ? Etait-ce une envie présente dès le début ?

Oui, l’envie était là dès que j’ai été interprète. Surtout après l’expérience avec Sylvain Groud, qui était une co-création. C’était la danse de chacune, même si lui mettait parfois sa patte. C’était vraiment une grande chance d’avoir pu travailler dans ce cadre. Ça a réveillé chez moi une vraie vocation d’auteure je dirais, si je peux me permettre de dire ça. Là encore, j’ai ce souci de légitimité que j’avais à l’époque en tant qu’interprète.

 

Pourtant dès votre première pièce, P=mg, vous obtenez une dizaine de prix internationaux, et à l’occasion de la deuxième, Diagnostic F 20.9, le magazine Tanz vous nomme meilleur espoir de l’année. Est-ce que ça ne donne pas confiance ?

Là aussi j’ai eu de la chance (rires) ! Si, ça me donne véritablement confiance, c’est vrai. Je ne reste pas aveugle à tout ce qui se passe. Il y a des choses concrètes et j’en suis parfaitement consciente, et très heureuse. Mais je cherche encore qu’elle est véritablement ma signature. Je pense que j’ai encore beaucoup à apprendre, beaucoup à chercher, beaucoup à expérimenter.

 

Mais n’est-ce pas normal quand on en est au début de sa carrière de chorégraphe ?

Oui. J’ai parfaitement conscience que la signature artistique d’un auteur est quelque chose qui se construit. Ça ne se trouve pas comme ça. J’expérimente aujourd’hui vraiment plein de choses et c’est hyper vibrant, hyper excitant. Je me sens un peu comme un enfant qui a un nouveau jouet et qui veut le retourner dans tous les sens. Et qui veut en faire un grand jouet, tout simplement (rires) !

P=mg de Jann Gallois

P=mg de Jann Gallois

Revenons à vos premiers pas de chorégraphe. Comment avez-vous créé votre premier solo ?

En 2012, j’étais arrivée à un stade où j’avais accumulé beaucoup de bagage professionnel et technique, beaucoup d’expériences avec différentes compagnies. C’était une période où je me remettais vraiment en question. Qui suis-je vraiment ? Quelle est ma place dans tout ça ? Pourquoi est-ce que je fais ça ? Voilà, pourquoi ? Pour en revenir à ma famille, le lien a toujours été très compliqué avec mes parents, et notamment avec mon père, qui est une personnalité très forte. Un soir, j’ai réellement pris conscience que finalement, si il n’avait pas été là, avec son caractère dictatorial, si le poids du père n’avait pas été là, je n’aurais peut-être jamais fait de danse. Je n’aurais jamais eu besoin de monter cette marche, de franchir cette barrière et je ne serais jamais arrivée dans le champ d’à côté, qui est celui de la danse, un nouvel univers. Quand j’ai pris conscience de ça, j’ai eu pour la première fois envie de dire merci à mon père, alors que jusqu’à ce moment c’était très froid, très conflictuel, très compliqué entre nous.

Ça a été tellement fort que j’ai pensé qu’il y avait matière à créer autour de ça, en terme de danse. Parce que j’avais aussi cette envie, comme une cocotte minute, pressante, de sortir un peu ce qu’il y a vraiment au fond de moi, des choses personnelles, sans en faire quelque chose d’autobiographique. J’ai comparé ce poids du père avec la gravité, cette force qui est constante et qu’on doit chaque jour surmonter alors qu’on en n’a pas forcément conscience. Qui nous permet d’être ce que l’on est,  qui nous permet de marcher, d’avancer. Cette comparaison m’a parue évidente. Alors je me suis enfermée en studio, à Suresnes où ils m’en ont gracieusement prêté un pendant trois semaines. J’improvisais des heures et des heures sur ce poids de la gravité, sur cette force qui nous tire vers le bas et qui en fait nous permet d’aller vers le haut. Et il en est sorti un solo ! J’ai créé un solo sur cette thématique-là. C’est à dire quelles sont toutes les étapes que traverse un corps pour surmonter une telle situation, et quel est l’état de fin que le corps atteint et qu’il n’aurait pas atteint si cette force n’avait pas été là.

C’était vraiment une recherche chorégraphique qui me faisait du bien personnellement. Une espèce de petite psychothérapie. Mais il s’avère qu’à ce moment là, on m’a appelée pour savoir si je n’avais pas quelque chose à présenter pour le prix Beaumarchais. Du coup j’ai dis que oui, j’avais quelque chose mais que je ne l’avais jamais montré à personne, que ce serait une première. J’ai donc présenté cette pièce qui fait entre 15 et 20 mn, le bon format pour le prix. Ça a été un super succès, j’ai gagné le prix. La salle était remplie de beaucoup de programmateurs. Ma pièce a tout de suite été diffusée et ça a fait boule de neige. Alors j’ai continué solidement, sans me laisser porter par l’avalanche, parce qu’il faut garder les pieds sur terre. J’ai aussi eu la chance de gagner pas mal d’autres prix à l’étranger, ce qui a pu étendre mon réseau. Ça m’a donné confiance et envie d’aller encore plus loin, de travailler sur un autre solo, dont vous avez pu voir un extrait à Suresnes.

Diagnostic F20.9 de Jann Gallois

Diagnostic F20.9 de Jann Gallois

La version de Diagnostic F20.9 présentée l’année dernière à Suresnes était un extrait ?

Oui, c’était même pratiquement une étape de travail. La vraie première a eu lieu à Lille, au Festival Le Grand Bain, en avril dernier. La pièce fait maintenant 55 minutes.

Comme je m’étais intéressée exclusivement à des contraintes physiques pour P=mg, j’ai eu envie de passer à un travail qui concernerait  des contraintes psychologiques. Comment retranscrire ces contraintes psychologiques par le corps, puisque je reste évidemment intéressée par le langage du corps. J’ai fait des recherches sur les mécanismes de contrôle et de perte de contrôle du corps, avec des spécialistes de sciences cognitives et des psychiatres que j’avais réussi à solliciter, à réunir. J’ai rencontré une personne atteinte de schizophrénie, et ça a été une rencontre fabuleuse. Enfin, très très forte humainement.

 

Comment l’avez-vous rencontrée ?

Par l’intermédiaire d’un metteur en scène qui travaille avec des personnes atteintes de troubles psychiques. Dans son groupe il y avait un schizophrène. Je me suis rendue compte que je ne connaissais rien à cette maladie. Et que, pire encore, j’avais des idées très fausses, comme 99 % des gens. J’imaginais des serial killers, comme on les montre à la télé ou au cinéma, des gens à exclure, absolument dangereux. Et pas du tout ! Ça m’a bouleversée. En plus de ça, en étudiant plus particulièrement les symptômes de la schizophrénie et comment ça se traduit physiquement, j’y ai vraiment vu matière à pétrir pour innover dans des recherches d’états de corps. Du coup, je me suis lancée à fond dans ce monde un peu inconnu des troubles psychiques, qui fait très peur. Et j’ai eu envie de créer cette pièce, ce solo, avec un travail un peu théâtral pour mettre en pratique tout ce que j’avais pu vivre et apprendre. Le texte avait une place à part entière parce que le corps ne suffisait pas pour une telle thématique. Il y avait des aspects que je voulais vraiment transmettre et que je ne trouvais que par les mots.

 

Dans la phase de travail qui a été présentée à Suresnes, il me semble qu’il y avait assez peu de mots.

Ce n’est pas une pièce de théâtre évidemment. Il y a plus de moments dansés que de moments parlés. Mais dans la version longue, il y a d’autres textes qui arrivent.

Diagnostic F20.9 a fait beaucoup moins de bruit que P=mg. C’était voulu de ma part. Je sais que beaucoup attendaient un P=mg bis, mais refaire la même chose ne m’intéressait pas du tout. Comme je l’ai dit, j’ai envie d’explorer plein de choses. C’est le moment pour ça, je suis jeune. Cette recherche m’a énormément apporté. Témoigner, rentrer dans la peau de, aussi, d’une personne qui n’est pas comme les autres, mais qui est juste plus que les autres. Plus sensible, ou plus en colère, ou plus amoureuse, c’est ça qui est assez fascinant chez eux.

Compact de Jann Gallois

Compact de Jann Gallois

Parlons maintenant de Compact, votre dernière création, que nous avons hâte de découvrir.

J’ai eu envie de continuer sur la même lignée que les deux pièces précédentes, de travailler sur un seul corps, mais cette fois-ci avec 4 bras, 4 jambes et 2 têtes. De travailler sur la recherche technique, dans l’imbrication de deux corps, la proximité entre deux corps. Quelle place laisse-t-on à l’autre ? Et dans une telle contrainte, celle de rester vraiment compact, comment faire naitre de la chorégraphie, de la danse ? Comme il y a un corps masculin et un corps féminin, ça évoque directement des choses très fortes. Toute la relation homme femme peut s’y lire du début à la fin.

 

Est-ce une pièce qui explore aussi l’érotisme ?

Pas du tout ! Evidemment on se retrouve dans des positions rocambolesques (rires). Mais on en joue, il y a beaucoup d’humour dans cette pièce. Beaucoup d’humour parce que le travail sur Diagnostic F20.9 était très pesant. Avec Compact, j’avais envie de revenir à une contrainte exclusivement physique, avec une approche beaucoup plus légère. Même si après l’humour du début, on passe aux choses sérieuses…

 

Outre l’érotisme, deux corps imbriqués peuvent évoquer une bagarre…

Eh oui ! Il y a de grosses bagarres, inévitablement. Parce que c’est antinaturel d’être collé à quelqu’un constamment. Ça empiète votre intimité…

 

Avez-vous là aussi envie d’en faire un plus long format par la suite ?

Non, Compact dure volontairement une trentaine de minutes et restera une forme courte. J’ai envie d’aller à l’essentiel avec cette thématique. Et puis c’est éprouvant physiquement ! Parce que, ce qui m’intéresse est aussi l’idée de changer les systématismes dans une relation homme femme. De se retrouver avec un corps féminin qui peut être parfois plus fort qu’un corps masculin. On s’adapte, on trouve des alternatives, des techniques qui permettent de changer les habitudes.

 

Il y a dans Compact un aspect féministe ?

Non je n’irais pas jusque là. Toute la pièce n’est pas axée sur ça, ce sont juste des moments, même si ce sont des moments forts.

 

Alors votre envie est plutôt de surprendre, d’aller à l’encontre de l’idée qui voudraient qu’un corps d’homme soit toujours plus fort qu’un corps de femme ?

Oui c’est ça. Mais surtout de trouver un équilibre entre les deux. Tout au long de la pièce, le but est de trouver l’harmonie entre ces deux corps. Au début ils ne s’imbriquent pas, même s’ils sont collés. Comment petit à petit, trouver l’harmonie pour laisser la place à l’autre tout en gardant la sienne ? C’est toute cette écriture là que je cherche.

Compact de Jann Gallois

Compact de Jann Gallois

Pourquoi avoir choisi Rafael Smajda comme partenaire pour cette pièce ?

Rafael est comme moi, issu de la danse hip hop, même si lui en est resté plus proche, avec un univers très contemporain, semblable au mien. Nous sommes aussi presque de la même taille, et si nous n’avons pas le même poids il est souple, musclé. Si l’on veut être pragmatique, cela compte aussi pour ce genre de chorégraphie, nos deux corps doivent pouvoir fonctionner ensemble. Pour moi c’était le partenaire parfait. Et puis il m’a fait entièrement confiance sur ce projet. Alors nous sommes partis ensemble sur cette création.

 

Vous dites chercher votre signature mais dans ces trois pièces, il me semble qu’il y a des similitudes. Vous partez à chaque fois de contraintes physiques pour leur donner un sens psychique, ou, à l’inverse, de contraintes psychiques pour les traduire dans le corps. Ce qui finalement représente les deux pendants d’une même démarche.

Oui c’est ça, exactement. Mais je n’ai pas de méthode à proprement parler. Tout est bon pour moi, si je sens que c’est juste. Juste dans le corps, ou dans l’envie de faire. Je pense qu’être artiste, c’est tout simplement exprimer ce que c’est qu’être humain. Pour moi, ça se fait via le corps évidemment. Et que ce soit une sensation du corps, qu’ensuite j’amène à une interprétation humaine ou l’inverse, une sensation humaine, psychique que j’amène vers un langage du corps, les deux me vont.

 

Comment vit une jeune chorégraphe contemporaine aujourd’hui ? Vous restez aussi une danseuse puisque vous interprétez vos créations, quelle est votre routine, prenez-vous encore des cours régulièrement ?

Malheureusement, je n’ai plus le temps de prendre de cours. Je suis tout le temps soit en tournée, soit en résidence pour des périodes de deux à trois semaines intenses, dans des lieux différents, en France ou à l’étranger selon les partenaires qui coproduisent mes projets. Quand, rarement, je suis chez moi, je reste clouée devant mon ordinateur parce qu’une compagnie demande aussi une gestion énorme. Heureusement, j’ai maintenant une équipe avec un administrateur et un chargé de production et de diffusion. Nous sommes donc trois à travailler pour Burn Out. Il y aussi une équipe qui s’occupe de la gestion technique des spectacles.

Concrètement, le quotidien d’une jeune chorégraphe, c’est de solliciter sans arrêt des professionnels pour qu’ils viennent voir les spectacles, ou d’être en rendez-vous pour parler d’un prochain projet. Trouver des soutiens, parce qu’on en manque toujours, même si il y a en a qui sont fidèles. Finaliser un budget est de plus en plus dur. On nous donne des enveloppes mais elles sont toutes petites. Ce sont des miettes, plus des miettes, il faut trouver beaucoup de miettes pour faire une tranche de pain. Ça demande une énergie énorme.

Je continue aussi à être interprète pour d’autres chorégraphes. J’avais arrêté depuis deux ans, parce que je n’en avais plus le temps. Mais cette année, Yann Lheureux, un chorégraphe basé à Montpelier, m’a proposé un projet hyper cohérent. Un duo avec Mora Morales, une danseuse cubaine absolument magnifique que j’admire depuis longtemps. Ses dates de résidence tombaient parfaitement dans mes trous de planning, donc je lui ai dit « Ok on y va, on fonce« . Je serai heureuse de retrouver le plaisir d’être au service de quelqu’un. C’est moins stressant parce qu’on n’a pas le même challenge du résultat. Je serai en résidence avec lui avant la première du spectacle en avril.

Donc voilà, j’ai une vie sociale très réduite (rires) ! Mais qui existe quand même dans un petit cercle d’amis. Je ne suis pas du tout une grande fêtarde, plutôt une grande bosseuse.

Compact de Jann Gallois

Compact de Jann Gallois

Pour finir, il y a actuellement une polémique sur la création d’un diplôme supérieur professionnel de danse hip hop. Mourad Merzouki et Kader Attou, les institutionnels, défendent ce projet alors que le reste du monde hip hop a plutôt tendance à le fustiger. Avez-vous un avis sur cette question ?

Les choses sont encore à l’état de discussion et il m’est difficile de prendre position. Je ne me suis pas assez penchée sur ce sujet. Si Mourad et Kader veulent le mettre en place, c’est pour une bonne cause, ce ne sont pas des gens qui veulent détruire le hip hop, ils ne sont pas mal intentionnés. Cependant, personnellement, je n’en ai pas eu besoin. C’est un diplôme d’interprète et, jusqu’à preuve du contraire, on n’apprend pas ce métier en dehors de la scène. De plus, étant donné la situation économique de la culture aujourd’hui, si il y a de l’argent à débloquer, je ne suis pas sure que ce soit la première urgence. Peut-être y en a-t-il d’autres, notamment aider les jeunes compagnies, aider l’émergence chorégraphique.

 

C’est une remarque qui revient régulièrement dans la bouche des acteurs du hip hop. Le problème n’est pas de former de bons danseurs, on les a, mais de leur permettre de travailler, de tourner. Selon eux, l’effort doit être fait sur la diffusion.

C’est exactement ça, on fonctionne un peu à l’envers. Peut-être qu’on pourrait d’abord aider les jeunes compagnies, les chorégraphes émergents et ensuite, pourquoi pas, ce diplôme qui viendrait concrétiser tout le reste…

 

Compact de Jann Gallois est présenté lors de la soirée Cités danse connexions #1 du festival Suresnes cités danse, du 16 au 18 janvier

 

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