Triptyque des 7 Doigts de la main – « Faire rencontrer la danse et le cirque »
Sur Danses avec la plume, nous aimons beaucoup Les 7 Doigts de la main, troupe québécoise de cirque contemporain aux formidables spectacles (Cuisine & Confessions, Traces, Séquence 8, La Vie…). Triptyque, leur spectacle créé en 2015 et en tournée en France du 19 janvier au 11 février, ne pouvait que nous interpeller. Son principe est en effet de mélanger le cirque et la danse en faisant appel à trois chorégraphes : le jeune Marcos Morau, Victor Quijada et l’emblématique Marie Chouinard. Samuel Tétreault, l’un des fondateurs des 7 Doigts de la main et directeur artistique de Triptyque (il est également l’un des interprètes de la pièce) nous explique le cheminement artistique de ce spectacle un peu particulier et comment ces deux disciplines peuvent s’enrichir.
Les 7 Doigts de la main est une troupe expérimentée avec des spectacles portant bien sa signature. Pourquoi avez-vous eu envie de travailler, de façon générale, avec des chorégraphes ?
En tant qu’artiste, j’ai toujours été passionné par le mouvement et la danse. Et j’ai toujours eu envie d’explorer les métissages entre la danse et le cirque. Je l’avais toujours fait à une certaine échelle dans nos spectacles. En 2012, je me suis blessé. Puis j’ai eu 40 ans, et j’ai commencé à me dire que, si je voulais faire de nouvelles expériences sur scène, c’était maintenant, pendant que le corps pouvait encore suivre. Parmi mes rêves, il y avait cette idée d’aller plus loin et provoquer une rencontre entre le cirque et la danse. Le tout en me mettant moi en scène et en allant à la rencontre d’autres chorégraphes. J’ai croisé un producteur avec qui j’avais envie de travailler, on a voulu faire appel à trois chorégraphes différents, et donc de monter un triptyque. C’était un peu un cadeau personnel de scène que je me faisais pour mes 40 ans.
Quel est le rapport à la danse chez les 7 Doigts de la main ?
Notre approche du cirque contemporain est théâtral, et proche d’une certaine façon de la danse. Nous sommes devenus des maîtres de chorégraphie acrobatique, qui se voit dans des spectacles comme Traces, Cuisine et confession ou Séquence 8. Il y a toujours le désir d’explorer un langage chorégraphique à partir du vocabulaire acrobatique que l’on met en scène. Mais Triptyque va plus loin, en abandonnant une structure de spectacle basée sur des numéros qui s’enchaînent. Il est plus proche d’une écriture chorégraphique plus abstraite. Les autres « Doigts » ont en tout cas été solidaires de ma démarche, ça allait dans la continuité de ce que l’on faisait.
Comment avez-vous choisi les trois chorégraphes de Triptyque ?
Il y a eu dès le début cette idée d’aller à la rencontre de trois univers chorégraphiques très différents. Marie Chouinard est un nom très évocateur sur la scène de la danse canadienne et mondiale, elle est une référence. Victor Quijada est plus jeune. On se connaît depuis 15 ans et j’affectionne beaucoup son style chorégraphique, qui mélange break-dance ou danse contemporain. Notre co-producteur londonien m’a ensuite présenté plusieurs chorégraphes et j’ai flashé sur Marcos Morau, une tête montante de la danse contemporaine européenne.
Quelle est votre place dans Triptyque ? Vous êtes crédité comme directeur artistique et interprète.
Depuis 15 ans, c’est moi qui dirige les spectacles dans lesquels je me produits. Sur Triptyque, je me laisse plus guider. En restant le directeur artistique de l’ensemble, j’ai établi des paramètres de départ, une ligne directrice. Puis chaque processus a été un peu différent.
Quelle a justement été cette ligne directrice ?
Je voulais que cette rencontre de la danse et du cirque soit aussi une rencontre entre le public de la danse et le public du cirque. Je souhaitais ainsi une progression au fil du spectacle à travers ces trois pièces. La première devait être plus proche de la danse contemporaine et plus éloignée du cirque. La deuxième devait représenter ces deux formes artistiques de façon équivalente. Et la troisième serait plus proche du cirque. Au fil des pièces, ces différents publics se retrouvent donc tour à tour en territoire inconnu et en territoire plus familier. Sur les huit artistes de la troupe, cinq viennent clairement du cirque avec un fort intérêt pour la danse, les trois autres sont des danseurs qui ont déjà flirté avec le cirque.
La deuxième piste de réflexion était le rapport à la gravité, d’un point de vue littéral ou plus métaphorique. Chaque être humain est en constant dialogue avec la gravité, encore plus quand on est acrobate ou danseur. se. On essaye de lui échapper mais on en a aussi besoin, que ce soit le.la danseur.se, le.la jongleur.se, l’équilibriste… Puis il y a une réflexion plus abstraite : qu’est-ce qui est écrasant dans la vie d’un être humain ? La tragédie, la mort, les responsabilités… L’humour, la légèreté, l’imaginaire ou le rêve permettent de la combattre. Tout cela s’équilibre de façon très différente dans chacune des trois pièces de Triptyque. La première pièce est très accrochée à la gravité, il n’y a pas d’acrobatie. On commence à s’en décrocher dans la deuxième pièce avec les équilibres et on s’envole pour la troisième avec des passages aériens.
Comment s’est ensuite passé le processus créatif avec ces trois chorégraphes ?
Il a été très différent selon chacun. Marie Chouinard a été claire dès le début du processus : elle était ouverte pour aller à la découverte de mon univers, mais elle voulait prendre le contrôle de la pièce. Son duo Anne & Samuel est donc vraiment sa vision. En discutant de la thématique, elle a proposé de partir sur une recherche avec des béquilles, qu’elle avait déjà utilisées par moments dans une autre pièce et qu’elle voulait développer. On a aussi beaucoup parlé pour incorporer plus d’acrobaties, mais on s’est rendu compte que la pièce n’en avait pas besoin. Je pense que le désir premier de Marie Chouinard était de faire une pièce sur le corps d’un acrobate et d’une danseuse. La rencontre a d’abord été celle avec des interprètes plutôt qu’avec le cirque.
Avec Victor Quijada, nous étions plus dans la rencontre entre ces arts. J’étais plus impliqué dans la scénographie, j’ai proposé des concepts qui pouvaient selon moi être prometteurs. Mais il est resté le maître d’oeuvre et je suis devenu interprète. Variations 9.81 (le rapport à la valeur constante gravitationnelle) est un quintette d’équilibristes, avec une recherche circassienne pour développer un langage chorégraphique à partir de la technique de cinq équilibristes virtuoses. C’est assez nouveau de faire un groupe d’équilibristes, qui travaillent plutôt seul ou en duo. Ça ouvre un champ de perspective, ça peut se voir comme un petit ballet.
Marcos Morau n’a eu pour sa part que trois semaines de création pour sa pièce Nocturnes, ce qui est peu. Isabelle Chassé (autre co-fondatrice des 7 Doigts) et moi avons donc co-dirigé cette pièce. Il a eu une carte blanche mais en dialogue avec nous. C’est lui qui a eu la plus grande possibilité d’aller à la rencontre du cirque, avec des équilibres, du jonglage, de l’aérien. C’est très subtil et fascinant, avec beaucoup de virtuosité. C’était d’ailleurs intéressant de voir son regard chorégraphique sur ces différentes disciplines de cirque. Et c’était intéressant de voir comment les danseur.se.s réagissaient lors des séances d’improvisation.
Qu’est-ce que la danse peut apporter au cirque et inversement ?
La danse peut apporter une subtilité et une autre sensibilité. Il y a toujours dans la danse le désir d’exprimer quelque chose, d’explorer des choses abstraites dans le mouvement. La danse peut aussi amener une complexité chorégraphique plus poussée, qui amène l’évolution des disciplines circassiennes vers quelque chose de plus chorégraphique. À l’inverse, le cirque peut apporter à la danse l’idée d’aller encore plus loin avec le corps tridimensionnel, de le faire s’envoler par exemple. Je suis toujours un peu frustré devant un spectacle de danse, j’ai l’impression que le mouvement s’arrête vite alors qu’il pourrait aller beaucoup plus loin. Le corps de l’acrobate a d’autres possibilités. Ce mélange est aussi intéressant pour le public. L’art du cirque est considéré comme un art populaire, que le public de la danse contemporaine peut regarder d’un oeil un peu condescendant. Un spectacle comme Triptyque peut montrer à ce public que les artistes du cirque sont aussi au service d’une vision artistique, que ce n’est pas que du divertissement où l’on cherche les applaudissements à la fin des numéros.
Est-ce que ce spectacle vous a donné envie de travailler avec d’autres chorégraphes ?
Oui ! J’ai envie d’explorer ce que je peux faire en tant qu’acrobate-danseur. J’ai toute sorte de rêve… J’aimerais bien travailler avec Louise Lecavalier, elle a une grande dramaturgie de la danse. Le travail de Sidi Larbi Cherkaoui me parle beaucoup aussi, il y a une grande dimension théâtrale et une réflexion humaniste dans son travail. Pourquoi pas aussi une nouvelle création avec Marcos Morau, il a adoré travailler avec les 7 Doigts et les arts du cirque. J’imagine en tout cas plutôt un solo en tant qu’équilibriste et acrobate, qui va au bout de lui-même.
Quels sont les projets des 7 Doigts de la main pour 2017 ?
Notre nouvelle création Réversible tourne beaucoup, dont en France et au Bataclan en février. Pour les nouveaux projets, nous sommes tous les six (ndlr : l’une des co-fondatrices est partie) assez indépendants, contrairement à la plupart des autre compagnies, même si nous nous retrouvons souvent en duo ou trio pour les créations. Mais c’est un peu comme si nous étions six compagnies en une, il y a donc toujours 4 ou 5 spectacles qui se montent en même temps. Notre gros projet pour 2017 reste l’ouverture de notre centre de création et de production qui va ouvrir en septembre. Jusqu’alors, nous n’avions pas de studio de répétition : nous sommes itinérants et nous créons en fonction des projets. Nous avons acheté une ancienne brasserie que l’on transforme pour qu’elle devienne notre espace. Ce sera un lieu pour l’administration, un endroit de recherche et de création pour nos spectacles, un accueil pour jeunes artistes aussi, donner des cours, et assurer la relève et la transmission du travail des 7 Doigts.`
Triptyque des 7 Doigts de la main : jusqu’au 21 janvier à la Maison des Arts de Créteil, du 25 au 28 janvier à Annecy, les 4 et 5 février à Miramas, du 9 au 11 février à Aix-en-Provence et du 17 au 18 mars au Luxembourg.