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[Les Étés de la Danse] Rencontre Yannick Lebrun, danseur français de l’Alvin Ailey American Dance Theater 

L’Alvin Ailey American Dance Theater revient à Paris du 4 au 22 juillet pour trois semaines de représentations aux Étés de la Danse. Parmi la trentaine d’artistes de la troupe, il y a un Français, Yannick Lebrun. Né en Guyane, il est venu à 18 ans à New York à l’école Alvin Ailey avant d’intégrer la troupe il y a bientôt dix ans. Pour DALP, il raconte son amour pour cette compagnie, son histoire, son énergie si particulière et son propre parcours qui l’a fait voyager de Guyane à Manhattan. Et en bonus, ses quelques conseils pour tous ceux et celles qui tenteront l’audition pour la Ailey School le 15 juillet. 

Yannick Lebrun, danseur à l’Alvin Ailey American Dance Theater 

 

Comment pourrait-on définir le style de l’Alvin Ailey American Dance Theater ?

C’est une compagnie riche en physicalité, en émotion, en histoire. Nous dansons des ballets avec des styles de danse très différents : jazz, Horton, Graham, moderne, classique, hip hop, danse africaine… Nous avons beaucoup d’énergie, les danseur.se.s sont très physiques comparé.e.s à d’autres troupes, ils dégagent une puissance et une présence en scène très communicatives. Cela vient des ballets que nous dansons. Certains sont porteurs de messages universels, d’autres sont plus dans la comédie, ou le drame. Tous les artistes d’Alvin Ailey ont ça en eux. On ne peut pas danser dans cette troupe sans puiser au plus profond de soi.

 

Comment expliquer l’enracinement assumé de l’Alvin Ailey American Dance Theater dans la culture afro-américaine, qui du point de vue français n’est pas forcément facile à saisir ?

Alvin Ailey venait du Texas. Il a créé sa compagnie dans ce mouvement de ségrégation raciale, avec une vraie séparation des noirs et des blancs dans le sud des États-Unis. Il parle dans ses ballets de souvenirs douloureux, de la condition des noirs, de l’esclavage, mais aussi des souvenirs du gospel, de la spiritualité afro-américaine. À la base, il voulait célébrer la beauté des danseur.se.s noir.es avec sa troupe, mais lui-même a engagé des interprètes blancs ou asiatiques, ce qui est toujours le cas aujourd’hui. C’est pour ça que ses ballets parlent à tout le monde. Ils transmettent un message universel, nous sommes une compagnie universelle. On le ressent dès que l’on voyage, ses oeuvres sont applaudies aux quatre coins du globe ! Aujourd’hui, les ballets d’Alvin Ailey sont une porte ouverte à la culture des États-Unis.

 

Le ballet phare de la troupe reste Revelation d’Alvin Ailey, dansé presque tous les soirs, qui évoque justement cette culture afro-américaine sur fond de musique gospel. Vous êtes depuis bientôt 10 ans dans la compagnie, vous pensez l’avoir déjà dansé combien de fois ?

Bonne question (rires) ! Je dansais déjà ce ballet dans la compagnie junior en 2006 et j’ai intégré la troupe en 2008… Je dirais presque 1.000 fois.

Revelation d’Alvin Ailey

Comment fait-on pour ne pas se lasser ?

On me pose souvent la question ! En tant que danseur professionnel, qui a choisi de venir ici, qui a rêvé de cette troupe, qui a fait un long chemin depuis la Guyane jusqu’à New York, je ne peux pas me lasser de danser cette pièce maitresse. Chaque fois que nous dansons ce ballet, nous savons qu’il y a quelqu’un dans la salle qui le voit pour la première fois. Il est comme une œuvre d’art que nous présentons aux gens. C’est quelque chose de très important. Cette pièce demande beaucoup de sérieux, de concentration, beaucoup d’émotion. Il faut aller puiser au fond de soi pour la danser.

 

Quels autres ballets dansez-vous pendant cette tournée aux Étés de la Danse qui vous tiennent particulièrement à cœur ?

J’aime beaucoup danser le solo In/Side de notre directeur Robert Battle sur une musique très forte de Nina Simone, qui me permet de me libérer et de me lâcher sur scène. J’aime aussi danser Four Corners de Ronald K.Brown, qui mélange la technique moderne avec la danse africaine, sur une bonne musique afro qui bouge, c’est magnifique. Aussi Piazzolla Caldera de Paul Taylor qui mélange le tango avec la technique Taylor, Exodus de Rennie Harris dans une veine hip hop, ou le duo plus classique After the rain de Christopher Wheeldon.

 

Vous êtes originaire de Guyane. Comment êtes-vous arrivé chez Alvin Ailey ?

J’ai commencé la danse dans une association dirigée par Jeanine Verin, une femme très importante qui a beaucoup fait pour le développement de la danse en Guyane. Et là-bas, c’est la compagnie Alvin Ailey qui me faisait rêver, qui me donnait de l’espoir, qui me montrait qu’un danseur noir pouvait être sur scène, qu’un garçon pouvait danser et faire partie d’une compagnie, et qu’il pouvait vivre de la danse. D’autres danseur.se.s de Guyane sont parti.e.s vers la métropole, mais pour moi, mon style m’amenait vers Alvin Ailey et les États-Unis. Au début des années 2000, j’ai passé le concours de la CND. Denise Jefferson, qui dirigeait alors l’Ailey School, était dans le jury. Elle a été une personne très importante pour moi. Elle m’a offert une bourse pour une summer school en 2002, un voyage que je n’oublierai jamais, puis une autre en 2003. En 2004, j’ai eu mon bac ES, il fallait faire un choix. J’ai pris ma décision, je me suis lancé. Je ne pensais pas avoir le niveau pour l’Ailey School, il n’y a pas de sport-étude en Guyane, pas de conservatoire. Mais Denise Jefferson m’a offert une bourse de deux ans de 2004 à 2006. Puis j’ai intégré la compagnie junior en 2006, et la compagnie Alvin Ailey en 2008.

Yannick Lebrun et Linda Celeste Sims – Alvin Ailey American Dance Theater 

Depuis bientôt dix ans que vous êtes dans cette troupe, comment avez-vous évolué ?

Quand on démarre, on est en bas de la liste. On apprend de tout, on observe beaucoup, on s’enrichit avec les chorégraphes et les différents types de danse que l’on fait. On gagne en maturité. On s’ouvre au monde parce que l’on voyage beaucoup. Tout ça m’a permis d’être le danseur que je suis aujourd’hui. Je suis fier de mon parcours. En 2017, je suis sur l’affiche de la compagnie, je la représente, c’est très important au sein d’une troupe de danse. C’est aussi une représentation pour la France, l’outre-mer et la Guyane.

 

Vous avez 30 ans. Vous vous projetez toujours chez Alvin Ailey pour la suite de votre carrière ?

Oui ! Certains artistes sont chez Alvin Ailey depuis 20 ans. Je me vois encore longtemps ici, en espérant que mon corps tienne. Je touche du bois, je n’ai pas eu de graves blessures jusque-là. J’adore cette troupe, je grandis beaucoup avec elle et j’ai encore beaucoup à apprendre. J’aime la direction que nous prenons avec ces nouveaux chorégraphes, ces nouveaux styles. J’espère aussi me projeter dans d’autres domaines : oeuvrer pour le développement de la danse en Guyane, me lancer dans la chorégraphie, ce que j’ai déjà un peu commencé à faire, travailler avec des associations qui amènent l’art et la danse à des enfants qui n’y ont pas accès, pourquoi pas aussi me lancer dans le monde du cinéma.

 

L’Alvin Ailey American Dance Theater est basé à New York. C’est comment la vie dans cette ville pour un danseur guyanais ? 

Mes débuts ont été un peu durs : il faut s’adapter au climat, à la mentalité, à la langue. Mais j’ai joué le jeu, je me suis adapté, je me suis fait des amis, je me suis ouvert. C’est ce qui m’a permis de voir le monde différemment. Parce que New York, c’est une petite planète ! Toutes les cultures se croisent, les gens sont très ouverts, on se sent libre. C’est la ville qui m’a donné la possibilité d’atteindre mes objectifs, de me faire un nom. Et elle donne une place très importante à la scène : la danse, le théâtre, le chant, la comédie musicale… C’est très important et valorisé là-bas. 

 

The Ailey School, l’école de la compagnie Alvin Ailey, organise une audition pendant les Étés de la Danse. Quels conseils pouvez-vous donner aux apprenti.e.s danseur.se.s français.ses qui vont s’y présenter ?

Il ne faut pas qu’ils aient peur de montrer qui ils ont. Aux États-Unis, les gens savent oser et se mettre en avant. Il faut avoir cette forme d’audace, montrer que l’on a cette pêche, cette envie de danser et de réussir. Il ne faut pas rester dans son coin. Puis pendant les cours et ateliers, de faire très attention à tout ce qui est montré et d’être très précis. Et surtout, d’avoir confiance en soi !

 

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