Bruno Bouché, nouveau directeur du Ballet du Rhin : « Je veux créer un répertoire du XXIe siècle »
« Les planètes sont alignées« , s’amuse Bruno Bouché. L’ancien Sujet du Ballet de l’Opéra de Paris a fait ses adieux au Palais Garnier le 18 juin dernier sur une note haute, en participant à la soirée Jeunes chorégraphes avec une création ambitieuse pour 15 danseur.se.s, Undoing World. Mais pas de répit pour lui puisqu’il prend les rênes du Ballet du Rhin dès cette saison. Bruno Bouché regorge d’ambition pour cette compagnie nationale où il entend défendre à la fois le patrimoine et la création. Rencontre alors que la troupe fait sa rentrée.
En prenant la direction du Ballet du Rhin, vous affirmez vouloir faire un Ballet du XXIe siècle. Que mettez-vous derrière cette formule ?
Ce que j’ai en tête, c’est d’inventer de nouveaux chemins de créations avec des artistes formé.e.s au ballet académique, et sortir des chemins de la danse néo-classique qui ont déjà été tracés à travers George Balanchine, William Forsythe ou Jirí Kylián. J’ai le sentiment que l’on suit toujours ces trois grandes figures qui ont bousculé tous les codes de la danse classique. Je voudrais aussi constituer un répertoire du XXIe siècle. Bien sur, il y a les grands classiques du répertoire. Mais au Ballet du Rhin, nous n’avons pas les moyens de défendre ce genre de ballets et je trouve que ce répertoire est merveilleusement défendu par l’Opéra de Paris, aussi par les Ballets de Bordeaux et du Capitole. J’ai envie de porter des grands ballets et d’essayer d’imaginer de nouvelles créations à partir d’œuvres qui n’ont pas été forcément traitées de manière chorégraphique. Nous avons 32 danseur.se.s au Ballet du Rhin, et ma réflexion, c’est de concevoir comment, avec ces moyens-là, on peut inventer de nouvelles formes sans renier le ballet académique. Je vais répondre à ce défi de saison en saison, je n’ai pas encore toutes les clefs. Je suis quelqu’un qui s’est nourri de l’ouverture aux autres, Le Lac des Cygnes me bouleverse tout autant qu’une œuvre de Pina Bausch ou d’Alain Platel.
Comment le désir de chorégraphier est arrivé dans votre carrière ?
J’ai le souvenir que, dès l’enfance, j’avais envie de danser et d’improviser des spectacles. Mais le désir de chorégraphier n’a pas été immédiat, d’abord parce que j’avais envie de danser. Et puis j’avais un rapport à la création très littéraire : je lisais, j’écrivais, j’élaborais plein d’idées mais ça restait dans mes carnets. Puis il y a eu l’aventure Incidence chorégraphique, la compagnie que j’ai créée. Un jour, à cause d’une blessure, il manquait une partie du spectacle. Une amie m’a demandé si je n’avais rien à proposer. J’ai répondu qu’effectivement, j’avais dans mes cahiers une pièce complètement terminée. Ce fut le point de départ et le désir de chorégraphier est né.
Est-ce que cette expérience vous a fait prendre conscience que vous étiez capable de diriger et d’organiser un collectif, une troupe ?
Tout à fait. Ce savoir-là, je l’ai appris sur le tas et c’est aussi pour ça que j’aime bien ce mot d’Incidence qui renvoie aux choses qui arrivent par hasard. Oui, c’est comme ça que j’ai pris conscience que j’avais une certaine envie et une certaine capacité d’organisation.
L’étape suivante, c’est la direction du Ballet du Rhin et là encore c’est aussi un peu le hasard qui vous a conduit à ce poste…
Cela faisait déjà quelques années que j’exprimais le désir de diriger une entité. J’en avais parlé à Brigitte Lefèvre qui m’avait conseillé de ne pas m’embarquer dans la direction d’une compagnie indépendante car c’est un travail colossal et périlleux financièrement. J’avais suivi son conseil et je suis resté à l’Opéra de Paris. Puis j’ai participé à Biarritz à un concours de jeunes chorégraphes qu’organisait Thierry Malandain. Et là, tout le monde m’est tombé dessus littéralement et m’a dit de postuler au Ballet du Rhin. J’avais 15 jours pour monter un dossier et rencontrer des gens, ça m’a passionné. Il s’agissait aussi de parler de l’aspect politique : comment doit fonctionner une programmation? Je me suis donné à fond et j’ai été retenu.
Précisément, parlons de votre programmation : vos ouvrez la saison avec trois pièces de trois chorégraphes majeurs : William Forsythe, (Quintet), Jirí Kylián (27’52″) et Uwe Scholz (Jeune Homme). Qu’est-ce que ce choix dit de vous et votre projet ?
Il y a deux points essentiels. Tout d’abord, c’est la base à partir de laquelle j’aimerais constituer le répertoire de cette compagnie. Pour moi, ce sont trois chorégraphes majeurs qui ont en commun de travailler avec le langage académique, mais qui ont créé des œuvres contemporaines. Et puis ils viennent tous de Stuttgart et ce n’est pas comme par enchantement : ils viennent tous de l’école de John Cranko et de Marcia Haydée qui ont eu envie de faire émerger des chorégraphes du monde du ballet. Stuttgart a toujours été un lieu de création et je souhaite que nous ayons des liens très forts avec cette maison.
Justement , la proximité du Ballet du Rhin avec l’Allemagne, est-ce que c’est quelque chose qui est entré en ligne de compte dans votre réflexion ?
Je dirais que cela m’a passionné, le transfrontalier et l’histoire de la chorégraphie européenne avec la France, l’Allemagne, la Belgique qui n‘est pas loin. On peut imaginer des coproductions et j’ai le sentiment que géographiquement, le Ballet du Rhin est à un endroit stratégique, il rassemble une identité très européenne.
Vous aviez dit au revoir à l’Opéra de Paris en proposant aux danseur.se.s une création qui était le fruit de l’Académie chorégraphique initiée par Benjamin Millepied qui avait invité William Forsythe pour travailler avec vous. Que vous a apporté cette rencontre ?
Nous avons travaillé 15 jours en studio avec lui, tous les jours. Il y avait des ateliers qui sont toujours passionnants car il a 30 ans d’avance. Mais là où j’ai le plus appris, c’est en discutant avec lui : du désir d’être chorégraphe, ce désir un peu fou parce que ce n’est pas simple. William Forsythe en parle comme d’un archétype à la résistance car nous sommes toujours confrontés au réel : on a un imaginaire fou, et puis on est confronté au corps humain qui a des possibilités incroyables, mais qui a aussi ses limites. Et puis, il parlait aussi de cette solitude du chorégraphe. Et bien qu’il soit l’un des plus grands, il a toujours le trac et a du mal à regarder son propre travail. Il est dans une exigence constante. Et c’est très stimulant, d’autant qu’il propose une vision globale qui ne se limite pas à la danse, mais au monde tel qu’il est aujourd’hui. D’une certaine manière, je me suis senti moins seul dans ma démarche car cet état d’esprit résonne en moi.
Plus tard dans la saison, vous avez programmé une soirée israélienne sous le patronage du chorégraphe Ohad Naharin que l’on connaît bien et qui sera accompagné de deux nouveaux venus, Gil Carlos Harush et Idan Sharabi que vous nous ferez découvrir.
J’avais eu la chance de rencontrer Idan Sharabi lors d’une tournée d’Incidences Chorégraphique. il venait de la NDT2, la troupe de jeunes danseurs du Nederlands Dans Theater et il commençait à porter son propre travail. Lui aussi est dans une démarche de création contemporaine mais il travaille avec des danseur.se.s qui ont une formation académique. Gil Carlos Harush vient d’un monde très différent, plus proche du théâtre, mais cela l’intéressait de s’inscrire dans cette démarche et même de travailler avec des danseuses sur pointes. Je veux aussi que le Ballet du Rhin soit un vivier pour les nouveaux.elles créateurs et créatrices.
Un changement de direction, c’est aussi souvent un renouvellement de la compagnie. Vous avez recruté douze danseur-se-s. Quels ont été vos critères lors de ces auditions ?
Il y a bien sûr une sélection technique. Mais j’ai essayé aussi de percevoir leurs désirs, savoir ce qu’ils et elles recherchaient. Je voulais être certain qu’ils avaient un vrai engagement vis-à-vis de mon projet. Je pense que, quand on danse dans une compagnie nationale telle que le Ballet de l’Opéra du Rhin, les artistes se doivent de se donner à 200 %. C’est cet engagement-là que je veux pour toutes et tous. C’est d’autant plus important que les temps sont difficiles : il y a moins de moyens et on se doit donc de défendre ces grandes institutions. Et là, je parle pour toutes les grandes compagnies nationales que ce soit Paris, Toulouse ou Bordeaux qui se doivent de défendre les grandes productions classiques mais aussi la création car c’est comme cela que l’on attire le public d’aujourd’hui. C’est cet équilibre-là qu’il faut trouver.
Soirée d’ouverture de l’Opéra du Rhin (choeur, orchestre et Ballet) les 27 et 28 septembre et 7 octobre.
Programme Forsythe/Kylián/Scholz du 19 octobre au 19 novembre.
Programme Plus loin l’Europe : Israël du 14 mars au 29 avril.