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Prix de Lausanne 2018 – Rencontre avec le candidat Théodore Poubeau

Théodore Poubeau, élève de 18 ans au CNSMDP, est le seul candidat français (après l’abandon de Melvil Lawoni) à concours au Prix de Lausanne 2018. DALP l’a rencontré lors du deuxième jour de compétition. Il nous parle de son parcours de danseur qui a démarré tardivement, ses études au Conservatoire et bien sûr son ressenti sur le Prix de Lausanne. 

Des vidéos et photos en coulisse, des interviews des candidat.e.s et bien d’autres choses sur ce Prix de Lausanne 2018 sont à retrouver sur le compte Instagram de DALP

Théodore Poubeau au Prix de Lausanne 2018

 

Tout d’abord, comment avez-vous démarré la danse ? 

J’ai commencé la danse classique à 13 ans et 4 jours. Avant, je faisais un peu de hip hop, des claquettes, j’ai fait du karaté et du handball aussi. J’étais plus sportif que danseur. J’ai dû accompagner ma soeur au stage d’Angers à l’internat parce qu’elle était trop jeune. Je me disais que j’allais essayer, mais j’avais plutôt l’image cliché de la danse classique. Mon premier cours a dû être avec Monique Arabian. C’était dur ! Mais à la fin du stage, Bruno Bouché et Daniel Agésilas, qui dirigeait à ce moment-là les études chorégraphiques du CNSMDP, m’ont demandé depuis combien de temps je dansais. Cela faisait donc cinq jours ! Ils m’ont conseillé de me présenter au Conservatoire, au CNSMDP, que j’avais des capacités. Suite à ce stage, je suis allé prendre des cours chez Monique Arabian, ma soeur y était depuis un an. Elle est à l’École de l’Opéra maintenant, en 3e division. J’ai commencé par le cours intermédiaire, avec des élèves qui avaient entre 10 et 12 ans. J’ai appris les bases. C’était assez compliqué au début, un tombé-pas de bourré-glissade-assemblée me paraissait impossible à faire. Au bout de quatre mois, j’ai essayé le cours moyen. J’y ai retrouvé des amis du stage d’Angers, je me suis accroché.

 

Est-ce que la pratique du hip hop vous a aidé pour cet apprentissage ? 

Pas vraiment, je suis reparti de la base. Je danse d’ailleurs différemment maintenant sur de la musique. Quand j’étais petit, les choses venaient toutes seules, j’ai plus de mal à improviser maintenant. Cela a pu un petit peu me fermer, mais maintenant j’arrive un peu à retrouver ces premières sensations. 

 

Comment êtes-vous entré au CNSMDP ?

Quelques mois après avoir commencé les cours de danse chez Monique Arabian, j’ai présenté le CNSMDP et le CRR de Paris. Je n’ai pas eu le premier, ce dont je me doutais, mais j’ai eu le CRR. J’allais rentrer en 3e, je me suis dit c’était pas mal de tester une année en sport-étude, et de reprendre en seconde dans un lycée normal si cela ne me plaisait pas. J’ai passé un an au CRR, j’ai rencontré plein de gens, des danseur.se.s classiques, mais aussi contemporains, des musiciens… Et des gens qui ne se moquaient pas de moi quand je disais que je faisais de la danse. J’ai retenté le CNSMDP, c’était alors Clairemarie Osta qui dirigeait les classes de danse, et j’ai été pris. 

 

Comment s’est passée votre formation au Conservatoire ? 

Je suis rentré en seconde scolaire et en deuxième année. J’ai vraiment passé trois années géniales, et très différente les uns des autres. J’ai vécu beaucoup de choses, appris tellement de choses, avec des personnes qui nous poussent. J’ai passé mon Prix l’année dernière, en même temps que mon bac. En 2e année, j’ai eu comme professeur Bertrand Belem et un peu Sergueï Soloviev. C’était vraiment une découverte, je n’y connaissais pas grand-chose. Bertrand Belem est très dans l’école française, on a beaucoup travaillé sur la petite batterie. Au Prix de Lausanne, je vois la différence avec certains candidats qui sont moins aptes à ce genre d’exercice. Je retrouve ce genre de choses dans les cours de Patrick Armand, je me sens plus à l’aise avec ça.

En 3e année, j’ai eu Laurent Novis et Jean-Guillaume Bart. Avec le premier, on travaillait beaucoup l’endurance, on faisait des séries, on enchainait, on refaisait, c’était dur. L’on pouvait avoir de grosses après-midi de 4h avec lui, avec un cours de danse classique et un cours de répertoire. Trois fois par semaine, nous avions cours avec Jean-Guillaume Bart. Il impose tout de suite quelque chose, dès qu’il rentre dans la salle, on est tous très concentré avec lui. Il insistait beaucoup sur le fait d’être présent dans une danse. Et de donner une figure presque antique à son geste, de retrouver des postures des statues. En 4e année, j’ai eu Gil Isoart. Techniquement, on a beaucoup travaillé le pied ! De façon globale, il m’a donné beaucoup en méthode de travail. Comment travailler de façon plus indépendante, penser plus vite, réfléchir, être réactif en fonction de la situation. Je m’en sers beaucoup depuis que je suis au prix de Lausanne. Je me sens serein là-dessus, il m’a appris comment travailler. Il m’a appris beaucoup de choses ! 

Théodore Poubeau au Prix de Lausanne 2018

Où en êtes-vous aujourd’hui ? 

Je suis actuellement dans le cursus étuDiANSE avec Sergueï Soloviev. Il travaille beaucoup sur la théorie de la danse, quand Gil Isoart est vraiment sur le fait de danser. Ce sont deux choses très différentes. Ces six premiers mois avec Sergueï Soloviev ont été très bénéfiques, j’arrive à sentir de nouvelles choses dans mes jambes, qui m’ont permis de m’affiner, d’aller plus loin dans mes mouvements.

 

Pourquoi avoir voulu tenter le Prix de Lausanne ? 

J’ai voulu présenter le Prix de Lausanne pour m’ouvrir un peu à l’international. Pour essayer d’avoir un poste bien sûr, aussi pour les rencontres, pour l’expérience. C’est quelque chose qui me tentait beaucoup.

 

Quel est votre objectif au Prix de Lausanne ? 

J’aimerais bien sûr aller en finale, et je suis déterminé à y aller. Tous les matins, je me lève en me disant que je travaille pour aller en finale, que je vais en finale. Je pense que c’est important, il faut être très déterminé. Et je suis sûr que cela se voit devant le jury. Mais présent en finale ou pas, j’espère trouver une école ou une compagnie pour l’année prochaine. 

 

Comment avez-vous choisi vos variations ? 

J’ai choisi la variation de Paquita, que j’avais déjà dansé en juin pour mon Prix. J’ai hésité avec celle de Siegfried. Mais j’ai déjà Paquita dans les jambes, j’ai mes repères, je suis plus apte à la faire. Je préférais me focaliser sur une variation que je connaissais déjà. Pour la variation contemporaine, j’ai regardé les cinq possibles. J’ai choisi Out of Breath de Louise Deleur. La musique m’inspirait beaucoup. 

 

Comment vous êtes-vous préparé pour le Prix de Lausanne ? 

Au CNSMDP, nous sommes un peu tout seuls pour ce genre de concours, ce qui peut être démotivant. J’ai d’ailleurs dû faire la vidéo de sélection seul, il n’y a pas de temps spécifique pour préparer les concours. J’ai travaillé avec Sergueï Soloviev, surtout avec Gil Isaort. Ce dernier m’a dit : « Si tu veux passer, tu t’accroches, et je te fais travailler quand j’ai le temps« . Il me faisait passer ma variation 5-10 minutes avant une répétition, ou après, ou il restait un peu plus tard le soir. Il a vraiment donné de son temps alors que rien ne l’y obligeait, je lui en suis très reconnaissant. Avec lui, j’ai travaillé le côté dansant de la variation, la présence, la technique aussi. Avec Sergueï Soloviev, on a beaucoup travaillé les révoltades et les pirouettes. Pour la variation contemporaine, je l’ai apprise seul, puis j’ai travaillé avec Céline Talon, la maîtresse de ballet d’étuDiANSE. Elle a beaucoup insisté sur le transfert du poids du corps, l’allongement des bras et des jambes, elle a fait un travail très précis. Je l’ai aussi un peu travaillée avec Gil Isoart, et avec Daniel Condamines qui est professeure de danse contemporaine que j’ai vu 2-3 fois. Comme nous n’avons plus de cours de danse contemporaine en étuDiANSE, j’ai pris quelques cours avec le cursus contemporain avant le Prix de Lausanne. 

 

Beaucoup d’élèves viennent avec leur coach ou leur professeur. C’est un inconvénient de ne pas l’être ? 

Je suis venu avec mon père. Ça a une importance de venir avec son coach. Mais être accompagné par sa famille, ça permet de mieux décompresser le soir. 

Théodore Poubeau au Prix de Lausanne 2018

Comment se sont passés ces premiers jours au Prix de Lausanne ? 

Le premier jour, j’étais assez stressé de voir tout ce monde. J’ai dû me dire : « Allez, ok, ça va bien se passer« . Quelques jours avant de venir, j’ai commencé à me projeter dans le lieu. Ce théâtre et ces studios imposent le respect, de la puissance. J’étais vraiment très heureux lors du premier cours de danse dimanche. Je me voyais dans cette salle, que j’ai toujours vue en photo ou en vidéo, et maintenant c’était à mon tour d’être là. C’est génial ! J’ai compris qu’il y avait du très très bon niveau. Mais il faut savoir rester soi-même, montrer que l’on est content d’être là, se montrer, être heureux. Le jury recherche ça. J’étais plus stressée lundi. C’est un peu normal, on dansait devant le jury, on changeait de place à la barre tous les deux exercices. Au milieu, Patrick Armand nous a dit : « Mais souriez ! Vous êtes content d’être là ou pas ?« . Mais comment j’avais pu oublier ça ? J’ai pris confiance, j’ai dansé, tout simplement, et tout passait un peu mieux. Il faut être bien, montrer que l’on est heureux d’être là

 

Comment gérez-vous la fatigue ? 

Je suis rentré lundi soir à 20h. Et c’est un peu dur de ce coucher tôt, on a toute l’énergie de la journée en soi. Hier, je n’arrivais pas à dormir, je repensais à la journée, à ce qu’il faut corriger pour le lendemain. J’étais vraiment trop plein d’énergie. Alors que je devais me lever à 6h15 le lendemain. C’est un peu dur sur le coup, mais une fois que la machine est lancée, tout va bien. 

 

Comment sont les cours par rapport à ce que vous avez l’habitude de faire ? 

Il y a des différences et des similitudes, c’est évident. Dans le cours de danse classique de Patrick Armand, je retrouve les batteries, les diagonales de pirouettes, certaines petites choses. Je me sentais un peu plus à l’aise de savoir que c’était lui qui donnait les cours, je savais qu’il était français. Le cours de danse contemporaine reste très différent. Ce n’est pas du tout la même technique, le professeur Duncan Rownes nous fait travailler avec plus de punch. Mais c’est ça qui est intéressant et enrichissant.

 

Et le premier coaching des variations contemporaines ? 

J’étais un peu stressé au début, on est six à passer la même variation. Je suis passé, j’ai regardé un peu les autres, je me suis comparé. Mais ça s’est plutôt bien passé. Louise Deleur m’a bien corrigé, des détails, des angles, des diagonales, des glissades qui doivent être plus arrondies dans le manège, des petites choses qui ont leur importance.

 

La pente n’est pas trop dure à apprivoiser ? 

Je ne suis pas du tout habitué à la pente, tout est plat au CNSMDP. Pour ma variation contemporaine, ça démarre avec deux pirouettes et une pirouette à la seconde, ça a été un petit choc la première fois sur scène (sourire). Mais j’ai l’impression que le corps s’y habitue rapidement. Pour le classique, on a fait un cours sur scène et ça allait. Pour la variation, il faut se concentrer sur les pirouettes. 

 

Comment vous situez-vous par rapport aux autres garçons de votre cours ? Quelles sont vos qualités à vous ? 

On me dit que je tourne bien, mais il y a des candidats ici qui font huit tours, ce n’est pas le même niveau. Et on m’a toujours dit que je reflétais un peu la lumière, que j’avais une bonne présence. Je vais essayer de m’en servir cette semaine. Le premier jour est très impressionnant, quand on voit le niveau de certains candidats, comme Shale Wagman cette année. Mais c’est super de danser avec des gens comme ça ! On apprend beaucoup en regardant les autres. Je regarde les lives à la fin de la journée, les variations des candidats de mon groupe. Ils font des choses qui sont différentes, c’est un concours international et l’on n’a pas l’habitude de voir ça tous les jours. Je m’en inspire, sans chercher à faire les mêmes choses, mais ça apporte des petits trucs en plus. Et j’essaye de parler avec tout le monde. C’est super d’échanger avec des gens qui viennent d’Australie, de l’autre bout de la planète ! Ce sont de superbes opportunités, il ne faut pas que le langage limite ça.

 

Dans quelle compagnie aimeriez-vous aller ? 

J’aime bien la compagnie Junior du Het Nationale Ballet. Elle m’inspire beaucoup, je trouve la troupe superbe. L’ENB aussi, l’ABT, ce sont des rêves ! Mais certains élèves du CNSMDP ont décroché des places à l’école de l’ABT au Prix de Lausanne, alors pourquoi pas. Il y a tellement de compagnies en fait ! Je n’ai pas envie de rester à Paris, j’y suis depuis 18 ans, j’ai envie de bouger. L’étranger m’inspire, j’ai envie d’aller voir ailleurs. J’aimerais une carrière qui mêle classique et contemporain, c’est de toute façon difficile de faire autrement aujourd’hui. J’ai pu faire un stage de répertoire William Forsythe en Espagne, on a travaillé sur In the Middle et c’était vraiment génial. Toutes ces rythmiques, ces changements de poids du corps, c’est whaou ! J’ai travaillé aussi le répertoire du NDT, mais je me rends bien compte que c’est une formation très différente de ce que j’ai eu.

Théodore Poubeau au Prix de Lausanne 2018

Pour en revenir au Prix de Lausanne, qu’aimeriez-vous vous dire juste après être sorti de scène après la demi-finale ? 

J’aimerais pouvoir me dire que j’ai fait un bon travail et que je suis fier de ce que j’ai fait cette semaine. Me dire que j’ai fait ce que j’avais çà faire, que je suis venu pour danser et que c’est ce que j’ai fait. Que c’était une semaine enrichissante, au niveau des expériences comme des rencontres. Si je suis là, ce n’est pas pour faire de la figuration. Si j’ai été sélectionné, c’est que j’ai sûrement le niveau. Alors autant y aller à fond, sans regret. Au début, je me disais que Lausanne allait être dur, qu’il y aurait des « tueurs » comme on dit. Et bien oui, il y en a, mais ce n’est pas pour autant qu’il faut qu’on se cache ! Il faut montrer ce que l’on sait faire en France !

 

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