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Ballet de l’Opéra de Rhin – Bruno Bouché : « J’ai envie de tirer un fil plus politique »

Ancien danseur de l’Opéra de Paris et fort de son expérience à la tête d’Incidence chorégraphique, Bruno Bouché prenait la saison dernières les rênes du Ballet de l’Opéra du Rhin, l’une des grandes compagnies françaises, avec l’ambition de l’ouvrir sur l’Europe, d’enrichir le répertoire et de renouveler la troupe. Il y a un an, il nous confiait ses ambitions. Nous l’avons à nouveau rencontré pour faire un premier bilan et découvrir sa deuxième saison, qui démarre avec Spectres d’Europe le 11 octobre à Mulhouse.

Bruno Bouché

Quel bilan faites-vous de cette première année à la tête du Ballet du Rhin ?

Je crois que ce projet a suscité l’adoption de tous, il y a eu des retours très positifs. Et c’était en phase avec les intentions de la nouvelle directrice de l’Opéra du Rhin, Eva Kleinitz, qui a l’ambition de donner un nouveau souffle à cette grande maison. J’inscrirais cette première saison comme un socle, avoir des bases solides en respectant l’héritage et puis donner aussi des directions pour mon projet, celui d’un Ballet européen au XXIe siècle.

 

Quels ont été pour vous les moments très forts de cette première saison ?

Cela a été à chaque fois très fort en émotions. Le programme inaugural (Soirée Forsythe/Kylian/Scholz) a été un grand succès et c’était évidemment très rassurant, j’en fus très heureux. Chaplin fut un succès public au delà de nos espérances, il a fallu hélas refuser du monde, non seulement à Strasbourg mais aussi à Mulhouse où c’est plus compliqué de susciter un intérêt pour l’art chorégraphique car on n’est pas face au même public. Strasbourg, c’est une ville étudiante, dynamique sur le plan de la culture et c’était donc génial d’être aussi bien reçu là-bas. Il y eut aussi ma première création pour la compagnie dans  la soirée Danser Bach au XXI siècle et ma première commande avec la pièce de Gil Carlos Harush, The Heart of my heart. D’autant plus que cela a très bien fonctionné dans la compagnie : les danseurs et les danseuses ont été bouleversés et ce fut un très beau moment. Hélène Blackburn aussi avec Les Beaux Dormants fut une rencontre très forte pour la troupe.

 

Vous avez en grande partie renouveler la compagnie. Quelle a été sa réaction tout au long de cette saison face à cette programmation ?

Je me sens porté par la compagnie. J’ai choisi 2/3 des danseur.se.s. Bien sûr qu’il y a des questions, beaucoup de questions qui se posent car c’est un projet nouveau. Ce n’est pas toujours simple d’y répondre car c’est une course contre le temps mais j’essaye malgré tout de rester en communication avec les artistes. Globalement, ils sont positifs face à ce projet. C’est vrai qu’il faut aussi s’adapter au langage chorégraphique des  différents créateurs. Et même si mon projet est de rester avec le langage académique, ces chorégraphes viennent avec des codes contemporains et souvent, ils demandent à la compagnie d’apporter du matériel. Et cela, c’était nouveau pour certaines et certains d’entre eux. Cela posait la question de l’auteur et du rôle des interprètes à qui on demande de s’impliquer dans le processus de création, d’improviser. Moi-même, j’aime beaucoup travailler sur les corps. C’est sans doute cette démarche qui a le plus interrogé la troupe.

 

Vous avez aussi fait connaissance avec un nouveau public sur trois lieux différents. Quelle a été sa réaction ?

Je découvre ce public et il y a un vrai dynamisme dans cette région. Il y a cette richesse d’avoir ces trois lieux. C’est une complexité technique et logistique mais au niveau du dynamisme artistique, les résultats sont plus que positifs : nous sommes la compagnie qui a le plus grand nombre de levers de rideau par saison après l’Opéra de Paris. À Strasbourg, ma programmation amène les étudiant.e.s et je m’en réjouis. À Mulhouse, c’est un public plus éloigné. C’est une des villes les plus pauvres de France, la municipalité fait des efforts pour la qualité de vie mais cela reste une ville pauvre. Et moi, cette question me touche : en tant qu’artiste, on n’est pas là pour sauver le Monde, mais est-ce qu’on peut aussi allers vers ces publics ? On a des projets avec 200 collégien.ne.s et lycéen.ne.s de Mulhouse et ses environs qui sont vraiment éloignés du monde de la culture.

Bruno Bouché en répétition pour Fireflies.

C’est précisément à Mulhouse que vous ouvrez cette deuxième saison le 11 octobre avec une nouvelle création que vous signez, Fireflies, et que vous mettez face à une œuvre mythique, La Table Verte de Kurt Jooss, une pièce de 1932 à la fois loufoque et très sombre qui préfigure la montée de l’extrémisme qui va ravager l’Europe. D’où ce titre de la soirée, Spectres d’Europe. Pourquoi ce choix ?

J’ai eu envie de tirer un fil plus politique que l’année dernière. C’est vrai que ce titre, Spectres d’Europe, ça pose une inquiétude au monde comme dirait le philosophe Michel Foucault. Mais je ne suis pas un artiste dans sa tour d’ivoire, je suis un artiste dans le monde d’aujourd’hui. La Table Verte, qui a été créée en 1932, est criante d’actualité. Cette table verte qui représenté la table de la diplomatie où quelques personnes puissantes décident du sort de millions de personnes, fait écho à nos inquiétudes actuelles. Il y a le spectre de la mort.

 

La Table Verte, c’est une pièce fondamentale. Elle est à l’origine de la danse-théâtre que développeront plus tard des chorégraphes aussi importants que Pina Bausch. Pourtant, elle est assez mal connue en France. Vous aviez envie de la remettre sur la scène ?

Oui car elle fait partie de l’histoire du Ballet du Rhin et je suis aussi attaché à cette idée de répertoire. Nous n’avons pas les moyens de monter les grands ballets classiques. J’ai envie de mettre les moyens de production ailleurs et je réfléchis à une autre conception du répertoire. Et cette pièce, qui est une œuvre chorégraphique majeure, a été une pièce importante dans l’histoire du Ballet du Rhin qui a fait le tour du monde avec La Table Verte. C’est en fait assez compliqué car les ayants-droit sont très exigeants. J’espère que ce face-à-face avec une création dans une même soirée va servir l’œuvre.

 

Le deuxième rendez-vous de la saison est intriguant puisque vous avez demandez au chorégraphe d’origine tunisienne Radhouane El Meddeb de s’attaquer au Lac des Cygnes. Une pièce ambitieuse avec 32 danseurs et danseuses sur scène et la partition de Tchaïkovski interprétée par l’Orchestre Philarmonique de Strasbourg. Vous aviez un désir de cygne ?

C’était tout d’abord le désir de Radhouane El Meddeb. J’avais remarqué son travail et sa manière de s’approprier le style dans lequel il créé, que ce soit avec dans une chorégraphie contemporaine ou dans le hip-hop. Il en fait toujours un objet artistique qui va dans l’émotion. On s’est rencontré et on a parlé et il a évoqué la passion qu’il avait pour Le Lac des Cygnes depuis qu’il était tout jeune à Tunis. Avec son père, il regardait en boucle Le Lac à la télévision dans une version classique. Et on a commencé à imaginer un projet en sachant que pour Radhouane El Meddeb, le monde du ballet est un monde étranger aussi bien pour la question de la production que sur le langage académique pour lequel il a beaucoup de respect, mais dont il ne connaît pas les codes. Donc on est parti sur le fait que j’allais l’accompagner ainsi que la compagnie. On est un peu les traducteurs de ses désirs artistiques. Et il travaille sur un langage classique. Ce qui me plaisait dans ce projet, c’est que ce n’était pas un Lac des Cygnes contemporain. Il se base sur les partitions utilisées dans la version Noureev qu’il déconstruit et réaménage.

 

Il y aura de longues séries à Strasbourg, Colmar et Mulhouse mais le public parisien aura l’opportunité de découvrir ce Lac des Cygnes au Théâtre de Chaillot cette saison. C’est évidemment important pour la compagnie ?

Bien sûr ! On peut dire que le Ballet du Rhin repart sur les routes. Et puis Chaillot, c’est un des théâtres de France les plus importants pour la danse. On ira aussi à la Scène Nationale de Reims. C’est un Lac qui est très attendu de par cette rencontre entre deux univers très différents mais pas opposés. Cela fait partie de mon parcours ; je suis là  pour défendre toutes les danses et ça ne doit pas être une question de chapelles. Je ne suis pas dans ce combat-là. Et c’est ça qui intrigue : que vient faire Radhouane El Meddeb dans le ballet ? Cela transforme aussi cette entité ballet qui est dans mon projet de créer un Ballet du XXIe siècle. Et ce type de rencontre est essentiel pour l’avenir d’une compagnie.

Bruno Bouché en répétition pour Fireflies

Vous ferez un tour au printemps prochain du côté du tango  avec Maria de Buenos Aires sur un livret d’Horacio Ferrer et une musique d’Astor Piazzolla dans une chorégraphie de Matias Tripodi. Ce sera un tout autre univers.

Oui et ce sera donc une version chorégraphique de cet opéra-tango qui s’inscrit dans le projet du festival Arsmondo consacré cette saison à l’Argentine. Matias Tripodi a été formé par les plus grands professeurs de tango argentins à Buenos Aires. Il a aussi une formation de linguiste ce qui fait qu’il a aussi une réflexion intellectuelle sur le tango. Et puis il a travaillé au Tanztheater de Wuppertal où il donné des cours de tango à la compagnie. Il a aussi un bagage de danse classique. L’idée n’est pas de faire danser du tango aux artistes du Ballet du Rhin mais c’est d’utiliser toutes ces techniques avec les 16 danseurs et danseuses qui seront sur scène. Ce sera aussi une rencontre avec des chanteurs lyriques et un comédien qui participeront au spectacle.

 

Vous clôturerez cette saison avec un concept qui vous aviez initié lors  de votre première saison autour d’un musicien. L’an dernier, c’était Jean-Sébastien Bach. Cette année Gustav Mahler articulé autour de deux créations. C’est aussi votre ambition de toujours mettre la musique au centre des débats ?

C’est un programme de chorégraphes émergents, le grec Harris Gkekas  et l’israélien Shahar Binyamini. L’idée, c’est de les laisser vraiment libre de traiter la musique de Mahler  comme ils l’entendent. Ils ont tous les deux demandé à un compositeur de réinventer cette musique. Cette soirée, c’est aussi pour sortir d’une logique où les pièces se succèdent sans véritable sens. J’avais envie de mettre un lien et j’ai demandé à un scénographe d’unir les deux univers. Et ce sera un scénographe de l’école du Théâtre National de Strasbourg  qui est un partenaire essentiel pour le ballet.

 

Il y aura aussi une soirée spécifique pour le jeune public : L’atelier des frères Grimm. Et vous avez sollicité les danseurs et danseuses de la compagnie qui ont aussi des velléités de chorégraphier.

J’ai envie de développer cela. Dans les saisons à venir, il y aura d’autres projets qui vont faire participer des danseurs et danseuses chorégraphes. C’est surtout l’idée d’encadrer ces désirs de chorégraphier. Souvent les soirée « jeunes chorégraphes », ce sont des soirées free style sans réelle ligne directrice. Et je pense que quand on est un jeune créateur/créatrice, c’est important d’avoir des contraintes, des structures. Ce sera autour de contes de Grimm, c’est en train de se constituer. Ce sera aussi l’opportunité de sortir de nos murs habituels.

 

Enfin, il y aura une soirée exceptionnelle avec trois compagnies sur scène à la Filature de Mulhouse et aux côtés du Ballet du Rhin ; le Ballett Theater de Basel et le Ballet de Lorraine. Vous aviez cette envie de partage ?

Cela fait partie d’une quinzaine de la danse du Centre Culturel d’Illzach et nous y participons avec ce spectacle. Je crois  que ma direction s’inscrit dans une nouvelle dynamique, avec de nouvelles directions qui ont envie de partager. Chacun a envie d’ouvrir les portes. Nous avons chacun nos spécificités à défendre mais à plusieurs, on peut sans doute aller plus loin. Ce sera une grande fête de la danse

 

Commentaires (1)

  • taboga

    le ballet du rhin devrait etre une entité classique et neo classique comme cela etait avant pour un compagnie pour qu’un directeur se fasse plaisir

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