Ballet du Capitole – Kader Belarbi : “L’ancrage dans le répertoire français est aussi ma mission”
Le Ballet du Capitole fait sa rentrée avec Dans les pas de Noureev, qui démarre le 18 octobre au Théâtre du Capitole. L’occasion d’une rencontre avec Kader Belarbi, le directeur de la troupe, qui nous trace les grandes lignes de sa saison 2018-2019.
Après des saisons marquées par d’importantes créations, comme Casse-Noisette, Giselle ou Don Quichotte, cette saison 2018-2019 est plus un travail sur le répertoire de la compagnie…
Je suis directeur et aussi chorégraphe Aujourd’hui, je sais très bien faire la différence entre les deux. En tant que chorégraphe, je fais des créations comme des réactualisations de ballets que je connais. Mais les choses doivent s’inscrire dans une raison artistique et économique. Et il faut se concentrer sur les besoins du Ballet du Capitole. Cette saison, j’ai reporté des créations. Je n’ai que cinq programmes par saison, je dois faire très attention au dosage, sur ce que je peux poser ou non. Je ne fais pas toujours ce que je veux, mais j’essaye que tout soit toujours de grande qualité, qu’il y ait une résonance avec le public de Toulouse, mais aussi que cela puisse tourner. J’ai une mission publique, chaque euro est compté pour moi, surtout dans ces temps de restrictions budgétaires qui sont le lot de tout le monde. Je sais exactement où va chaque euro. Il faut continuer à rêver tout en trouvant des compromis, mais sans se compromettre.
Le programme Dans les pas de Noureev, qui ouvre la saison, comprend l’entrée au répertoire du Grand pas de Raymonda. Pourquoi ce choix ?
Il y a trois raisons. Une logique artistique d’abord. Monter Raymonda, c’est proposer une façon de danser très particulière, ces positions de ports de bras, ce style russe, cette démonstration de brillance technique, de toutes ces variations. C’est la possibilité de montrer une compagnie dans son émulation. Dans cet exercice de style, elle serre les dents, c’est sûr, mais cela donne la responsabilité à chacun de pouvoir prendre corps avec l’écriture de Rudolf Noureev. Il faut parfois mettre le pied à l’étrier, et cette danse les oblige à ça, elle réclame immédiatement une spontanéité de travail et une responsabilité. il y avait aussi une volonté que les garçons dansent. Avec seulement l’acte III de La Bayadère, il y avait un déséquilibre dans ce programme. Avec Raymonda, les garçons ont le pas de quatre, Bernard et Bérangé que j’ai rajoutés et le pas de huit. Leur présence est effective. Quand j’ai 35 danseurs et danseuses, je veux que personne ne soit sur la touche, que tout le monde puisse danser. Il y a enfin une raison économique. Nous sommes parti la saison dernière au Brésil avec ce programme – six standing-ovations sur sept spectacles, ce qui remplit de bonheur. Le programme était complété par l’acte III de Don Quichotte, mais qui est lourd à tourner. Raymonda a un décor bien plus léger, ce qui permet de l’emmener en tournée bien plus facilement et de s’adapter. Je suis un tourneur à ma manière !
Qu’est-ce que la danse de Rudolf Noureev apporte aux interprètes ?
La danse de Rudolf Noureev oblige. Vous ne pouvez pas danser Roméo et Juliette comme Raymonda ou La Belle au bois dormant. Et c’est passionnant de voir comment les danseur-se-s s’incarnent en tant que personnage, mais aussi en tant que style, quand ils ont dépassé l’exigence technique. Ils doivent se prendre en main et c’est pour moi très important comme notion. Et c’est aussi valable pour le corps de ballet. Les Ombres sont une communauté qui, ensemble, doivent dire quelque chose… et pas de la même façon que le corps de ballet de Raymonda.
Cette soirée, c’est aussi faire perdurer un répertoire français. Rudolf Noureev est un chorégraphe français. L’ancrage sur le répertoire français est aussi ma mission, c’est aussi pour ça qu’il y a cette saison Maguy Marin, qu’il y a eu Serge Lifar, Roland Petit… C’est important que nous donnions ces ballets, qu’ils ne soient pas vus qu’à Paris. Et puis c’est aussi de demander ce que l’on doit conserver, transmettre, se demander qui transmet, qui a la lettre et l’esprit de ces chorégraphes. Une fois que ce travail est fait, on peut montrer ces ballets, les faire comprendre par le public, les faire apprécier. Et ça, c’est de la culture. C’est très important et c’est l’une de mes missions.
On peut imaginer un jour une Bayadère en entier au Capitole ?
Si j’avais un ballet plus conséquent, j’aimerais remonter une Bayadère. Je peux difficilement remonter un ballet de Rudolf Noureev, bien qu’il n’ait pas commencé avec les grandes scènes, il a démarré avec des versions d’une trentaine d’interprètes avec le London Festival Ballet. En tant que chorégraphe, je commence à être demandé ailleurs pour des reprises ou des créations. Je pars en Russie et en Estonie pendant une dizaine de jours pour avoir des rencontres et des perspectives, d’une manière personnelle et pour le Ballet du Capitole.
Don Quichotte et La Bête et la Belle, deux ballets que vous signez, sont repris cette saison. On peut déjà imaginer des prises de rôles pour stimuler ces reprises ?
Oui, il y aura sans doute des prises de rôles. Il y en aura déjà dans Dans les pas de Noureev. C’est très important et c’est aussi une question de confiance et d’émulation. Certains jeunes doivent accéder à cette nourriture, et c’est légitime, il n’y a que comme ça que l’on peut dire quelque chose. Il devrait y avoir des promotions d’ici fin décembre.
Après une reprise de Don Quichotte, place à un programme Marin/Soto/Belarbi. Pouvez-vous nous parler de Cayetano Soto, chorégraphe peu connu en France, qui propose sa pièce Fugaz ?
Cayetano Soto est un garçon espagnol d’une grande gentillesse. Les grandes écoles d’aujourd’hui sont celles de Forsythe, de Kylián, de Pina. Il a quelque chose de cet ordre. J’aime les expériences de corps, mais je pense que je préfère les écritures. Pour moi, Cayetano Soto a l’écriture du mouvement, un organique qu’il peut délivrer. Fugaz permet d’entrer dans une grande intimité, puisque la pièce évoque la relation du chorégraphe avec son papa décédé d’une longue maladie. C’est une pièce qui peut être lyrique et abstraite en même temps et qui laisse passer des sentiments particuliers, tout ça sur une gestuelle très contemporaine. Avec Cayetano Soto, on s’est demandé où l’on pouvait commencer à travailler ensemble. On a pensé à une création, ce sera finalement cette reprise pour un premier terrain de connaissance et de reconnaissance avec les interprètes du Capitole. Il reviendra sans doute travailler avec nous.
Dans ce programme, Maguy Marin présente deux pièces. C’est une fidèle du Ballet du Capitole depuis que vous en êtes devenu le directeur.
Le fil conducteur de ce programme est Maguy Marin, présente sur les sept dernières saisons. Nous devions faire une création mais Maguy Marin avait déjà beaucoup d’autres projets, l’idée est donc reportée. Nous redonnons donc Eden et Groosland. Comment croiser le théâtre, la musique et la danse, et ouvrir à plein de formes différentes ? C’est une soirée des “corps vivants”, avec tous les jeux de mots qu’on peut imaginer.
Vous terminez la saison avec un programme autour de Nijinski, thème cher aux directions de compagnie et chorégraphes. Comment avez-vous conçu la soirée ?
J’ai beaucoup étudié Nijinski que je considère comme un génie créateur, j’ai adoré danser Vaslaw de John Neumeier. Je suis en fait partie de la musique, je voulais que tout soit joué en live durant ce programme. Quand on part de cette idée, il n’y a pas tant de chorégraphes que ça qui ont travaillé en live sur cette thématique, ces musiques pour piano. Il faut aussi que ce soit quelqu’un qui ait traversé l’idée de Nijinski. C’est le cas de John Neumeier, son Vaslaw donne au fur et à mesure du ballet l’état et les sentiments de ce personnage. Et puis c’est important que de grands chorégraphes fassent leur entrée au Ballet du Capitole, et qu’ils y soient inscrits. Quand je suis arrivé ici, à part George Balanchine, il n’y avait rien. Et c’est mon travail de doter le Ballet de ballets et de grands noms.
Dans Faun(e) de David Dawson, on est dans un rapport à l’intimité, présenté en deux versions : l’une pour un danseur, l’autre pour une danseuse. Kiki la Rose de Michel Kelemenis est un dédoublement avec la chanteuse et un danseur sur scène, qui pourra d’ailleurs peut-être devenir un solo pour femme, nous verrons avec les premières auditions. Le chorégraphe a travaillé sur l’évanescence, il y aura ce souffle des pétales sur scène lié à ce que Nijinski a traversé avec le Spectre. Enfin la marionnette de Petrouchka sera revue par Stijn Celis, ce sera une traduction contemporaine avec dix danseurs et dix danseuses. Et tout converge avec ce rapport à la musique.
Le Ballet du Capitole a été beaucoup renouvelé ces dernières années. Quelles sont les récentes arrivées ?
Kateryna Shalkina, soliste du Béjart Ballet Lausanne, nous a rejoint en décembre. Elle était venue il y a trois-quatre ans remplacer une danseuse blessée sur Le Corsaire. C’est elle qui est revenue vers moi. Elle voulait changer de braquet dans sa carrière, rentrer dans un domaine plus classique. C’est quelqu’un qui a du charisme. Elle a passé une audition, comme tout le monde, elle a répondu à tous les critères. Je suis très heureux de voir comment cette danseuse fait cette sorte de reconversion. Elle a eu une école, cela ressort aujourd’hui avec sa maturité, elle prouve qui elle est et ce qu’elle peut apporter. Bon nombre de solistes sont intéressés pour venir chez nous, pour se transformer au niveau de leur répertoire et de leur carrière, c’est passionnant mais je n’ai pas assez de places ! Dans le corps de ballet, j’ai fait rentrer Olesia Bocharova, qui vient directement de l’Académie Vaganova. Le capitole est ainsi toujours une troupe cosmopolite, avec 12 nationalités. C’est une très grande richesse, il y a des mentalités et des écoles différentes.
La saison dernière, le Ballet du Capitole a donné de grosses tournées à l’étranger. Qu’en est-il cette saison ?
Nous avons démarré sur les routes, dès le 15 septembre ! Nous avons clôturé le Temps d’aimer à Biarritz et avons démarré le Festival Cadences d’Arcachon avec Giselle, alors que cela faisait une dizaine d’année qu’il n’y avait pas eu un ballet classique dans leur programmation. Si je suis directeur d’un ballet, c’est aussi pour cela. Dans les pas de Noureev va passer à Montpellier, nous serons aussi en Île-de-France avec un programme contemporain Dawson/Forsythe/Godani… Nous serons pas mal en Espagne cette année, avec ce programme et Giselle. Nous avons fait un gros festival en Espagne la saison dernière, ça a été un beau baptême et un tel succès que d’autres villes se sont tournés vers nous. Nous serons à Bilbao, Oviedo, Barcelone, Séville, Grenade, entre autres.