Agnès Letestu : « J’ai toujours eu cette sensation de danser pour le public »
Agnès Letestu a fait ses adieux à la scène le 10 octobre dernier. Un mois plus, tard une rencontre publique a été organisée avec la Danseuse Étoile. Elle y évoque sa carrière, les chorégraphes et ballets qui ont compté dans sa vie d’artiste ou sa passion pour les costumes. Retranscription.
Partons du début : qu’est-ce qui a déterminé votre choix de la danse ?
Le premier pas, c’est un ballet que j’ai vu à la télévision. C’était Le Lac des Cygnes avec Margot Fonteyn et Rudolf Noureev. J’ai eu envie de faire la même chose. Ça englobait d’avoir le même costume de cygne, d’avoir le même partenaire – donc danser avec Noureev (sourires) – et danser Le Lac des Cygnes. Tout était un peu mélangé. Mes parents ont fait le tri et m’ont inscrite à un cours de danse. Ça a très bien marché. Ma professeure m’a suivie pendant deux ans en amateur. Puis elle m’a conseillée de me présenter à l’École de Danse de l’Opéra de Paris.
Comment s’est passé votre scolarité ?
Petite déception, il n’y avait pas de costume (sourire), nous avions une tunique de répétition. Mais la discipline et le travail m’ont beaucoup plu, tout comme le bâtiment (ndlr : l’École était encore au Palais Garnier). Tout se passait ici, au contact des Étoiles. Le matin nous avions les cours de danse, l’après-mdi le corps de ballet venait. On les croisait donc tous les jours, il y avait toujours une passation. Évidemment, cela nous faisait rêver. Et cela restait les seules occasions de les voir, il y avait alors moins de spectacles entre la compagnie et l’École. Maintenant, le rapport est différent : il y a beaucoup de Défilés, de participation de l’École avec le ballet.
L’envie de faire de la danse et de danser de manière professionnelle, dans cette maison, s’est révélée quand je suis rentrée à l’âge de 12 ans, à l’École de l’Opéra de Paris.
Vous rentrez dans le corps de ballet en 1987, vous passez Coryphée, puis Sujet. Vous êtes nommée Première danseuse en 1993, et attendez 1997 pour être nommée Étoile. Avec le recul, quel regard portez-vous sur ce parcours ? Comment avez-vous vécu ces étapes ?
Avec le recul, je pense que c’est arrivé exactement au bon moment. Mais sur le coup, c’était trop lent. Un an après être entrée dans le corps de ballet, je passe mon premier Concours, en 1988. Je suis première, tout se passe bien. Je passe mon deuxième Concours un an plus tard, je suis Sujet, tout va toujours bien. Ensuite, il n’y a pas eu de Concours pendant deux ans, il n’y avait pas de place de Première danseuse. J’attendais… Puis j’ai raté un Concours, je n’ai pas bien dansé. En 1993, je suis finalement montée. Ensuite, il y a eu un laps de temps de quatre ans. Or, pendant ces quatre ans, j’ai eu tous les rôles d’Étoiles : Raymonda, Don Quichotte, Le Lac des Cygnes, La Belle au bois dormant… J’avais les rôles, je n’étais pas malheureuse, mais je ne comprenais pas ce qui se passait.
Que s’est-il passé en fait ?
Hugues Gall, le directeur de l’Opéra de Paris de l’époque, avait décidé de réduire le nombre d’Étoiles et d’augmenter le nombre de Premiers danseurs et Premières danseuses, pour respecter la pyramide et donner une notion assez élitiste au titre d’Étoile. Il fallait donc attendre que les Étoiles en poste partent à la retraite. J’ai donc attendu quatre ans. Sur le moment, je l’ai mal vécu. Mais avec le recul, je trouve que c’est très bien d’aborder tous les rôles, de se poser des questions, de chercher, de se demander pourquoi ce n’est pas assez bien, ce qu’il faut améliorer, de ne pas avoir tout de manière si facile que ça. Sur le moment, je trouvais que c’était lent par rapport à un parcours de danseur. Maintenant, avec le recul, être nommée Étoile à 27 ans, ce n’est pas si tard que ça. C’est une autre génération, c’est différent maintenant. Ce n’est ni mieux ni moins bien, c’est autre chose.
S’il ne fallait retenir que trois rôles sur vos 25 ans de carrière, lesquels choisiriez-vous ?
C’est très difficile ! En ce moment, je range mes affaires, mes vidéos, mes photos. Je me rends compte que j’ai fait énormément de choses, dans tous les styles. J’ai travaillé avec William Forsythe, Mats Ek, Roland Petit, Maurice Béjart…
Il y a bien sûr Le Lac des Cygnes, un rôle fétiche pour moi. Ça a été très important, c’est le ballet qui m’a donné envie de faire de la danse et faire des costumes. Ce fut mon premier ballet en quatre actes, j’ai été nommée Étoile sur ce rôle, j’ai eu la chance de le danser dans le monde entier… Ce ballet m’a suivie toute ma carrière et m’a porté chance.
Il y a aussi La Dame aux camélias. J’ai choisi de finir ma carrière officielle à l’Opéra avec ce ballet, parce que c’est un rôle complet. Ce n’est pas seulement de la danse, c’est aussi du jeu de scène. C’est le plus grand rôle de ma vie, ça dépasse la danse. Et quand le chorégraphe est vivant, qu’il est là pour vous, pour vous expliquer la mise en scène et les moindres détails, ça pousse l’artiste à se dépasser. Évidemment, des rôles comme Giselle ou Juliette sont très importants et on ne se lasse pas de travailler. On les commence à 22 ans, et à 42 ans, on a encore des choses à travailler et à apporter. Mais je ne les ai pas travaillés avec les chorégraphes de leur vivant.
Enfin il y a tout le travail avec Jiří Kylián, avec notamment Kaguyahime. La rencontre avec lui a été formidable. Ses chorégraphies sont géniales, lui est un homme exquis, d’une grande gentillesse et humanité. Il est un peu comme Mats Ek d’ailleurs, il a l’art de travailler avec vous comme si c’était du sur-mesure. Même si vous avez un petit rôle au fond de la scène, il a l’art de vous faire comprendre que ce rôle est primordial et que vous êtes une clé de toute l’histoire. C’est très valorisant de se sentir très importante, d’être une vraie une pierre à l’édifice, même si on a un petit rôle. C’est l’art de ces deux chorégraphes, entre autres.
Il y a un rôle que vous regrettez ?
Manon, je n’ai pas pu le danser. Il y a deux ans, je devais le faire mais je me suis blessée en répétition. J’ai eu une grosse entorse qui m’a mobilisée pendant trois mois. Je l’ai répété mais je n’ai jamais pu le danser. Voilà, ça fait partie des déceptions et rendez-vous loupés d’une carrière, mais j’ai fait d’autres choses.
Avez-vous eu plusieurs phases psychologiques dans votre parcours ? Des moments où vous vous sentiez plus ou moins sûre de vous ?
J’ai eu l’impression d’avoir à prouver tout le temps que j’étais capable de danser un rôle et que j’y étais légitime. Des ballets comme Le Lac des Cygnes ou Raymonda m’étaient attribués de manière naturelle de par mon physique. Mais Giselle ou Roméo et Juliette m’ont été plus difficiles. Un jour, Hugues Gall m’a dit après une Giselle : « J’ai beaucoup aimé votre interprétation. Je ne peux pas dire que j’ai été surpris, parce que je savais que vous alliez en faire quelque chose de bien, mais je voulais vous dire que j’ai apprécié« . Ça m’a fait plaisir.
J’ai eu l’impression de toujours me justifier par rapport à un rôle et la taille que j’ai. Quand on n’est pas dans les normes, il y a des choses que vous devez demander. Ça a été un peu lourd à certains moments. Maintenant, je n’ai pas eu la sensation de danser pour les autres. J’ai toujours eu cette sensation de danser pour le public. Je ne me déconnectais pas du spectacle. J’ai toujours eu l’impression d’être en phase avec mon travail et ce que je faisais sur scène. Je faisais d’abord quelque chose qui me plaisait à moi-même Je ne me suis jamais dit : « Ça va faire de l’effet alors je le fais, mais je ne le sens pas« .
Quels ont été vos partenaires fétiches ?
J’ai évidemment fait toute ma carrière avec José Martinez, en grande majorité. On a toujours eu une grande complicité, une ligne directrice. On peut ne pas se parler et se comprendre tout de même. On a toujours eu les mêmes objectifs, artistiques, techniques, de rigueur, de qualité et de fantaisie. Puis il y a Stéphane Bullion, avec qui j’ai dansé pour ma dernière représentation officielle. Je l’ai rencontré sur la fin de ma carrière, avec La Dame aux camélias. Nicolas Le Riche aussi a été un partenaire avec qui j’ai beaucoup aimé danser… J’ai eu de la chance, j’ai toujours eu des partenaires exquis. Je ne peux pas en retenir un en me disant : « Celui-là, ça a été l’horreur« .
Quels sont les grands chorégraphes qui vous ont marquée ?
Ils sont tous marquants, mais d’une manière différente. Mats Ek a un langage chorégraphique très choisi, très défini. Il a toujours une idée, une histoire narrative, que ce soit Giselle ou Appartement. Ça me porte de raconter quelque chose, même si c’est juste une idée. Les ballets très abstraits me plaisent moins maintenant. Jiří Kylián, c’est la même chose. Même s’il n’y a pas une narration, il y a toujours un sous-texte, une idée. Dans Doux mensonges par exemple, on y voit différentes choses, il y a une ligne conductrice. John Neumeier est aussi intéressant dans son langage chorégraphique que dans sa mise en scène et le sentiment qu’il met pour expliquer un rôle. Travailler avec lui, c’est formidable, on a l’impression d’être dirigée comme une actrice. On apprend la chorégraphie avec les répétiteurs, lui intervient au moment où il faut donner le petit plus qui fait toute la différence : le pourquoi du comment, à quoi il a pensé en faisait tel mouvement sur telle musique.
Quels ont été vos rapports avec Brigitte Lefèvre, votre directrice durant toute votre carrière ?
On s’est très bien entendu, on a toujours eu un dialogue. J’avais envie de faire des rôles. Il y a des moments où elle me disait non, parce qu’elle ne me voyait pas dedans. Puis il y avait une évolution, elle me donnait la chance de les faire. Il y avait des rôles comme Giselle ou Juliette qui me tenaient très à cœur, mais qu’on donne d’emblée à des danseuses petites, par tradition à l’Opéra de Paris. On a toujours peur de programmer dans ce genre de rôles des grandes danseuses. D’emblée, on ne me voyait pas dans ces rôles, il fallait donc que je manifeste l’envie de les faire. Brigitte m’a finalement donné ces rôles et elle n’a pas été déçue, ça s’est très bien passée. Ça a plu ou non, chacun aura son avis, mais elle m’a fait confiance de ce côté-là. J’ai eu la chance de pouvoir les aborder et de m’exprimer dedans. C’était très important pour moi, et très riche.
Vous avez aussi une carrière de costumière. Comment s’est-elle mise en place ?
Cela fait déjà plus de dix ans que je dessine des costumes. J’ai commencé de façon sérieuse avec José Martinez. On était souvent en tournée ensemble. Dès que l’on visitait un musée, je lui disais que ce serait bien de faire une chorégraphie avec un costume comme cela ou comme ceci, je dessinais des croquis… En 2002, il a créé le ballet Mi Favorita, pour trois couples, et m’a proposé de faire les costumes. « Tu fais ce que tu veux« , m’a-t-il dit. J’ai proposé des choses, ça s’est fait sous forme de dialogue. Brigitte Lefèvre a vu ce ballet, qui s’est donné à l’extérieur de l’Opéra. Puis elle l’a voulu, avec des costumes en plus. Elle m’a demandé de m’occuper de Scaramouche pour l’École de danse (toujours sur une chorégraphie de José Martinez). C’était une production importante avec 40 costumes. Puis il y a eu Les Enfants du paradis, très grosse production avec 300 costumes, c’était très ambitieux. Et ça s’est très bien passé, il y a eu pas mal de retombées après. J’ai fait ensuite Marie-Antoinette pour le Ballet de Vienne, l’opéra Rigoletto… J’ai un projet pour un Roméo et Juliette à l’étranger, mais ce n’est pas signé.
Vous êtes maintenant dans la transmission des rôles, comment cela se passe ?
Depuis plusieurs années, de jeunes danseuses viennent me voir de manière spontanée pour travailler un rôle, ou même juste pour poser des questions. Ce sont des choses que je fais de manière ponctuelle depuis pas mal de temps. Là, je fais travailler deux couples de jeunes solistes pour La Belle au bois dormant, et on verra comment les choses se passent. Tous les rôles que j’ai pu interpréter, je suis prête à les passer. Il n’y a pas un rôle que je passerais moins volontiers ou plus volontiers que d’autres. Je donnerais ce que j’ai à donner, le plus lisible possible.
Comment se fait cette transmission ?
J’ai beaucoup travaillé avec Ghislaine Thesmar. Ce sont des gens qui vous construisent, qui vous donne tout ce qu’ils ont, tout ce qu’ils savent. Ce n’est pas seulement des « Tends ta pointe« , c’est un échange d’anecdotes et d’expérience personnelles qui font que l’on apprend des choses sur la condition de la danse. Cela suscite des envies, ce sont des liens que l’on garde. La transmission orale du vécu et de la carrière est très importante. On est dans une maison de tradition, c’est pour ça que l’on a une grande qualité de travail. La majorité des danseurs et danseuses passent toute leur carrière ici, depuis l’École de Danse. La transmission et le bouche à oreille font qu’il y a une homogénéité qu’on ne trouve pas ailleurs. En même temps, la diversité est intéressante. Je pense qu’à l’Opéra, il y a un bon équilibre avec des artistes qui viennent de l’extérieur : José Martinez (qui n’a passé qu’un an à l’école de danse), Ludmila Pagliero, Alessio Carbone… Tous ces gens s’adaptent à l’Opéra et se fondent dans ce style, mais ils n’oublient pas leur passé non plus, ils ont des choses riches à apporter.
Le Concours interne de promotion a eu lieu il y a quelques jours. Y a-t-il eu une évolution, depuis l’époque où vous-mêmes les passiez ?
Il y a eu une évolution dans le choix des variations libres. Il y a beaucoup plus de danseurs et danseuses qui se lancent dans des variations contemporaines et qui sont très performant-e-s dedans. Le répertoire s’est élargi aussi, on a plus de ballets contemporains. Plus il y a de choix, plus il y a d’idées.
Et au niveau technique ? Trouvez-vous que le niveau a plutôt baissé ou augmenté ?
Les gens progressent, on peut voir des évolutions sur dix ans. Par exemple la variation du Cygne noir de Noureev. Avant il y avait de très grandes trouilles sur certains pas, que maintenant les danseuses ont intégrés et digérés. Les fameux tours attitudes, les danseuses les travaillent de manière plus régulière, ce n’est pas quelque chose de nouveau dans le répertoire de l’Opéra, elles le font plus facilement, avec moins d’appréhension. Les manèges de doubles assemblées, qui ont été apportés par Noureev, on ne le faisait pas avant dans l’école française. Il a apporté énormément de techniques qu’on ne faisait pas avant, dans les pas de deux, il a appris énormément de choses. Noureev a transformé la compagnie en huit ans, il a écrémé le style. Des choses un peu nouvelles et un peu difficiles pour les danseurs de l’époque sont absolument digérées et travaillées en cours et dans les ballets. Maintenant, il y a toujours le débat sur c’était mieux avant, c’est intergénérationnel et c’est dans tous les domaines. Je n’ai pas envie de rentrer dans ce genre de débat.
Que pensez-vous de la façon de danser aujourd’hui ?
La danse a beaucoup évolué depuis Margot Fonteyn. Quand on regarde des vidéos de l’époque, c’est un peu comme quand on regarde un vieux film en noir et blanc. Il y a des choses qui paraissent démodées par rapport aux moyens techniques et du jeu d’acteur. On a gagné en naturel, en rapidité, en souplesse, en élévation, mais aussi en manière d’interpréter, les traits sont moins marqués, on est dans quelque chose de plus naturel. Mais quand je regarde ces vidéos, il y a toujours des choses à apprendre, dans le regard, l’interprétation. Je me demande quel était l’effet recherché avec quel moyen. Aujourd’hui, on fait les choses mieux, mais avec moins d’impact. Sous prétexte d’avoir une qualité presque clinique, on en perd l’effet et le brio. Il faut faire une moyenne entre la qualité, les progrès, la rapidité, la vitesse, l’élan… C’est très intéressant pour ça. J’ai regardé beaucoup de vidéo pour mon travail de coaching sur La Belle au bois dormant, des récentes comme des anciennes. Il y a toujours des choses intéressantes à apprendre sur l’interprétation ou les intentions.
L’École Française de Danse a fêté son tricentenaire l’année dernière. Doit-elle toujours être défendue ?
Les écoles se mélangent, il y a toujours eu pas mal d’échanges. Aujourd’hui, les voyages sont plus faciles, on peut danser ailleurs, il y a les tournées. Des inspirations et des ponts se font. J’ai eu l’occasion de danser Le Lac des Cygnes au Mariinsky avec un danseur russe, j’en ai tiré un enseignement, j’ai ramené des choses que j’ai apprises là-bas. Les bons danseurs ont des influences anglaises, américaines, russes. Nous ne sommes plus de la plus pure souche de l’école française. Et tant mieux, on est plus riche.
Aujourd’hui, la compagnie enchaîne les ballets classiques et contemporains, un mélange enrichissant mais qui occasionnent des blessures. Comment avez-vous vécu ce mélange des genres ?
Un danseur a envie d’aborder différents styles de danse. Travailler avec des chorégraphes contemporains m’a servie pour le classique, pour l’ouverture, la liberté, la façon de voir les choses. La Giselle de Mats Ek m’a aidée pour appréhender la Giselle classique. Ce sont des détails, certaines clés, ça a été très important. Ça donne une certaine liberté de mouvement. Inversement, la danse classique est une base pour aborder les ballets contemporains.
Dire que c’est dangereux, tout dépend de comment on le fait. Je me suis toujours arrangée pour isoler les choses. Quand j’ai travaillé La Maison de Bernarda de Mats Ek, j’ai eu envie de ne me consacrer qu’à ça et de ne pas faire le programme classique qui était en parallèle. Si on se consacre à un style de danse pendant une période, ce n’est pas si dangereux que ça. On ne touche pas non plus à des ballets-laboratoires du contemporain, ça reste abordable, les mouvements ont des noms. La plupart des productions ne sont pas audacieuses au point d’être dangereuses pour les danseurs. L’idéal est d’avoir deux mois avec un ballet classique, puis de pouvoir se consacrer à un ballet contemporain, sans mélanger les deux styles pendant une même période.
Il y a eu une polémique dernièrement, avec Benjamin Millepied déclarant qu’il souhaitait plus de diversité dans le ballet, avec des danseurs de couleur. Quand pensez-vous ?
Il y a de la diversité de la compagnie et des danseurs de couleur à l’École de Danse. Après, tout dépend si, à la base, les danseurs se manifestent à 10-12 ans pour faire de la danse classique. Il faut aussi des qualités physiques. La danse classique demande certaines morphologies, certains danseurs de couleur s’en rapprochent, d’autres non. Dire qu’il n’y a pas de danseur de couleur et qu’il n’y a pas de diversité, ce n’est pas vrai. C’est une question de qualité et de motivation à la base. Maintenant, soyons clair, Le Lac des Cygnes ou Giselle viennent de légendes celtes, on a donc des danseurs caucasiens. Maintenant, si on fait des ballets plus contemporains, on peut se permettre de mettre des danseurs de couleur. Dire que l’Opéra de Paris n’a pas de danseurs de couleur, c’est faux, mais dire que tout le monde peut tout danser, c’est faux aussi. Je trouve que ce n’est pas un débat.
Durant votre carrière, avez-vous eu déjà envie de partir de l’Opéra ?
Je n’ai pas eu le besoin de me poser ce genre de question, parce que j’ai été invitée à danser ailleurs. J’ai beaucoup voyagé , j’ai dansé avec le Mariinsky, l’English National Ballet, le Tokyo Ballet… Ce n’était pas un aller-retour, j’ai pu travailler avec ces compagnies, passer une semaine ou dix jours avec eux, apprivoiser toutes ces troupes. L’envie d’aller ailleurs vient quand on n’a pas l’occasion d’y aller.
Finalement, le fonctionnement de l’Opéra m’a très bien convenu. La maison fonctionne par série qui ne dépendent pas du remplissage. Dans d’autres compagnies, comme à Munich ou à Saint-Pétersbourg, les troupes donnent un ou deux Lac des Cygnes par mois, ensuite redonnés régulièrement. Au niveau du travail des danseurs et danseuses, faire un Lac par mois et tourner sur quelques ballets, ce n’est pas très facile, Nous, nous reprenons des ballets tous les deux ou trois ans, on les retravaille un mois, puis on les redonnent pour 15 représentations. Au niveau du travail et de l’évolution d’un danseur, ce n’est pas la même chose. Ghislaine Thesmar m’a dit qu’il faut dix représentations d’un rôle pour le maitriser vraiment. Nous n’avons jamais dix représentations dans les séries, nous dansons quatre ou cinq fois. Mais en deux séries, on peut couvrir ces dix spectacles nécessaires pour maitriser ce rôle. On a beau répéter et répéter et faire ce travail en studio, tout est différent en scène, avec le public.
Vous avez dansé un peu partout dans le monde. Quels sont les différences entre les publics ?
Les publics sont très différents. Le public japonais est très friand de danse classique. Les pays slaves se manifestent de manière très chaude et durant tout le spectacle. Pendant une variation, ils peuvent taper des mains. Et ils restent longtemps après le spectacle. Au Mariinsky, on avait fait 25 minutes de rappel. Les lumières étaient allumées, il n’y avait plus que dix personnes, mais on continuait les saluts, les gens sont contents d’être là. En Amérique du Sud, ils ne se manifestent pas pendant le spectacle, mais à la fin ils sont très chauds. À Paris, le public à Bastille se manifeste pendant le spectacle de manière très démonstrative, mais il part vite à la fin et pense à aller chercher sa voiture au parking (rires). Ça se passe de manière très différente selon les salles.
Il y a une différence entre Bastille et Garnier ?
À Garnier, on sent très très bien le public, s’il est déconcentré ou s’il vous suit, avec la qualité de silence. On peut très bien voir les gens et tout se qui se passe. À Bastille, c’est moins le cas à cause de la largeur de la fosse. Il y a une espère de protection, que je n’aime pas trop d’ailleurs. On a l’impression qu’il y a un écran. Il n’y a pas cette électricité que l’on peut sentir à Garnier.
Lors de ma soirée d’adieux, j’ai senti le public très proche de moi, très attentif, très concentré. J’ai reçu les acclamations comme une vague très forte. Je ne dis pas que le public ne me l’a pas manifesté durant toute ma carrière, mais là, c’était encore plus fort. J’avais l’impression d’appartenir aux gens, de reconnaître chacun.
Anne
Merci beaucoup pour cette retranscription!
georges
Merci Amélie.
Joelle
Ce fut un moment très agréable. Je peux maintenant confirmer que Dame Agnès est très grande ! 🙂 (malgré mon 1m69 !)
Estelle
Très intéressant ! Je ne peux m’empêcher de noter : « Le public à Bastille se manifeste pendant le spectacle de manière très démonstrative, mais il part vite à la fin et pense à aller chercher sa voiture au parking ». Moi aussi ça m’exaspère…
Aventure
Passionnant ! Merci pour cette transcription !