Pierre Rigal : « Salut, c’est une structure très précise qui passe à une structure qui se disloque »
Une rencontre publique a été organisée avec Pierre Rigal pour sa création Salut, à voir au Palais Garnier lors d’une soirée mixte dès le 3 février. Le chorégraphe était accompagné de Benjamin Pech, l’un de ses interprètes. La rencontre a été animée par Sylvie Blin, avec quelques questions du public. Retranscription.
Comment avez-vous été amené à travailler avec le Ballet de l’Opéra de Paris ?
Pierre Rigal : J’avais fait une création pour le festival Suresnes cités danse (ndlr : Standards en 2012). C’est le mari de Brigitte Lefèvre qui s’occupe de ce festival. Elle a apprécié ce travail et m’a proposé de travailler pour le Ballet de l’Opéra. Cela s’est fait en plusieurs étapes, sur plusieurs années, avec une première tentative qui ne s’est finalement pas fait. Pour cette création, j’ai aussi eu la chance que Benjamin Millepied connaissait mon travail. Il avait eu à New York ma pièce Érection, qui était mon premier spectacle.
Vous étiez spectateur de l’Opéra de Paris ?
Pierre Rigal : Rarement. Je n’étais pas un spécialiste. Je ne viens pas du tout du monde de la danse classique. Je suis arrivé tard à la danse en général, j’ai pris mon premier cours à 23 ans. J’ai développé mon propre travail et mon moi de spectateur. J’ai vu beaucoup de spectacles, dont certains de danse classique. Mais je ne me considère pas comme un spécialiste. Et je n’ai pas voulu faire semblant auprès des danseur-se-s d’être un spécialiste. Ça a des avantages et des inconvénients. Ne pas être spécialiste a créé une fascination, un plaisir. Je ne suis pas du tout blasé par leur virtuosité, je suis émerveillé. Il y a aussi une naïveté qui va me permettre de décaler les choses. Je ne suis pas bloqué par le poids de l’histoire ou du passé. J’ai aussi une distance, c’est plutôt bien.
Qu’est-ce qui vous a amené à la danse ?
Pierre Rigal : Jeune, je n’étais pas du tout dans le milieu culturel. Ma soeur faisait de la danse mais je regardais de très loin. J’étais un suractif du sport, j’ai fait du foot, du tennis, du ski. À l’âge de 15 ans, j’ai commencé à me spécialiser dans l’athlétisme, et vers 16 ans, je me suis encore plus spécialisée dans le 400 m et 400 m haies, le tour de piste à haut niveau. J’ai arrêté tout le reste pour me consacrer à cette discipline et ne pas me blesser, l’idée de la blessure était déjà présente chez moi. J’étais médaillé en championnat de France, je faisais partie de l’équipe de France junior. Je n’étais pas mauvais, mais je n’allais pas devenir un champion olympique.
Vers 22-23 ans, je me suis blessé, j’ai eu une déchirure à la cuisse. J’ai vu tout de suite que je ne pourrais plus retrouver le haut niveau. L’athlétisme est basé sur la performance purement physique qui se mesure. On a une distance à parcourir, un temps à faire, le temps ne doit pas diminuer. À partir du moment où on a une légère défaillance, on est diminué. C’est d’une grande cruauté.
À 23 ans, j’ai donc commencé à mesurer le vieillissement. J’ai alors commencé la danse, par hasard. C’était un cours de danse africaine, très physique et très technique. Ça m’a plu tout de suite. J’ai découvert une nouvelle liberté, une nouvelle façon d’utiliser le corps. La performance physique se place ailleurs que dans la mesure précise. J’ai créé ma première pièce à 30 ans. C’était une pièce assez physique, Érection. Je ne pensais la faire qu’à ce moment-là, que ce serait ensuite trop dur physiquement. Ce n’est pas ce qui s’est passé. J’ai 42 ans, le corps devient plus intelligent. Il apporte la force là où il faut. Je continue à danser, j’ai toujours du plaisir à danser, j’ai envie de poursuivre ma carrière d’interprète. D’avoir travaillé avec les danseur-se-s de l’Opéra me donne encore plus envie de danser. Parfois, je les jalouse un peu, j’aimerais être à leur place, danser la pièce, même si je ne pourrais pas faire tout ce qu’ils font. Je me sens danseur et je compte danser encore.
Quel a été votre sentiment quand vous avez appris que le projet avec l’Opéra de Paris se ferait ?
Pierre Rigal : Quand j’ai compris que Brigitte Lefèvre avait en tête de me proposer de travailler avec le Ballet, j’étais très content. Plusieurs sentiments se sont mêlés. Bien sûr la joie, mais aussi la fascination, et une forme d’angoisse. L’Opéra de Paris est une grande structure dans tous les sens du terme. du prestige, de l’espace, du nombre de personnes, de l’histoire. Il y a une fascination qui est très stimulante, mais aussi angoissante. Aujourd’hui encore, à quelques jours de la première (ndlr : la rencontre a eu lieu le 29 janvier), je suis toujours dans cette ambivalence de joie et de crainte.
Comment est arrivé l’idée de Salut ?
Pierre Rigal : Le processus est toujours très long. J’ai su deux ans avant que j’allais travailler pour l’Opéra de Paris. L’idée est venue doucement. J’ai réfléchi, j’ai eu quelques idées un peu vagues. Puis j’ai pensé au mot Salut. Quand j’ai eu cette idée, j’étais très content car toutes mes pièces fonctionnent comme ça : l’idée se précise quand j’ai trouvé le titre. Une fois le titre trouvé, j’avais ma dramaturgie. Le titre arrive donc très tôt dans le processus de travail et il peut souvent recouvrir différentes choses. Le salut fait référence à la forme avec laquelle j’allais travailler, le ballet, et évidemment à ce geste chorégraphique que le public connaît qui est le geste du salut. Cela m’a permis aussi de parler à ma manière du ballet.
Le mot salut signifie aussi d’autres choses, plus larges. Le bonheur, la prospérité, le fait d’être sauvé, le salut du peuple, au-delà encore le salut de la vie éternelle, dans une ligne sacrée. Le salut n’est pas vraiment le bonheur. Le bonheur arrive après quelque chose. C’est comme ça que je procède dans tous mes spectacles.
Salut est un ballet narratif ?
Pierre Rigal : Ce n’est pas un ballet narratif. Il n’y a pas de personnage identifié qui vont avoir une histoire. Mais il y a une histoire floue.
Vous travaillez avec 16 interprètes. C’est nouveau pour vous ?
Pierre Rigal : Oui, c’est une première ! J’ai fait des solos, des duos, des quatuors, deux pièces avec 9 danseur-se-s, ce qui était mon record. Là, je suis à 16 danseurs et danseuses. Je suis ravi de tenter cette nouvelle expérience.
Comment avez-vous choisi vos interprètes ?
Pierre Rigal : Choisir les artistes fut le premier travail. Après audition, j’en ai choisi certains. Puis en fonction des plannings et des blessures et de toute la machine Opéra, il n’y avait plus que la moitié des personnes choisies qui étaient disponibles. Les autres m’ont été suggérés. Les Étoiles, on ne les choisit pas. Avec Benjamin Pech, c’est une belle rencontre. Il ne devait pas faire cette pièce au départ.
Benjamin Pech : Je suis ravi de travailler avec Pierre Rigal. Je connais son travail, j’avais vu Érection et Standards. J’avais été frappé par la singularité avec laquelle il arrive à faire un spectacle, et le fait qu’il utilise tout ce qui l’entoure. C’était intéressant cette approche, nouvelle pour un danseur de l’Opéra de Paris.
J’ai appris qu’il y avait un projet avec Pierre Rigal, mais à l’époque j’étais blessé. Je n’ai pas été suggéré comme danseur. Je me suis un peu imposé. On s’est croisé deux-trois fois. Finalement, j’ai réalisé que ma blessure, que j’ai toujours, me permet quand même d’expérimenter un travail qui peut être intéressant sur mon corps. Et le thème que Pierre Rigal avait choisi, le Salut, faisait aussi référence à mon futur départ en avril 2016. Il y avait vraiment un lien direct, avec le thème qu’il avait choisi et ma propre histoire de danseur. Je l’ai appelé, je lui ai dit que j’avais cette blessure mais que j’avais ce désir de le rencontrer et de travailler avec lui. Il était ravi, c’est comme ça que les choses se sont faites.
Comment s’est monté ce spectacle ?
Pierre Rigal : À l’Opéra, le temps de création est court, il faut donc aller très vite. J’ai préparé un peu à l’avance pour imaginer ce que l’on pouvait faire, mais j’avais quand même besoin d’avoir un temps de recherche, que j’appelle des ateliers, où les choses ne sont pas complètement définies. Je fais appel à la participation des danseurs et danseuses. Je ne leur dis pas tout ce qu’ils doivent faire. Je leur donne des instructions relativement précises, mais avec une zone de liberté. Ils vont y pouvoir chercher des choses. Dès qu’il y a quelque chose qui m’intéresse, je pioche dedans et j’essaye de le faire évoluer. J’avais les Étoiles et les solistes pendant 1h30 vers midi, cela me permettait de chercher avec un groupe restreint, et parfois de le répercuter l’après-midi avec les 16 interprètes.
Les premiers jours, c’est de la recherche. Au fur et à mesure, ça se fige petit à petit. Peut-être que cela se fixe un peu lentement avec moi, parce que je suis toujours dans le doute, dans l’idée qu’il faut encore chercher de nouvelles choses ou les faire évoluer. Je retarde le moment de fixer les choses pour qu’il y ait encore des heureuses surprises qui apparaissent. Ce sont des moments un peu angoissants pour tout le monde, en particulier pour les danseurs-se-s.
Quelle est la difficulté de la pièce dans sa construction ?
Pierre Rigal : Par son sujet, il y a une évolution chronologique et chorégraphique, qui passe d’une structure très précise à une structure qui se disloque. Cette matière qui se disloque est très difficile à établir. Elle doit ensuite être fixée pour que les danseur-se-s puissent bien la connaître. En même temps, cela ne doit pas paraître comme quelque chose de fixé pour le public. C’est tout l’enjeu de cette pièce, où ce qui doit paraître déstructuré se déstructure bien à chaque fois. C’est un jeu subtil, Il faut à la fois chorégraphier mais sans que le public voit la chorégraphie. Cette zone-là est difficile pour les danseur-se-s, pour moi aussi, mais c’est tout l’enjeu de la pièce. J’espère que l’on va réussir à faire ça.
Benjamin Pech, comment avez-vous abordé ce travail ?
Benjamin Pech : La différence majeure, c’est l’approche du travail et cette recherche de laboratoire, et en même temps de ne jamais rien fixer et figer. Pour nous, qui venons d’une école très académique, où on s’appuie de la musique, sur des rendez-vous très importants, nous avons avec Pierre Rigal une forme de liberté que nous avons du mal à nous approprier, car l’on n’est pas habitué à cette liberté sur scène. Cela peut être un peu anxiogène. Mais c’est très exaltant de se dire qu’il faut être à l’écoute les uns des autres. Il y a aussi une interaction avec les musiciens qui nous envoient des sons. Il n’y a pas vraiment de rendez-vous très figés avec la musique. C’est une vraie singularité par rapport à un-e chorégraphe qui aura une rigueur d’écriture, sur un support qu’il soit musical ou vers les lumières. On part de quelque chose de très structuré pour arriver à une forme de liberté que l’on ne nous donne pas forcément, et qui pour moi est un peu la nouveauté. Dans ce spectacle, la sauce prend si les uns et les autres sont à l’écoute. C’est vraiment participatif et collectif.
Comment a été construite la musique de Joan Cambon ?
Pierre Rigal : On est dans le même processus, la musique se crée en même temps que la chorégraphie. Le musicien a préparé tout un stock de musiques, en fonction des discussions que j’ai eues avec lui, du sujet. Il arrive avec ces palettes de propositions. Il a assisté à quasiment toutes les répétitions et a construit la musique au fur et à mesure. La musique va donc se finir après la chorégraphie. Aujourd’hui encore, on est encore en train de changer les choses et les améliorer.
Ce procédé crée une angoisse, un stress, mais cela va coller au plus près de ce que l’on a imaginé. C’est aussi une musique qui va être assez interactive avec ce qui se passe sur scène. Si je caricature, habituellement, il y a une musique qui est établie et les danseur-se-s on tous-tes la même musique. Là, ce n’est pas le cas tout le temps. Les interprètes vont parfois suivre la musique, parfois, cela sera l’inverse, la musique suivra les danseur-se-s. Le régisseur son a informatiquement toute une palette, il va distiller à certains moments, légèrement différemment chaque soir, les sons qui vont faire réagir les danseur-se-s. Ou les sons vont arriver par ce que les danseur-se-s vont faire quelque chose. Ce n’est pas un rapport unilatéral entre musique et danseur-se-, c’est un rapport plus interactif. J’aime beaucoup le résultat final lorsque l’on fonctionne comme cela.
Comment vit un danseur de l’Opéra de Paris par rapport à ce travail ?
Benjamin Pech : Pour moi, c’est génial. D’habitude, on a un chef d’orchestre qui nous impose un rythme, ou une musique enregistrée figée. Ce travail se situe à mi-chemin des deux. Il y a une base, le musicien. L’ingénieur du son dans la salle, nous envoie des signaux. On lui envoie des signaux aussi. Pour nous, c’est très excitant de participer à l’écriture musicale, tout comme l’écriture chorégraphique.
Salut sera-t-il différent chaque soir ?
Pierre Rigal : Il y aura des variations très minimales de soirée en soirée. Il y a 16 personnes, il faut quand même régler les choses. Tout le monde ne peut pas trop partir dans son truc. Il y a aussi très peu de répétition en scène, pour régler les lumières, etc. Les gens qui font la création lumières et son ne sont pas ceux qui seront régisseurs son et lumière. Dans mes pièces précédentes, c’était toujours le cas, au moins pour les premières représentations. Il faut donc fixer les choses. Salut sera d’ailleurs ma pièce la plus fixée Il y aura des micros variations, mais ça sera assez structuré. Même si je souhaite qu’on ne voit pas la même chose tous les soirs.
L’esthétique de Salut fait-elle allusion à certaines références du ballet ?
Pierre Rigal : Il n’y a pas de référence précise. Mais c’est vrai qu’il y a une volonté de jouer sur un archétype, que ce soit avec les costumes ou la chorégraphie. On convoque sur scène un archétype, que je définis moi-même comme l’imaginaire du public sur une forme d’histoire. C’est très personnel, très subjectif. Les gens ne seront pas forcément d’accord avec moi. Le salut, c’est un archétype. Il doit se disloquer. Il y a l’idée que les choses se disloquent. Cela devient une pièce sur un souvenir, il y a l’idée d’un souvenir, d’un passé, mais aussi du futur. C’est une question sur l’avenir. J’aime bien que mes histoires se croisent. On peut voir dans la pièce quelque chose de très grand, de très cosmique. On peut aussi y voir les individus, la vie d’un danseur, son futur après son départ quand il devient un souvenir. Il y a plusieurs lectures possibles.
Vos pièces sont souvent très virtuoses, physiques. Ce sera le cas avec Salut ?
Pierre Rigal : Je voulais utiliser à la fois les capacités virtuoses des danseur-se-s, leur souplesse, leur coordination, leurs lignes qui sont complètement fascinantes. Cela rentre un peu dans l’archétype. Je voulais aussi que ça ne soit pas aussi calculé, que ça arrive par hasard. Je leur parle souvent de coïncidence heureuse. D’un coup, furtivement, par hasard, on voit le jaillissement d’une virtuosité. Mais on ne s’y attarde pas forcément. Ce n’est pas tout du long une performance de danseurs-se, même si la pièce rappelle parfois que ce sont de grands danseur-se-s.
J’espère que l’on aura à la fois le plaisir de la virtuosité et le questionnement sur la virtuosité. Je souhaite que le plaisir se ressente grâce à la virtuosité des interprètes mais aussi par d’autres éléments du spectacle, que ce soit le graphisme, la lumière, le son, la forme. Parfois, les danseur-se-s ne font rien, mais cela crée une poésie. La poésie a plusieurs outils, je vais beaucoup insister sur ça. Ce qui pourrait un geste de danseur-se, qui ne serait pas dans le domaine de la virtuosité, qui pourrait paraître ne pas être dans la virtuosité, est aussi très important et très difficile à faire. Je les reprends beaucoup sur des petits détails, qu’ils peuvent penser comme ne pas être si importants. Au fur et à mesure que l’on approche de la première, ils s’imprègnent de plus en plus de cet état de corps, qui visuellement pourrait être facile, mais qui ne l’est pas du tout. C’est une autre forme de virtuosité.
Qu’est-ce que c’est état de corps ?
Pierre Rigal : C’est difficile d’en parler avant de voir la pièce. Il y a des choses qui sont lentes. Les danseur-se-s, peut-être par leur habitude à avoir une cadence à respecter, ont parfois du mal avec ça. Ils ont l’impression d’être lents, mais pour moi ils sont trop rapides. Ils ont aussi l’impression individuellement de faire quelque chose qui n’est pas intéressant. Or, moi, je les trouve individuellement intéressants. Ensuite, une masse de personnes qui font des choses pas intéressantes, ça peut être intéressant globalement. Ils n’ont pas forcément l’habitude et ils ne voient pas ce que je vois. Ils n’ont pas la globalité de l’image.
Benjamin Pech : D’habitude il y a deux ou trois distributions. Nous avons donc ce regard de spectateur qui vient aussi alimenter notre travail d’interprète. Là, je n’ai aucune idée de ce que ça rend.
Pierre Rigal : Maintenant, je leur montre quelques vidéos, comme les choses commencent à être bien calées. C’est difficile de leur montrer trop tôt, ils peuvent se décourager en se disant que ça ne rend rien.
Comment avez-vous abordé ce travail de cette virtuosité différente ?
Benjamin Pech : Je ne voulais pas tomber dans l’écueil de la virtuosité. Les premières années de ma carrière sont vraiment basées là-dessus, sur la puissance de l’artiste, la performance. Ma démarche est tout le contraire. J’avais cette blessure qui ne pouvait pas m’amener dans ce registre. Je voulais vraiment aller vers des gestes simples, qui impliquent plus le haut du corps, qui soient moins physiques, qui demandent aussi une certaine maturité pour leur donner toute leur ampleur et leur dimension artistique. C’est vraiment ce qui me plaisait dans le travail de Pierre Rigal. Ne pas mettre à profit mes performances physiques, que je n’ai plus (rires), mais avoir une démarche, presque de partir du danseur et retourner vers l’homme normal. Le salut c’est le dernier geste que l’on fait, qui est un peu le trait d’union entre ce qui s’est passé sur scène et ce qui va se passer après. Je me suis toujours interrogé sur ce qui se passait une fois que le rideau tombait. On retombe dans notre vie d’homme. Je trouve que cette pièce accompagne, le trait d’union entre ce qui se passe sur scène et la vie de tous les jours, entre ma vie d’artiste virtuose, et ce qui va se passer dans ma deuxième vie d’artiste, qui aura une certaine maturité. Ça faisait vraiment sens pour moi.
Comment les jeunes interprètes ont réagi face à cette proposition ?
Benjamin Pech : Chacun l’approche avec son parcours. J’ai en tout cas beaucoup aimé travailler avec le groupe. En tant qu’Étoile, on est seul, on travaille seul. Tous ces codes-là ont été captés par Pierre Rigal.
Moi, Jérémie Bélingard et Stéphanie Romberg sommes de la même génération, entre 39 et 40 ans. Et on est entouré de 13 autres danseur-se-s qui ont entre 20 et 25 ans. Il n’y a pas de conflit générationnel, mais une émulation entre les jeunes et les anciens, et tout ça se mélange. Ce que je trouve génial, c’était de voir les jeunes dans des propositions un peu folles physiquement, comme Pablo Legasa qui partait dans des espèces de contorsions. Ça permet à l’artiste de révéler sa part d’improvisation et sa part d’implication dans le projet. Cela demandait beaucoup de participer, par apport à notre parcours, à ce que l’on pouvait apporter à la pièce. Il y a toute la hiérarchie de la compagnie qui est représentée dans la distribution, et tout se mélange. J’ai passé un moment socialement Opéra de Paris super agréable, avec les jeunes. Ça apporte beaucoup d’énergie à la pièce. Ça renvoie au chorégraphe une dynamique qui est porteuse.
Il y a surtout cette notion de liberté, qui est très importante. Dire à un danseur-se : « Essayons un truc, faites ce que vous voulez« , je n’avais jamais entendu ça en 30 ans de carrière. J’avais toujours une indication très précise. Et tout à coup, j’ai vu des jeunes partir dans tous les sens. Pierre Rigal arrive à prendre des images qui l’intéresse et construire là-dessus. En çà, sa démarche est assez singulière.
Vos pièces sont souvent teintées d’humour. Ça sera le cas avec Salut ?
Pierre Rigal : Je ne sais pas ! (rire). L’humour, c’est un truc un peu particulier, on est toujours surpris. J’ai fait une pièce qui s’appelle Press. Un homme est dans une pièce, le plafond descend et écrase cette personne. A priori, ce n’est pas drôle, plutôt anxiogène, même un peu brutal avec la musique. Je ne cherchais d’ailleurs à faire quelque chose de spécialement drôle. La première a eu lieu à Londres. Dès le début du spectacle, alors qu’il ne se passe quasiment rien, les gens se sont mis à rire. Quand le plafond a commencé à descendre, donc le danger apparaissait, les gens ont éclaté de rire. J’étais surprise, je croyais même qu’ils se moquaient de moi. J’ai eu un petit moment de flottement. Et finalement, je voyais que ce n’était pas pour se moquer de moi, c’était quelque chose qui les faisait vraiment rire. J’ai compris lors de cette représentation que l’humour anglais était très différent ! Plus c’était dramatique et pus ça les faisait marrer. À la fin, quand j’étais totalement écrasé, censé être mort, les gens étaient pris de fou rire ! C’était très surprenant.
Quand on a joué la pièce en France, ça n’a pas du tout été pareil. L’ambiance était presque sacrée, angoissée, claustrophobe. Le rapport à l’humour est différent d’une culture à l’autre, d’un pays à l’autre, je dirais même d’un soir à l’autre. Dans cette pièce, quand je la joue, si le rire apparaît, ma façon de jouer est très légèrement différente, peut aller dans le sens du rire, peut le cultiver un peu, à des micros-détails près. Si l’ambiance est vraiment sacrée, je vais appuyer dans ce sens-là. Et au final, j’aime les deux versions, une soirée plus ludique ou une soirée plus angoissée. Je pense qu’il y a des choses qui peuvent faire sourire dans Salut, mais on verra. On ne sait donc pas trop à l’avance.
En quoi Salut est différente de vos autres pièces ?
Pierre Rigal : Il y a beaucoup de choses nouvelles. Quand je commence une pièce, j’essaye de faire quelque chose de différent de la dernière fois. Souvent, je travaille avec les gens différents. Je travaille avec moi-même qui est différent à chaque fois, j’ai travaillé avec des gens qui viennent du cirque, puis un spectacle physique avec des musiciens, puis avec des danseurs de hip hop, avec des danseurs contemporains assez virtuoses en Corée du sud, maintenant pour la première fois avec des danseur-se-s classique. À chaque fois, il y a de la nouveauté. Je veux faire quelque chose de complètement différent, ce qui à la fois m’angoisse et m’existe. Mais quand je fais le bilan de mes pièces, je m’aperçois qu’il y a beaucoup de points communs d’un spectacle à l’autre, Il doit y avoir quelque chose qui me travaille malgré cette volonté de faire quelque chose à chaque fois différent.
Salut peut-il être dansé par une autre troupe ?
Pierre Rigal : Ma pièce est vraiment pour un ballet classique, je ne l’imagine pas pour des danseur-se- hip hop. L’archétype d’un salut hip hop, ce serait des petites performances pour chacun. J’ai toujours refusé de faire ça quand je travaillais avec des danseurs hip hop. Je ne sais pas si, dans l’imaginaire collectif, on pourrait définir un salut hip hop. Salut appartient à l’Opéra pour 5 ans. Peut-être qu’elle vivra après ailleurs. Je ne me suis pas posé la question.
Comment allez-vous saluer ?
Benjamin Pech : c’est le seul détail de la pièce que l’on n’a pas réglé !
Pierre Rigal : J’en discute beaucoup en ce moment.
Benjamin Pech : Peut-être qu’il ne faudrait pas saluer, tout simplement.
Pierre Rigal : Cela fait partie des possibilités. Je n’en ai pas trop parlé avec les danseur-se-s, mais avec mes collaborateurs, du son et de la lumière. Il y a plusieurs possibilités.
Une personne dans le public : Le salut, ça peut être un début aussi.
(Sourire de Pierre Rigal)
Emma
Bonjour!
Merci pour cet article TRÈS intéressant!
Je vais à l’opéra le 13/02 🙂
Merci pour le blog, et la légèreté , le style, les infos et l’humour!!