Élisabeth Platel : « Nous fêtons notre style plutôt que nos 300 ans »
L’Opéra de Paris vit au rythme du Tricentenaire de son École de Danse cette semaine. Une rencontre publique a été organisée autour de ces festivités il y a quelques semaines, entre Élisabeth Platel, directrice de l’École de Danse de l’Opéra de Paris, et Brigitte Lefèvre, Directrice de la Danse de l’Opéra de Paris. Retranscription.
Qu’est-ce que m’on fête avec le Tricentenaire ?
Élisabeth Platel : En 1713, Louis XIV crée le Conservatoire de Danse. Ce n’est pas l’école. Mais c’est là qu’est arrivé la naissance de l’inscription de notre style. Tout ce qui était création est devenu historique. On devient un répertoire.
Brigitte Lefèvre : Qu’est-ce que cette notion de l’école française ? Même si je suis partie de l’Opéra, je me considère comme un pur produit de l’école française de danse. Ce qui est intéressant avec cette école, c’est son ouverture. Quand des maîtres étrangers viennent, ils sont captivés par ce qui s’y passe, par le passé de l’Opéra. Ils apportent des choses que l’on avait pas forcément et cela participe à ce qu’on appelle l’école française de danse. Quand quelqu’un de l’étranger vient, il faut qu’il sachent où il arrive, d’où il vient, ce qu’il a à apporter et qu’il a de meilleur en lui. Ce qui important, c’est cette évolution, cette transmission.
Élisabeth Platel : Il y a toujours eu des confrontations. L’école française du début du XXe siècle, c’était Carlotta Zambelli, puis il y a eu Serge Lifar.
Brigitte Lefèvre : Carlotta Zambelli était très opposé à Serge Lifar d’ailleurs. Quand elle l’a vu, elle s ‘est mise en cinquième position et lui a dit : « Je vous salue en cinquième position ». Et lui a répondu : « Et moi je vous salue en sixième position ».
Élisabeth Platel : Nous, les danseurs et les danseuses, on a tellement à faire, à se mettre en dehors, travailler, s’entretenir, faire les spectacles, répéter, se reposer, transmettre… Il faut rappeler que l’on est fait de toutes ces histoires.
Comment faire un choix entre 300 siècle d’histoire pour ces spectacles ?
Brigitte Lefèvre : Ce programme n’est pas exhaustif.
Élisabeth Platel : On a voulu éviter l’écueil « Lifar-Noureev »… Ce programme est en fait une partie de ping-pong entre Brigitte Lefèvre et moi. Elle m’a dit de commencer par une création. « Création »… Je panique. C’est très dur de faire une création pour l’École, on n’a pas beaucoup de temps. Et c’est là qu’elle m’a proposé ce projet de mêler le baroque et le contemporain.
Brigitte Lefèvre : J’avais très envie de pouvoir rapprocher deux chorégraphes que j’apprécie beaucoup, qui chacun connait ce que fait l’autre : Nicolas Paul, qui vraiment chorégraphe dans l’âme, et Béatrice Massin, une spécialiste de la danse baroque. Et je n’ai pas eu le temps de le faire. Je l’ai donc proposé pour l’Ecole de Danse. Nicolas Paul est un chorégraphe d’aujourd’hui mais un passionné de la danse baroque. Face à cette idée, Élisabeth Platel me répond : Rameau, Les Indes Galantes.
Cela donne le Ballet D’ores et déjà. Comment se sont faites les distributions ?
Élisabeth Platel : Il n’y aura que des garçons qui danseront ce ballet, en réponse à Faust de Claude Bessy où il n’y a que des filles. Il faut aussi que je donne à manger aux danseurs. Au départ, cette création était conçu pour les premières et deuxième divisions garçons. Les troisièmes, quand il sont arrivés en septembre, ils étaient encore encore un peu bébé. Mais ils ont poussé entre la rentrée et maintenant. C’est une division de transformation. Ils commencent l’année, ce sont des enfants, et là, on voit des jeunes gens, ils commencent à prendre des épaules, on les voit se modifier tous les jours. Et ces troisièmes, ils voulaient grignoter sur les autres, ils avaient vraiment envie d’être distribués. Le premier rôle sera tenu par un élève de première division, le dernier élève de Claude Bessy encore à l’École. Il est rentré très tôt à Nanterre, c’était l’un des petits princes de Scaramouche.
Comment les élèves réagissent à ce travail de création ?
Élisabeth Platel : Ils ne se sont pas préoccupés de savoir si c’était du baroque, du contemporain… Cette génération de garçons va partir avec un bagage très particulier, comme la génération de Scaramouche, qui s’est retrouvé dans un processus de création très jeune. Quand ils entreront dans une compagnie, ils sauront ce que c’est que d’être en face d’un chorégraphe, pas seulement celui qui transmet une chorégraphie déjà construite. Je ne peux pas faire ce processus tous les ans. C’est angoissant. Je venais les voir tous les jours en leur demandant où ils en étaient. « Vous avez fait 3 minutes ? Mais vous savez je n’ai plus que trois semaines !« . C’est terrible. Le temps n’est pas extensible. Sans compter que certains sont aussi dans Péchés de jeunesse.
Le spectacle continue avec Faust, dans la version remontée par Claude Bessy…
Élisabeth Platel : Faust, c’est un ballet emblématique de l’Opéra de Paris du XXe siècle. Il n’avait pas été donné depuis le début des spectacles de l’École, en 1979. J’ai été étonnée d’ailleurs que Claude Bessy ne l’ait pas redonné pendant ses années de directrice. À cette époque, Carole Arbo dansait Hélène, Fanny Gaïda était Cléopâtre, Karin Averty interprétait Phrynée, Sylvie Guillem dansait pour Laïs… Cette année, la fille de Carole Arbo dansera dans ce ballet, le rôle d’Aspasie.
C’est Claude Bessy, ancienne directrice de l’École, qui a dirigé les répétitions…
Élisabeth Platel : Faust, c’est le retour de Claude Bessy à l’Ecole. Elle a été ma directrice. Quand elle est arrivée, j’ai joué la franchise avec elle : « Vous savez, j’ai un trac pas possible« . Je la recevais dans mon bureau, qui était le sien avant, je ne savais plus quoi dire ! Je suis arrivée en répétition, en tenue de danseuse, prête à aider. Elle m’a tout de suite dit : « Si on est deux ou trois, ça ne va pas aller« . J’ai compris que j’étais en trop. Elle a travaillé avec Fabienne Cerutti, aussi l’une de ses anciennes élèves et aujourd’hui professeure des troisièmes divisions filles. Puis elle est venue me voir pour me demander de venir le lendemain, pour me montrer le travail qu’elle avait fait. Elle m’a positionnée en directrice. J’ai mis une quinzaine de jours pour trouver ça. Maintenant on s’assoit, on papote toutes les deux, c’est assez sympa. Mais c’était étrange ce positionnement. Elle est avec des élèves qui ne l’ont jamais eu en tant que directrice.
Quelle est son regard sur l’École aujourd’hui ?
Élisabeth Platel : Elle porte des jugements, comment ça évolue, pour mettre l’accent sur certaines techniques. C’est vrai qu’il a fallu retravailler les entrechats 5 et les entrechats 6, qui ne sont pas dans tous les ballets. Ce répertoire nous permet d’entretenir une technique d’une certaine époque. C’est un peu un voyage dans le passé. Claude Bessy, jusqu’au dernier jour en tant que directrice, elle avait des idées. Je crois qu’elle s’est fait plaisir à remonter ce ballet.
Comment s’organise ce ballet ? C’était avant un ballet de divertissement d’opéra…
Élisabeth Platel : Claude Bessy m’a expliqué qu’elle avait été obligée de l’aménager, parce que c’était un ballet qui se faisait avec les chanteurs sur scène. C’est déjà ainsi qu’elle l’avait donné en 1979. Elle a fait un effectif légèrement plus grand. Normalement, il y a huit Troyennes et huit nubiennes, là on en a douze. C’est un effectif qui peut être modifié, éventuellement en tournée, ou si on a trop de malades. Au début, je lui ai demandé qui elle voulait. Je lui ai fait un groupe de filles et les distributions ont changé pendant toute la semaine. A la fin, elle m’a dit la chose que j’aurais du comprendre au début : les troyennes ce sont les quadrilles et les jeunes coryphée, et les nubiennes ce sont les coryphée et les sujets. Il y a toujours cette hiérarchie dans les ballets en fonction des grades, aussi pour l’École de Danse.
Autre création dans ce programme, Célébration de Pierre Lacotte…
Brigitte Lefèvre : On souhait toutes les deux que Pierre Lacotte puisse être présent. Il est allé nous voir tous les deux, et on s’est mis d’accord pour que ce soit un couple d’étoiles et quatre couples de danseurs et danseuses presque sorti-e-s de l’École de Danse pour accompagner. On avait hésité à un moment donné avec des élèves.
Élisabeth Platel : En fait, on aurait voulu deux couples du corps de ballet et deux couples de l’École de Danse. Mais c’était irréalisable au niveau des répétitions, avec la scolarité. J’ai très peu d’universitaires cette année.
Brigitte Lefèvre : Il y a eu ensuite le chapitre musical. La partition que souhaitait Pierre Lacotte était dans la bibliothèque de Saint-Pétersbourg. Impossible de la voir. Il a trouvé une autre musique, celle d’Auber. Cette pièce sera aussi une création, avec ce style français. Il y a tellement de manières de faire du répertoire, de voyager entre les différents styles.
Puis sera donné Péchés de Jeunesse de Jean-Guillaume Bart…
Élisabeth Platel : J’ai tout de suite choisi Péchés de jeunesse. Je cherchais ce néo-classique du fin du XXe siècle, en plus c’est un ballet créé sur les enfants, par Jean-Guillaume Bart.
Le spectacle sera clôturé avec Aunis de Jacques Garnier…
Élisabeth Platel : J’avais plein d’idées, et à un moment je n’en avais plus, je ne savais plus comment compléter le programme. Et il y a le flash. Nous étions au moment des Démonstrations, le moment où je dois donner mon programme du spectacle pour l’année suivante, et je regardais les répétitions des classes de folklore de Marie Blaise. Je vois des petits garçons qui font des mouvements. Mais c’est la gigue d’Aunis !. Je vais voir Marie Blaise, elle me dit que oui, qu’elle a fait les danses du Poitou. J’ai tout de suite appelé Brigitte Lefèvre, je lui propose Aunis, elle me dit oui.
Brigitte Lefèvre : Aunis est une chorégraphie de Jacques Garnier. Il a été au Conservatoire, au Ballet de l’Opéra. C’est avec lui que j’ai fondé Le Théâtre du Silence. C’est un vendéen très heureux de ses attaches, nous étions d’ailleurs installés à La Rochelle. Il a voulu faire un ballet qui part de des danses de cette région, de cette façon de pouvoir faire vivre la musique. Jaques était aussi un grand admirateur de Merce Cunningham. Il a aussi fait cette pièce en pensant à ses trois frères. Ce ballet a remporté un succès immédiat. On sentait qu’il y avait des racines… Ça montre à quel point la danse savante est inspirée par les danses traditionnelles. Je trouvait que c’était une très jolie idée. Dans le cadre du gala, ce sont des danseurs du ballet qui l’on interprété. Dans le cadre des spectacles de l’école, ce seront des élèves. C’est un trio très difficile à interpréter.
Élisabeth Platel : Aunis est donc maintenant un ballet que nous partageons avec la compagnie, tout comme Soir de Fête ou Les Forains. C’est aussi particulier d’avoir des ballets en commun, ça fait partie des zigzag que nous faisons entre l’École et la compagnie.
Le samedi 20 avril se tiendra le Gala des Écoles du XXI siècle. En quoi consiste-t-il ?
Élisabeth Platel : Le spectacle sera ouvert par Faust, clôturé par Péchés de Jeunesse, et au milieu il y aura sept oeuvres, choisies et dansées par 35 élèves de sept écoles de danse internationales. On était parti sur une invitation de quatre élèves par école. Certaines ne présentent que deux élèves. La Canada’s National Ballet School vient avec un pas de cinq, originalement un pas de trois. Et le Bolchoï m’a bien amusé. « On vient, mais ne nous demandez pas La Belle au Bois Dormant, on nous le demande tout le temps« . Je leur ai demandé quelque chose d’emblématique que l’on n’avait pas, surtout pas un extrait du Corsaire ou du Lac des Cygnes. Ils m’ont répondu : « On vient à quatorze » (rires). Mais j’ai trouvé que c’était très bien, parce que c’était une bonne idée de ne pas avoir que des petits groupes. Ils vont danser Les Millions d’Arlequin, c’est vraiment typiquement leur répertoire, et quelque chose qui n’a jamais été donné en France.
Comment va s’organiser cette semaine pour ces élèves ?
Élisabeth Platel : Ils arrivent le mardi. On répète sur scène le mercredi. Ces élèves n’ont jamais dansé sur la pente, donc là on angoisse un peu (rires). Le jeudi on répète de nouveau sur scène mais avec l’orchestre. Le vendredi, ils vont avoir une journée à l’école relativement tranquille, et nous aurons la table ronde des directeurs et directrices présents ou leurs représentants, certains n’arrivant que le samedi. Et le spectacle le samedi.
… Qui se terminera par un Défilé des Écoles. D’où vient-il ?
Élisabeth Platel : J’ai encore demandé à Claude Bessy de prendre quelque chose qu’elle avait créé, le Défilé de l’Ecole. Elle l’avait fait au Japon. Même si c’est sur une autre musique que le Défilé du Ballet, c’est un peu le même principe : une élève seule et des lignes. Les élèves invité-e-s seront dans les lignes intermédiaire, eux en costume, mes élèves en uniforme. C’est comme ça que l’on va clôturer cette fête de la danse, pour fêter notre style plutôt que nos 300 ans.
Quelle est la journée type d’un Petit Rat à l’École de Nanterre ?
Élisabeth Platel : Le petit-déjeuner reste peut-être la seule demi-heure où les élèves sont calmes. Après, ça s’agite ! La journée commence à 8 heure avec la scolarité, pendant quatre heures. Ils ont un quart d’heure de pause de 10h15 à 10h30, où j’essaye de les faire sortir dans le jardin, pour prendre l’air. Mais ils vont souvent refaire le monde sur les canapés de l’espace Claude Bessy. Le hall de l’école a été baptisé comme ça, c’est le cœur de l’École, c’est l’endroit où les élèves aiment se retrouver, naturellement. Il y a une télévision, il y a le buste de Madame Darsonval, d’Yvette Chauviré… C’est quand même important d’avoir ces personnes présentes.
Comment se passe la scolarité classique pour les élèves ?
Élisabeth Platel : Ils suivent leur scolarité comme tout enfant normal de 8 heures à midi. En terminal, ils ont sept heures de scolarité en moins par semaine qu’une terminale normale, cinq heures de moins en seconde, seulement 1h30 en primaire. Malgré ces perdes d’heures, ils font tout leur cursus chez nous. On arrive à avoir des baccalauréat avec succès, avec des mention très bien, et ce n’est pas une exception, c’est régulier. Pour le brevet, on se positionne dans la moyenne largement supérieure du département. Ce sont des enfants disciplinés. Ils ont la conscience très tôt qu’ils n’ont pas de temps à perdre. Il y a aussi de petits effectifs. La plus grosse classe compte 25 élèves, évidemment, par rapport à un établissement scolaire traditionnel, c’est une chance. Et les professeurs les suivent d’une année sur l’autre. Ça avait au début été très critiqué, et puis finalement nous valorisons ça. Sur une année où on s’aperçoit qu’on a de l’avance, les professeurs vont avancer le programme de l’année suivante.
Pendant le spectacle, la directrice des études fait une croix sur la scolarité pendant toute la semaine du spectacle. Ils auront peut-être deux heures de cours, mais pour elle, c’est une semaine qui ne compte pas. C’est lourd ! Quand ils passent les examens en fin d’année, ils ont les épreuves du bac pendant une semaine, suivant la date qu’on a choisi, c’est parfois quatre jours avant l’entrée dans le ballet, ou quatre jours après. Une année, on a même donné les résultats d’entrée dans le ballet en même temps que les résultats du bac. On a affiché les résultats, de l’autre côté la directrice scolaire arrivait avec les résultats du bac. C’était lourd.
L’après-midi est réservé à la danse…
Élisabeth Platel : À partir de 13h30, les enseignements artistiques débutent. Cela commence par le cours. C’est le cours du niveau, donné par le même professeur tous les jours, par division. Il y a ce moment magique à l’École, qui est 13h30. J’aime beaucoup. 13H25, c’est l’agitation partout. Les premières divisions ont droit de rentrer dans le studio dès 13 heures, les secondes à 13h15, et les petits c’est 13h25 parce qu’on ne sait jamais ce qu’ils font. C’est important, ça a été le départ du ballet Scaramouche de José Martinez, qu’est-ce que font les enfants à 13h25 dans un studio avant que le professeur n’arrive…
Le cours dure jusqu’à 15 heures. Puis pause. Deuxième cours artistique ou début des cours complémentaires : mime, caractère, folklore… suivant les niveaux. À 16H45, goûter, très important, différent tous les jours, avec du lait, du pain du chocolat ou de la confiture, viennoiserie une fois par semaine… Oui, c’est très réglementé (rires). 17 heures, parfois un troisièmes cours artistique, sinon pour les grands, c’est anatomie, histoire de la danse, droit du spectacles : apprendre ce qu’est travailler à l’étranger les contrats, un peu d’écriture de la danse… C’est pour les éveiller un peu à tout. Dès le mois de janvier, on enlève beaucoup de cours complémentaires pour se consacrer aux répétitions du spectacle.
En quoi consiste les cours d’écriture de la danse ?
Élisabeth Platel : Il s’agit plus d’une initiation pédagogue que d’une spécialisation. J’ai choisi de prendre Muriel Hallé, ancienne danseuse du Ballet et aujourd’hui professeure chez nous, qui a fait cette démarche d’aller suivre une formation au CNSMDP sur l’écriture de la danse. Plutôt que de rebuter les élèves, elle leur montre ce que ça apporte de plus. À l’Opéra, on transmet vraiment d’être humain à être humain. La vidéo est imparfaite, c’est plat, c’est la vision d’un-e interprète. La partition de la danse est imparfaite aussi. De toute façon, quelqu’un peut avoir mal noté. On s’est ainsi retrouvé dans des situations très cocasses assez souvent… Ce cours est une initiation, uniquement pour les premières divisions, ça leur donnera peut-être des envie. On a un élève qui a été obligé de quitter l’école pour des raisons de santé. Il est en train d’utiliser les systèmes de l’écriture de la danse pour noter les battements d’ailes des oiseaux…
Comment se passe le reste de la journée ?
Élisabeth Platel : 18h30, on craque ! (rires). 19 heures, le dîner, là encore excitation totale ! Il y a des associations très jolies, les stagiaires se voient pris en charge par les grands, on retrouve les petites mères et petits pères. Les demi-pensionnaires rentrent chez eux. Les internes ont un temps commun jusqu’à 20h30, puis dispersion dans les étages, et extinction des feux de 21 heures à 22h30 selon les âges, l’étiquette étant sur les portes des chambres. Ils sont par chambre de trois, exceptionnellement de deux. Claude Bessy, à un moment, avait essayer d’organiser les chambres avec un grand, un moyen et un petit. Nous, on a fait par les âges. À l’internat, ils déchargent, c’est bruyant.
L’installation à Nanterre s’est fait sous Claude Bessy. Vous avez connu l’École au Palais Garnier, ce n’est pas un regret pour vous ?
Brigitte Lefèvre : L’installation à Nanterre a été une très bonne chose. Il n’y a plus le brassage avec le corps de ballet. Mais quand on était à Garnier, on n’avait pas non plus spécialement de contact avec la compagnie. On les croisait, mais c’est tout.
Élisabeth Platel : Les élèves s’approprient le Palais Garnier presque instinctivement. Lorsqu’ils arrivent sur la scène, pour le Défilé, ils ne sont encore jamais montés sur cette scène, mais en deux minutes ils ont pris leurs marques. Pour le Gala Noureev par exemple, certains élèves ont dansé un extrait de Casse-Noisette. Pendant la première répétition sur scène, Brigitte m’a dit : « Ils dansent trop larges« . Pourtant, le plateau de Garnier est beaucoup plus large que nos studios, et même que notre scène. Instinctivement, ils ont utilisé le plateau complètement, et c’est nous qui avons été obligés de les resserrer pour que ce soit plus intéressant.
Quelle est la place des Démonstrations dans votre enseignement ?
Élisabeth Platel : C’est ce qui nous permet de nous renouveler chaque fois, par rapport aux exercices. Evidement, on ne va pas demander aux sixièmes divisions de faire vingt-cinq tours en l’air. On est toujours dans la base, les dégagés, les glissades, les séries de pas-de-bourrés. Mais on essaye de faire chaque année quelque chose de différent. Parfois on prend un thème.
Comment transmettez-vous les exercices ?
Élisabeth Platel : Claude Bessy avait fait de véritable archives. Elle a filmé des séries, des cours de Monsieur Peretti, de Christiane Vaussard, de Jacqueline Moreau… Quand je cherche un exercice de ports de bras, je me rappelle de celui de Raymond Franchetti, et on le retrouve. Mais on ne fait pas l’exercice exactement. On l’interprète à notre manière pour le faire vivre à notre temps. Des élèves peuvent ainsi fait des exercices et être confrontés à des enseignements d’anciens professeurs. On ne regrette pas nos maître en se disant « C’était le meilleur professeur du monde« . On est content au contraire de l’avoir rencontré. Et on se doit de transmettre sa parole, et obligatoirement, on l’interprète déjà parce que c’est ce qu’on reçu. La mémoire aussi est très importante.
L’École de Danse de l’Opéra de Paris reste aussi attachée à certaines traditions, comme la révérence des élèves…
Élisabeth Platel : On est vraiment dans un ancien temps. Les élèves font la révérence et le salut lorsqu’ils croisent un adulte. Les petites stagiaires qui arrivent en janvier, c’est un délice, elles vont jusqu’au sol, même sur le quai du RER de Nanterre-Préfecture ! Ils ont un enseignement de danse classique poussés à l’extrême, ils ont finalement très peu d’enseignement de danse contemporaine… Et tout ça va donner des danseurs et danseuses capables de danser Le Sacre du Printemps de Pina Bausch. Ce sont eux qui vont faire l’amalgame.
Le but est pour eux de rentrer dans le corps de ballet de l’Opéra de Paris…
Élisabeth Platel : Les élèves, quand ils rentrent dans le corps de ballet, ils ne sont pas prêts. Ils sont prêts à entrer dans le monde professionnel, mais ce ne sont pas des danseurs et des danseuses abouti-e-s. Et la compagnie continue leur travail. Ça, c’est vraiment particulier à l’École de Danse de l’Opéra de Paris. Brigitte Lefèvre ne cherche pas des danseurs et danseuses déjà expérimenté-e-s. Quand on entre dans la compagnie, on est stagiaire, on continue à apprendre. Ce n’est pas tout à fait vrai dans toutes les compagnies.
Brigitte Lefèvre : J’ai une petite anecdote sur ce sujet. Je me souviens bien d’Yvette Chauviré, qui est pour moi la danseuse la plus extraordinaire que j’ai jamais vu. Elle a terminé assez tard sa carrière, dans le rôle de Giselle. Le lendemain, elle donnait un cours. Après la classe, je suis venue lui dire tout le bien que je pensais d’elle. Elle m’a répondu : « C’était la dernière fois. Quelle dommage, j’avais encore tellement de choses à apprendre !« . C’est une belle illustration de notre métier, de notre travail.