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Youri Grigorovitch : « Légende d’amour » est dans la tradition des grands spectacles de Petipa

Le ballet Légende d’amour de Youri Grigorovitch est de retour sur la scène du Bolchoï, après 10 ans d’absence. Pour l’occasion, la représentation du dimanche 26 octobre sera retransmise en direct au cinéma dans le monde entier, et dans plus de 110 salles en France.

Après les interprètes principaux du Ballet – Svetlana Zakharova, Denis Rodkin et Anna Nikulina – c’est au tour du chorégraphe Youri Grigorovitch d’évoquer Légende d’amour. Ancien danseur Étoile, il a dirigé le Ballet du Bolchoï pendant 30 ans, tout en remontant pour la troupe de nombreux ballets. Aujourd’hui âgé de 87 ans, il est l’une des figures majeures de la danse en Russie.

Youri Grigorovitch

Youri Grigorovitch

 

Légende d’amour est ce que l’on pourrait appeler un ballet orientaliste. Pourquoi ce choix au moment de la création de l’oeuvre, en 1961 ?

Légende d’amour est le deuxième ballet que j’ai créé. Mon premier spectacle monté un peu plus tôt, La Fleur de Pierre sur une musique de Prokofiev, était un ballet à l’atmosphère vraiment très russe. Avec mon équipe, nous avons pensé qu’il fallait quelque chose de tout à fait différent. Nous avons trouvé ce sujet, Ferkhad et Shirin. Nous nous sommes dit que cela nous donnerait un autre matériel, chorégraphiquement et artistiquement.

 

Comment ce côté orientaliste se retrouve dans la chorégraphie ?

Les pas sont ceux de la danse classique. L’atmosphère spécifique du ballet est rendue par des ports de bras particuliers, un travail de mains, le caractère des mouvements.

 

Peut-on y voir des références à La Bayadère de Marius Petitpa ? Notamment le personnage de la reine Mekhmene Banu, dont la danse fait penser à celle de Nikiya, ou certaines variations masculines qui peuvent évoquer l’Idole Doré ?

Dans un sens évidemment – les décors, les ornements, la vie du spectacle… – Légende d’amour est fait dans l’esprit de La Bayadère. J’ai été élevé avec les ballets de Petipa de Saint-Pétersbourg, j’ai dansé tous ses spectacles, c’est un grand chorégraphe. J’ai commencé ma carrière au Théâtre du Mariinsky, j’y ai travaillé pendant 17 ans, j’ai dansé là-bas tout en faisant des chorégraphies ailleurs.

Légende d’amour est un ballet qui est fait dans la tradition du grand spectacle, du grand ballet classique. C’est une tradition qui vient de Marius Petipa.

Légende d'amour - En répétition

Légende d’amour – En répétition

Qu’est-ce qui vous a séduit dans cette légende ?

L’histoire d’amour. Ce qui m’intéresse toujours dans un ballet, c’est de raconter une histoire. Nous sommes au théâtre, il faut avoir un vrai sujet.

 

Légende d’amour se termine par Ferkhad qui se sacrifie pour le bien commun. Difficile de ne pas penser aussi à la résonance de cette histoire dans l’idéologie soviétique de l’époque…

Je ne me suis jamais occupé de politique dans ma vie. Ferkhad ne se sacrifie pas pour la société, il le fait par amour. L’amour qu’il a pour Shirin et l’amour qu’il a pour la société fonctionnent ensemble. Si l’eau arrive au village, Shirin sera sauvé et les gens seront heureux. Tout est lié.

 

Vous avez changé beaucoup de choses à ce ballet depuis sa création ?

Oui, beaucoup de choses. Comme un compositeur retouche une partition ou un écrivain réécrit son manuscrit, je fais évoluer certains aspects au fil du temps. Il y a des choses qui ne marchent plus ou qui me semblent démodées. Je peux changer des points techniques, des tableaux, des aspects formels de l’oeuvre, ce qui touche aux personnages. Dès que je remonte un ballet, je fais des changements. Et plus le temps passe, plus je raccourcis des choses. Plus je raccourcis et plus ça me va !

 

Pourquoi reprendre Légende d’amour maintenant ?

C’est plutôt une question qu’il faudrait poser à la direction de la maison, pas à moi. Je pense que le Bolchoï veut préserver ce spectacle dans le répertoire. C’est la première fois qu’il sera donné sur la grande scène restaurée. Ce renouvèlement est capital.

 

Avec sa diffusion au cinéma, Légende d’amour sera vu partout dans le monde. Ce nouveau mode de diffusion est-il important pour vous ?

Parler du mariage entre le cinéma et la danse, c’est compliqué. Quand je regarde un ballet au cinéma, cela peut être très beau. Mais pour moi, ce qui est très important, c’est de voir un être humain vivant sur le plateau. Au cinéma, vous avez un écran, tout est plat, il n’y pas l’espace particulier de la scène, on perd beaucoup de choses. Voir un être vivant dans un théâtre, c’est une toute autre émotion. Il y a aussi la grande question des lumières, qui sont très différentes au théâtre et au cinéma, ce n’est pas exactement la même chose. Mon décorateur donne à Légende d’amour une ambiance à la Rembrandt, tout est sombre. Mais pour le cinéma, il faut tout éclaircir. Et puis c’est la caméra qui choisit pour le public ce qu’il doit voir.

Alors montrer de la danse au cinéma, c’est une grande question. On pourrait aussi imaginer quelque chose de très différent, une sorte de ballet-cinéma filmé pour l’occasion, une nouvelle forme d’art… Vous m’avez vraiment bien choisi pour répondre à cette question ! (il part d’un grand rire).

Maintenant, ces diffusions au cinéma sont très importantes. Elles popularisent l’art du ballet. Et c’est important de connaître ces ballets, de savoir que Légende d’amour est donné sur une scène, et tout d’abord de savoir que le Ballet du Bolchoï existe. Je suis très heureux que ce ballet soit filmé, c’est un vrai plaisir. Le Ballet du Bolchoï est une troupe formidable que le public doit connaître.

Légende d'amour

Légende d’amour

Comment Légende d’amour est-il représentatif de la façon de danser du Bolchoï ?

Ça peut être un peu compliqué à répondre, parce que j’ai créé ce ballet à Saint-Pétersbourg. Mais je l’ai vite remonté pour le Bolchoï.

Légende d’amour est un grand spectacle. Bolchoï veut dire « Grand », au premier sens du terme. C’est vraiment une énorme compagnie, avec 250 artistes, même l’Opéra de Paris ne compte pas autant de monde. Et si l’on travaille avec une compagnie de 200 danseurs et danseuses, ça ne vaut pas la peine de faire un ballet pour 25 personnes, il faut faire des grosses productions, en deux ou trois actes. Mais je n’ai rien inventé, j’ai juste été élevé dans ce système et cette tradition du grand spectacle.

C’est aussi très important de comprendre que le Bolchoï, ce n’est pas seulement un ballet, c’est tout un ensemble : l’opéra, l’orchestre, la peinture… Ce qui compte dans le Bolchoï, c’est sa diversité tout en restant d’une grande qualité. Tout ce que l’on voit dans Légende d’amour est d’une immense qualité. C’est aussi ça le Bolchoï, une mesure de qualité.

 

Pourquoi avoir choisi ces artistes – Svetlana Zakharova, Denis Rodkin et Anna Nikulina – pour remonter Légende d’amour ?

J’ai choisi ces danseur-se-s parce qu’ils ont tout et avec beaucoup de talent. Dans cette nouvelle génération, ils sont les meilleurs pour danser ces rôles par rapport à leur caractère.

 

Quel regard portez-vous sur la nouvelle génération du Bolchoï ?

Ils sont formidables ! Bien sûr ils sont différents, les gens changent, les générations changent. La jeunesse d’aujourd’hui n’a pas eu la même jeunesse que moi, c’est comme ça. J’en ai vu tellement passer, je suis comme un dinosaure ici (il rit). Mais ce qui reste, c’est l’enseignement professionnel à un très haut niveau.

Les décors de Légende d'amour

Les décors de Légende d’amour

Partagez-vous cette impression que les danseur-e-s d’aujourd’hui sont tous d’excellents techniciens, quitte à ne penser qu’à la technique ?

Peut-être… Mais cela reflète aussi notre société. Entre les ordinateurs, les télévisions, tout est devenu technique aujourd’hui. Quand je regarde les jeunes danseur-se-s, ils regardent leur smartphone toutes la journée, c’est une autre génération.

C’est ensuite au chorégraphe de proposer quelque chose qui ne soit pas uniquement technique, mais qui fasse appel à tous les aspects du théâtre, à toutes les autres qualités d’un artiste, à tous les aspects de la vie. Les danseur-se-s doivent toujours montrer sur scène tout ce qu’a voulu le chorégraphe de la manière le plus exacte possible, avec la musique, avec l’expression, avec toutes les intentions qu’il a voulu y mettre.

 

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