A la découverte du Ballett am Rhein
Mercredi 28 novembre 2012. Soirée Martin Schläpfer par le Ballett am Rhein au Théâtre de la Ville. Deux ballets : Forellenquintett et Neither.
Ancien Prix de Lausanne et danseur au Ballet de Bâle, le suisse Martin Schläpfer est aujourd’hui chorégraphe et à la tête du Ballett am Rhein de Düsseldorf. Son style ? Une danse résolument néo-classique, portée par une troupe bien formée à la technique académique. Un programme qui paraissait donc un peu étrange au Théâtre de la Ville, plus habitué aux performances (très) contemporaines, mais restait une bonne occasion de découvrir cette troupe, peu connue en France. J’en attendais personnellement beaucoup, suite à de très bons échos, peut-être un peu trop. La soirée a été sympathique, mais on ne peut pas vraiment parler de révélation. Impression à l’image du premier ballet présenté, Forellenquintett.
Des dires mêmes de Martin Schläpfer, cette pièce est la plus ludique de son répertoire. L’argument est en tout cas efficace. Une danseuse se met à rêver, et atterrit dans une étrange forêt au bord d’un lac. Qui dit étrange forêt dit bien sûr personnages de légendes, lutins, Puck et autres fées à bottes en caoutchouc. Le tout sur l’adorable musique de Schubert, que j’ai tendance en général à écouter de haut, mais qui ici correspondait parfaitement à l’atmosphère délicieusement sucrée du ballet.
Il n’y a pas à chercher plus loin. Pendant une heure, tous ces personnages se croisent dans une danse (néo) classique, technique, s’amusant des difficultés, bondissant et tournoyant le sourire aux lèvres. Ce n’est pas quelque chose qui révolutionne la danse, alors forcément, sur l’heure que dure la pièce, il y a des petites longueurs. On passe aussi sur les costumes décidément trop dépassés (je propose une pétition pour rayer définitivement de toutes les scènes chorégraphiques du monde les académiques Tie & Die). Mais tant pis, les danseurs et danseuses s’amusent et arrivent à caractériser chacun leur personnage. On sourit même franchement à l’évocation du Lac des Cygnes ou au duo pêcheur/truite sur ladite musique de Schubert (rassurez-vous, tout finit bien, ils finissent pas tomber amoureux). Certes, c’est long, mais c’est aussi fun, et ça ne fait pas de mal de temps en temps.
L’aride Neither, qui est présenté en deuxième partie, en est l’exacte contraire. Plus engagée chorégraphiquement, elle est pour Martin Schläpfer la pièce à laquelle il accorde « le plus d’importance« . Sorte de ballet-signature, Neither est contemporain, plus dur, plus intéressant aussi. Là encore, on n’est pas dans une révolution du genre, mais on sent une écriture du geste, une recherche, et une envie de rester dans l’élévation, quand la danse contemporaine attire plutôt au sol.
Mais paradoxe, si Neither est plus riche, elle est bien plus difficile pour le public. La relation avec la musique est ici fondamentale, c’est véritablement le socle de la chorégraphie. Dommage donc que cette dernière se contente plus souvent d’illustrer la partition plutôt que de s’en servir véritablement. La musique de ce ballet, c’est du Morton Feldman, son opéra en un acte sur un texte de Samuel Beckett. Et visiblement, Feldman, en tout cas dans cette pièce, n’était pas un grand amoureux de la Vie.
Je n’ai rien contre la danse dramatique, voir doloriste, encore faut-il qu’il y ait un sens à tout ça. Et Neither en manque cruellement. Ça se prend la tête à deux mains, ça invoque le Ciel, ça pleure et ça se lamente, tous les clichés y passent, sans que l’on sache vraiment pourquoi (mis à part la musique). Et pour le public, cela en devient vite assez pénible. Voir lourd. Voir donne la furieuse envie de partie en courant avant d’avoir l’idée de se saisir d’une corde et d’en finir. La danse est peut-être plus intéressante, mais je préfère tout de même à cette ambiance suicidaire la joyeuse truite et le lutin sexy du premier ballet (malgré leurs académiques Tie & Die) (dont nous n’oublions pas la pétition). Ne reste finalement de Neither que l’impression d’avoir vu un pensum, ce qui au fond est assez injuste.
Au final, je ne suis pas sûre d’avoir eu la révélation Martin Schläpfer, mais le Ballett am Rhein a su m’intriguer. Et je serais curieuse de voir la troupe dans des œuvres de Balanchine, Ashton ou Robins, qu’elle dansent habituellement chez elle.
Le Ballett am Rhein de Martin Schläpfer jusqu’au 5 décembre au Théâtre de la Ville.
liz
Je ne suis pas tout à fait d’accord avec l’avis ci-dessus. J’ai trouvé « Forellenquintett » vulgaire par moments (la danse un peu trop « stripteaseuse » du début m’a déplue), et puis c’était bien trop banal, trop classique. Parfois c’était réduit au mime (séquence avec le vin). Seule le pas de deux du pecheur et de la truite m’a convaincu par son originalité, sa legerèté, et son côté comique. Et par le talent des danseurs !
Au contraire, « Neither » m’a captivée. Les costumes étaient bien choisis, tous différents, à l’image des rôles des danseurs, où chacun s’est exprimé de sa manière personnelle. Schläpfer a fait surgir devant nous la diversité de l’être humain, et a fait ressentir les émotions que nous partageons tous. C’est un ballet de personnages qui souffrent, mais aussi qui s’aiment, qui se protegent, qui cherchent le bonheur, et qui le trouvent enfin. Rien n’aurait pu mieux exprimer la beauté lyrique et la violence de la superbe partition de Morton Feldman.
Terpsichore
Merci pour cette chronique. La compagnie sera à Barcelone en début d’année 2013 et, ne la connaissant pas, je cherchais des avis un peu partout.
Amélie
@ Liz : C’est intéressant comme ce spectacle provoque des avis très contrastés. Je me demande si ce n’est pas la musique de Feldman, à laquelle je ne suis pas du tout réceptive, qui m’a empêché de rentrer dans la pièce.
@Terpsichore : Je crois que tout le monde est d’accord pour dire que c’est une belle troupe. Après, les pièces présentées ne fait pas le même effet à tout le monde visiblement. Le programme sera différent à Barcelone apparemment.