Premier avant-goût de Sous Apparence, création de Marie-Agnès Gillot
C’est l’un des événements de la saison. Après plusieurs expériences chorégraphiques, Marie-Agnès Gillot va pour la première fois créer une pièce pour le Ballet de l’Opéra de Paris. Il s’agira de Sous Apparence, présentée du 31 octobre au 10 novembre au Palais Garnier, avec la pièce Un jour ou deux de Merce Cunningham. Argument, décors, costumes… Les premiers détails de cette création ont été dévoilés (les citations sont extraites du dossier de presse).
Sous Apparence, de quoi ça parle ?
« Les apparences sont innocentes de nos erreurs« , voilà la citation sur laquelle est partie Marie-Agnès Gillot, pour un ballet qui sera a priori bien plus abstrait que narratif. « Dans tout ce que nous touchons, nous avons tendance à soigner l’apparence en cherchant à édulcorer ce qui nous a construits, ce qui a fait de nous ce que l’on est véritablement, profondément« , explique la Danseuse Etoile. « Ouverture sur un imaginaire, cette pièce se veut avant tout un travail d’équipe à travers lequel chacun d’entre nous à finalement détourné une histoire, des us, des traditions ancestrales pour en donner une transcription actuelle et personnelle de son art. Dans un jeu de contrastes permanents, le passé et le présent vont ainsi se répondre« .
La chorégraphie
La pointe, voilà l’objet, ou plutôt le chausson, qu’a voulu explorer Marie-Agnès Gillot, accessoire « à priori féminin » ancré dans l’histoire de la danse qu’elle veut revisiter. Les danseurs seront donc aussi sur pointes, mais bien plus pour l’exploration chorégraphique que pour la caricature. « Finalement de moins en moins utilisée par les chorégraphes contemporains, c’est pour moi un acte de résistance que d’imaginer une transposition du travail de la pointe autant sur des corps féminins que sur des corps masculins, sans que cela ne devienne ni comique, ni caricatural« .
La musique
Deux mots pour parler de la musique choisie : du chant (la partition sera interprétée par le Choeur Accentus) et du contemporain (extraits de Bruckner, Feldman et Ligeti). Laurence Équilbey, à la tête du Choeur Accentus et qui dirigera cette soirée, s’est occupé de construire la dramaturgie musicale. « J’ai établi une forme de narration musicale, réécrit certaines mesures afin que les musiques soient entendues dans un tissu musical continu, créant ainsi l’impression d’un matériau organique« , explique la cheffe d’orchestre.
Si nous allons un peu plus en détail, la partition sera en partie un dialogue entre la Messe en mi mineur de Bruckner et des extraits de Rothko Chapel de Feldman. « Ces deux pièces ont chacune un pouvoir incantatoire puissant, exprimé cependant avec une dimension très différente. Bruckner apporte une vision de l’humanité souffrante, son œuvre est déchirante de couleurs sombres, son cri est dense, les voix lyriques. L’incantation de Feldman est, elle, plus abstraite, quasi immobile, comme braquée sur un point fixe. Jouée intégralement piano ou pianissimo, sa musique est concentrée sur une douleur insondable. Les voix sont traitées ici de manière abstraite, en strates. A mon sens, l’opposition et le rapprochement de ces deux visions est particulièrement troublante pour le spectateur et permet à la chorégraphe de fonder sa création sur cette palette d’émotions.
Deux œuvres viennent interrompre cette incantation humaine et matérialisent le drame : Intersection 1 de Feldman – œuvre ouverte, hommage à John Cage joué en deuxième partie- est une véritable catharsis, permettant une certaine violence et ouvrant la porte à la possibilité de gestes plus instinctifs. C’est en outre une œuvre dans laquelle tous les instruments se rassemblent autour d’une pulsation rapide, ce qui revêt une importance particulière dans l’univers de la danse.
Rapide également, le Continuum de Ligeti lui est une obsession, une pulsion sonore, qui peut montrer paradoxalement que le mouvement extrême et l’acharnement peuvent conduire à l’immobilisme. Le choix de Ligeti s’est imposé lorsque j’ai cherché l’épicentre de ce ballet. Il fallait une œuvre suffisamment forte, qui puisse relier les univers de Bruckner et de Feldman. Sa radicalité folle les conjoint« .
Les décors
Quelques tâches de couleur rouge, une maison sur le côté, une sorte de cube au milieu. Les décors de Sous Apparence, dessinés par Olivier Mosset, seront plutôt minimalistes. Et de beaucoup inspirés par la Danseuse Etoile. « Ici, ces décors seront ceux de Marie-Agnès Gillot, ils lui appartiennent. S’ils participent de son spectacle, c’est qu’ils sont sa réalisation« , explique l’artiste.
Les costumes
C’est le créateur belge Walter van Beirendonck qui s’est chargé de dessiner les costumes. Le couturier a bien sûr écouté les « désirs, la vision, les passions et les envies » de Marie-Agnès Gillot, mais s’est aussi beaucoup inspiré des décors d’Olivier Mosset. « J’ai été intrigué par la présence d’une maison », explique Walter van Beirendonck. « J’ai immédiatement pensé lui associer un jardin, surréaliste bien sûr, où se baladent des sapins piqués de tulle et de gigantesques guêpes. Un monde merveilleux où même les roquettes sont fluo. Seule ombre au tableau : un nuage noir, menaçant, envahissant« .
Là encore, le thème de la pointe, et utilisée par un homme, a été source d’inspiration. « J’ai souhaité que les personnages, puissants mais gracieux, soient tous sur pointes. Emblèmes de la féminité, le défi est d’en faire des parangons de la virilité« .
Les distributions
A un petit mois de la première, c’est toujours un grand mystère. A priori, Sous Apparence devrait être dansé par dix femmes et dix hommes. Vincent Chaillet, Alice Renavand et Laëtita Pujol, qui sont sur l’affiche, devraient logiquement être de la première équipe.
Voilà donc pour les premiers détails. Pour ma part, je suis plutôt séduite par cette idée d’utiliser la pointe, et musicalement, le discours de Laurence Équilbey est passionnant. Pour en savoir encore un peu plus avant la première, une répétition publique aura lieu le samedi 13 octobre, à l’Amphithéâtre Bastille.