Myriam Ould-braham, Danseuse Étoile du ballet de l’Opéra de Paris. Mais que cette phrase est agréable à écrire ! Surtout que l’espoir que cela arrive un jour s’étiolait avec les mois qui passaient.

Lundi 18 juin 2012. La Fille mal gardée fait son retour sur la scène du Palais Garnier. La première devait normalement être assurée par Ludmila Pagliero, nouvelle Etoile. Et puis elle s’est blessée, et c’est finalement Myriam Ould-Braham qui a été chargée de danser la première. Lundi soir, au moment de partir, j’ai fait demi-tour pour prendre mon appareil photo. Pourquoi ? Je ne prends jamais de photo, et quand c’est le cas, je les trouve moches. Mais voilà, s’il y a un moment à immortaliser, il ne faut pas avoir de regret technique.

La nomination d’Etoile de Myriam Ould-Braham, personne n’y croyait vraiment dans le public. Personne n’y croyait plus vraiment en fait. Parce qu’il y avait eu déjà tellement d’occasion manquées, tellement de moments où cela semblait évident, et puis non, il ne se passait rien après les applaudissements. Cette année, il y a eu La Source, son meilleure rôle, puis Olga dans Oneguine, La Bayadère… Sur ce ballet, ce fut finalement Josua Hoffalt et Ludmila Pagliero qui furent nommé-e-s… Cela semblait désormais presque trop tard pour la danseuse qui a fêté il y a peu ses 30 ans.

Cette première de La Fille mal gardée s’est déroulée de la plus délicieuse des façons. J’aime ce ballet, j’aime la magie qu’il dégage et ce vent de fraîcheur qu’il fait souffler dans la salle. Myriam Ould-braham y était irrésistible, drôle sans en faire des tonnes, aérienne, romantique… Je me suis faite la réflexion, au moment de l’ultime pas de deux, qu’il n’y avait pas de différence entre elle et Josua Hoffalt, la seule Etoile du plateau. Mais il y avait eu tellement de fois où elle aurait dû, et rien ne s’est produit, alors pourquoi ce soir ?

J’étais placée à l’orchestre, sur un strapontin. Juste à côté de l’entrée côté cour. Là où, juste au baisser du rideau, est venu s’installer le photographe Julien Benhamou avec tout son matériel. Photographier officiellement les saluts, cela n’a d’intérêt que s’il y a événement. Et si, finalement, c’était bien pour ce soir ?

Toute la troupe vient saluer. Le corps de ballet, les rôles principaux. Stéphane Phavorin se taille un beau succès en Mère Simone. Myriam Ould-Braham et Josua Hoffalt reçoivent une ovation. Le rideau se ferme, les solistes viennent saluer sur l’avant-scène un par un. Et quand le rideau se rouvre, il y a désormais sur scène un micro, et derrière Brigitte Lefèvre et Nicolas Joël.

Alors voilà, ce sera bien pour ce soir. Dans l’effervescence, je cherche s’il n’y a personne d’autre à nommer ce soir. « Pendant une seconde, j’ai pensé à moi« , s’est ainsi amusé à raconter, en riant, Stéphane Phavorin, seul autre Premier danseur sur scène ce soir.

Brigitte Lefèvre ne parle pas, Nicolas Joël fait un court discours. « Etre Etoile du Ballet de l’Opéra National de Paris récompense le talent et le travail. Le talent est un don, le travail un choix. Quant à cela s’ajoute la grâce et le charme, il n’y a absolument pas à hésiter. C’est pour cela que sur proposition de Madame la Directrice de la Danse, j’ai l’honneur de nommer Etoile du Ballet de l’Opéra National de Paris mademoiselle Myriam Ould-Braham ! »

Explosion de joie. Dans la salle, mais aussi sur scène. Personne ne s’attendait à quoi que ce soit ce soir, des deux côtés du rideau. Myriam Ould-Braham se laisse un temps prendre par l’émotion sous les applaudissements, avant de revenir saluer maintes fois, devant un public debout et visiblement ravi.

Qu’est-ce qu’une Etoile ? A chaque nomination, la question se pose. Une Etoile, c’est comme l’astre, c’est quelqu’un qui brille même quand le projecteur n’est pas braqué sur elle, c’est quelqu’un que l’on remarque, c’est quelqu’un qui marque. On ne parle plus de technique, la technique est de toute façon indispensable à l’interprétation. Il y a la technique, sauf que l’on n’y fait plus attention, parce qu’il y a des choses bien plus intéressante à évoquer lorsque l’on parle d’une Etoile.

Les dernières nominations ont parfois créé le débat. Pas celle de Myriam Ould-Braham. Parce que Myriam Ould-Braham, ça ne se discute pas, c’est une Etoile. C’est elle que l’on remarque et qui marque, même parquée dans des interminables pas de trois, même au fond de la foule.

Myriam Ould-Braham, c’est en plus un style bien un elle. Et c’est ce que j’aime. Elle n’a pas une technique flamboyante, dans le sens où elle ne s’en sert pas pour briller. Sa technique est sûre, très propre, mais ce n’est qu’un moyen. Si son personnage ne demande pas de faire des triples fouettés, elle ne fera pas de triples fouettés. J’aime son travail de jambe tout en finesse, j’aime son travail de bras si moelleux. J’aime surtout sa musicalité, si travaillée, si attentive. Et j’aime ses interprétations. Ou plutôt j’aime le fait qu’elle donne son interprétation, la sienne, sa vision propre du personnage. Que l’on aime ou pas, on se souvient de sa Paquita, de sa Naïla, de sa Juliette… C’est ça aussi une Etoile, ne ressembler à personne d’autre, ne pas faire comme tout le monde. A entendre le public applaudir ce soir, à lire les commentaire unanimes sur le net, je me dis que je ne suis pas la seule.

Alors pourquoi n’a-t-elle pas été nommée plus tôt ? La direction qui voulait d’autres personnalités, une blessure survenue au mauvais moment, et qui l’a éloignée une année de la scène, des premières prises de rôles très jeunes qui ont un peu déçu… La phrase de Nicolas Joël sonne un peu comme une blague pas très drôle. « Il n’y a absolument pas à hésiter« . Hésitations, pourtant, il y a bien eu.

Circonstance exceptionnelle, comportement exceptionnel, je me suis résolue à, chose que je ne fais jamais, faire ma groupie à l’entrée des artistes. Cette nomination, je peux vous le dire, ce fut vraiment une surprise pour tout le monde. Les danseurs et danseuses n’étaient pas au courant, les plus infiltré-e-s n’étaient pas au courant, et la principale intéressée ne l’était pas plus. Sous quelques bouquets de fleurs, Myriam Ould-Braham ne semblait pas encore vraiment réaliser. Peut-être n’y croyait-elle plus vraiment elle non plus ? « J’ai dansé La Belle à 21 ans, j’en ai 30 aujourd’hui, je suis passée à autre chose« , raconte-t-elle. Une pointe d’amertume dans la voix ? Peut-être. Mais ce n’est pas volé, face à une direction qui s’est appliquée à ne lui donner que des miettes de rôles pendant pas mal de temps.

Maintenant, il n’y aura plus d’excuse pour lui donner des purges plutôt que des rôles principaux. Il n’y aura plus d’excuse pour ne pas lui donner Odette, Giselle, Juliette, Kitri ou la Sylphide. De beaux partenariat devraient aussi s’amorcer avec Josua Hoffalt, et surtout Mathias Heymann un peu en manque de partenaire et avec qui elle danse si bien. Que de beaux spectacles à venir dans les douze ans à venir… J’ai hâte, je ne vous dis que ça.